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«Il faut obliger les parents à s’intégrer»

Une mauvaise intégration des parents a des répercussions sur leurs enfants. Keystone

Avec des affaires comme celles du viol de Zurich, la Suisse est en train de se réveiller brutalement de décennies d'inaction en matière d'intégration.

C’est la conviction de Thomas Kessler, délégué à l’intégration de Bâle-Ville. Selon lui, il faut agir vite pour combler les graves lacunes accumulées.

Les actes brutaux commis ces dernières semaines par de jeunes immigrés ont suscité des interrogations sur la propension de certaines communautés à ne pas se plier aux lois en vigueur dans leur pays d’adoption.

L’expérience de Bâle-Ville, pionnier en matière d’intégration, permet de démonter les mécanismes d’intégration et de non-intégration.

Thomas Kessler, délégué à l’intégration de Bâle-Ville est un partisan de la ‘communication proactive’ en matière d’intégration. Interview.

swissinfo: Un fait divers comme le viol collectif de Zurich peut-il déclencher des réactions de rejet à l’égard de jeunes étrangers?

Thomas Kessler: Céder à la tentation de l’amalgame serait dangereux. Beaucoup de personnes faibles socialement se comportent tout à fait légalement. Il faut reconnaître les problèmes et agir spécifiquement. Les solutions sont connues.

swissinfo: Par exemple?

T.K.: L’intégration des parents est primordiale. Il faut les obliger à s’engager à éduquer leurs enfants! Bâle-Ville instaurera au printemps prochain des contrats, liés à l’obtention du permis de séjour, dans lesquels les personnes s’engageront à suivre un cours d’allemand si elles ne savent pas la langue, d’intégration sociale si elles sont isolées, d’orientation professionnelle si elles n’ont pas de travail, etc. Un cours sur les institutions sera aussi proposé. Ces cours ne seront en outre pas gratuits, les personnes devront les payer, au moins en partie.

swissinfo: Mais comment peut-on obliger les parents à éduquer leurs enfants?

T.K.: Par une communication proactive. Je vais par exemple à Muttenz (BL) dimanche, où la communauté albanaise célèbre le jour de fête nationale. J’évoquerai le viol de Zurich. La communication doit se faire à tous les échelons, dès l’école, lorsque les enseignants remarquent que des parents ne viennent jamais aux soirées de parents. Avec les médiateurs culturels, les clubs culturels et sportifs, on doit faire passer le message: il y a des règles à respecter, tout écart doit être puni. Nous avons à combler les lacunes accumulées pendant les 10-20 dernières années.

swissinfo: Que s’est-il passé selon vous durant ces décennies?

T.K.: Nous nous sommes laissés guider par l’illusion, relevant d’un romantisme typiquement allemand, selon lequel l’Etat n’a pas à intervenir dans les affaires privées. On ne s’est pas occupé des parents, on ne les a pas forcés à s’intégrer. On a pensé que l’école suffirait. C’était une illusion, qui a débouché sur des manques très graves. Lorqu’on ne fait rien, les immigrés de la 1e génération reportent leurs problèmes sur leurs enfants.

swissinfo: Les parents immigrés sont-ils les seuls à devoir agir?

T.K.: Globalement, la société manque de courage civil dans la vie quotidienne. On ne devrait pas tolérer le vandalisme ou n’importe quel comportement irrespectueux. Nous devons tous prendre nos responsabilités, intervenir à la moindre bagatelle, et sévir.

swissinfo: Même avec de jeunes enfants?

T.K.: Vers 7, 8 ou 9 ans, on peut rétablir les choses rapidement. Vers 10-11 ans, c’est déjà la dernière chance. Ensuite, à partir de 12-13 ans, la pression du groupe, de la bande, est si forte que l’adolescent a de la peine à s’y soustraire.

swissinfo: Dans le cas de délits sexuels, la représentation machiste que les jeunes garçons ont des femmes semble également problématique.

T.K.: Quatre facteurs jouent ici un rôle. Ces jeunes viennent de pays qui ont été en guerre, où le viol était une arme. En outre, ils viennent aussi de sociétés patriarcales, où le contrôle social est exercé par le père. En arrivant ici, ils tombent dans l’extrême inverse: une société ultra-libérale presque sans garde-fous. Troisième élément: ceux qui sont à la traîne à l’école compensent leurs déficits par l’exercice de la violence. Enfin, nous vivons dans une société où la sexualité est surreprésentée. Or la consommation de pornographie est la plus élevée chez ceux où elle fait le plus de dégâts. Le degré d’immunité face à ces images diffère d’une personne à l’autre. Si ces quatre éléments sont présents en même temps, c’est le passage à l’acte.

swissinfo: Le fait que, dans certaines cultures, les garçons aient davantage de libertés que les filles est-il aussi un élément à risque?

T.K.: Moi aussi j’ai été élevé comme ça. C’est une autre discussion. Le problème naît quand il y a, outre une liberté totale, un total manque de respect. Les pères doivent apprendre à leur fils à respecter la maîtresse, et les autres en général.

Interview swissinfo: Ariane Gigon Bormann

Une adolescente de 13 ans a été violée par plusieurs jeunes garçons au début du mois de novembre à Zurich-Seebach.

Dix mineurs et deux jeunes adultes font actuellement l’objet d’une enquête pénale. Deux d’entre eux ont été relâchés. Ces mineurs sont originaires des Balkans, de République dominicaine et d’Italie. Une prolongation de la détention préventive, ordonnée jusqu’au 30 novembre, n’est pas exclue.

Les enquêteurs ont indiqué vendredi ne pas encore être parvenus à reconstituer une image univoque des faits. Il est possible que des auditions de témoins et des confrontations soient organisées.

La victime est représentée par un avocat et est toujours soignée par une association d’aide aux victimes. Les parents des jeunes soupçonnés sont de leur côté suivis par des travailleurs sociaux du ministère public des mineurs.

Surmenée, la directrice de l’école fréquentée par la victime et quatre de ses agresseurs a dû être placée en arrêt maladie. De nombreux parents demandent s’il est possible que leur enfant change d’école, a indiqué la presse zurichoise cette semaine.

Créé en 1998, le Bureau «Integration Basel» lance dès sa naissance des initiatives originales pour encourager l’intégration des immigrés.

Médiateurs culturels, «coachs» pour apprentis, tournois sportifs sous le signe du fair-play, cours de langue, informations spécifiques pour les migrantes: le bureau, sous l’égide du délégué à l’intégration Thomas Kessler, fournit aussi toutes les informations légales nécessaires aux nouveaux arrivants.

Le bureau accueille également les plaintes des immigrés pour discrimination.

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