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«Il y a du Godard chez les Suisses d’Avignon»

La Cour d'Honneur du Palais des Papes. Christophe Raynaud de Lage

Le Festival d’Avignon, manifestation pluridisciplinaire internationale, qui s’ouvre le 7 juillet, accorde une belle place cette année aux artistes suisses. A leur tête, Christoph Marthaler. Regard de Vincent Baudriller, co-directeur du festival, sur la création suisse.

La papauté vue par un Helvète, ça promet. Il fut un temps où un certain Calvin mit un joli coup de pied aux prélats du Vatican. Il avait sa manière à lui, après tout très théâtrale, de déjouer le rôle spirituel de l’Eglise romaine.

Difficile de ne pas y penser aujourd’hui, alors que s’ouvre le 7 juillet le festival d’Avignon avec le très attendu «Papperlapapp», spectacle de Christoph Marthaler. Iconoclaste patenté, le metteur en scène bâlois, imprévisible dans son humour sournois, n’hésite pas à faire voler en éclats les images bien lisses.

Que réserve-t-il donc à son public dans ce «Papperlapapp»? Cette question, on n’a pas pu la lui poser car notre homme refuse toute interview à ce sujet. C’est donc Vincent Baudriller, co-directeur du festival d’Avignon avec Hortense Archambault, qui nous répond. Et il le fait, avec toute l’admiration qu’il a pour Marthaler qui «sait montrer la fragilité de l’individu face à ce qui le dépasse socialement et métaphysiquement».

Une excellente cuvée

Marthaler donc, ainsi que le romancier français Olivier Cadiot, ont été choisis cette année comme «artistes associés» du festival. A ce titre, le Bâlois a orienté le choix de certains spectacles, surtout suisses, et a entraîné dans son sillage des artistes de ce pays, qu’on n’a jamais vu aussi nombreux en Avignon. Massimo Furlan, Zimmermann & de Perrot, Cindy Van Acker, Foofwa d’Imobilité, Mathieu Bertholet… Une excellente «cuvée» de metteurs en scène, auteurs ou chorégraphes alémaniques et romands qui, avec d’autres créateurs européens, africains, américains, se partagent l’affiche de cette 64e édition du festival.

«Artiste associé», cela veut dire aussi qu’on a les honneurs de la Cour d’honneur. Celle du Palais des Papes précisément, où sera joué le spectacle inaugural de Marthaler. Un site majestueux, qui servira de décor au Bâlois et à sa scénographe Anna Viebrock. Car ici, le lieu est un acteur majeur. Il joue son rôle historique dans «Papperlapapp» qui revient sur le schisme au sein de l’Eglise romaine, à la fin du XIVe siècle, et sur les rivalités entre deux papautés, celle de Rome et celle d’Avignon où Clément V décide de s’installer.

Préférant laisser sa part de mystère au spectacle, Vincent Baudriller parle de ce qui a précédé sa mise en place. «Avec Christoph, raconte-t-il, nous avons sillonné les rues d’Avignon. Le metteur en scène s’est beaucoup imprégné des lieux qui composent le passé politique, social et architectural de la ville. Je lui ai, par ailleurs, fait part de mon désir de voir le festival questionner l’horreur à travers les siècles. C’est d’ailleurs dans cet esprit que j’ai programmé cet autre spectacle de Marthaler, étonnant, ‘Se protéger de l’avenir’ (Schutz Vor Der Zukunft), créé à Vienne, et qui aborde un sujet douloureux: l’euthanasie et autres tentatives de sélection pratiquées par les nazis».

Du foot à l’Eurovision

Voilà pour l’Histoire, à laquelle se mêle, comme toujours chez Marthaler, le chant. Les partitions musicales font parties intégrantes des spectacles du Bâlois. Elles donnent à son travail une dimension populaire et à son propos une tonalité burlesque, voire ironique, née du décalage.

Autant de qualités que Vincent Baudriller dit trouver chez le performer lausannois Massimo Furlan qui, dans un registre plus léger, celui de la variété, reprend le concours de l’Eurovision de la chanson 1973. Son spectacle s’intitule justement «1973».

Furlan aime les chiffres et les grandes parades. Sous le «Numéro 10», il rejoua autrefois, à lui tout seul, la demi-finale France-Allemagne du Mondial de foot 82. Cette fois-ci, avec une poignée d’acteurs, il redonne, à sa manière à la fois sacrée et bouffonne, son lustre à un concours qui, à l’en croire, a perdu de son éclat.

«Il y a du Godard chez les Suisses d’Avignon, ne serait-ce que dans leur manière de regarder l’Histoire ou de refaire l’événement avec distance et humour, lâche Vincent Baudriller. Avant d’insister: «Le nom de Godard revenait souvent dans nos conversations lors de la préparation du festival. D’ailleurs Foofwa d’Imobilité (chorégraphe genevois, ndlr) a choisi de dialoguer avec l’œuvre du cinéaste dans «Au contraire», une pièce programmée dans la section ‘Sujets à vif’, laquelle passe commande aux artistes invités ».

Une originalité dans l’ambition

On ajoutera que Godard, on le retrouve aussi dans le rapport au quotidien, tranches de vie anodines magnifiées ou au contraire rituels sacrés défaits par la cocasserie. C’est le cas dans «Chouf Ouchouf» (Regarde et regarde encore), spectacle du duo alémanique Zimmermann & de Perrot, monté avec des acrobates marocains de Tanger.

Vincent Baudriller qui parcourt le monde pour faire chaque année sa moisson de spectacles, dit que ce qui distingue les metteurs en scène et auteurs suisses, «c’est une vraie liberté dans le propos et un originalité dans la forme».

Une originalité dans l’ambition aussi, pour ce qui concerne en tout cas Christoph Marthaler qui a exigé du festival que «Papperlapapp» soit joué uniquement en Avignon. Pas de reprise donc, pas de tournée. Ce qui a nécessité l’aide de Pro Helvetia et du sponsoring privé suisse pour rentabiliser un spectacle qui compte neuf représentations seulement.

Ghania Adamo, swissinfo.ch

Christoph Marthaler :

«Papperlapapp», Cour d’Honneur du Palais des Papes, du 7 au 17 juillet

«Schutz Vor Der Zukunft», Collège Champfleury, du 21 au 24 juillet

Massimo Furlan:

«1973», Salle Benoît XII, du 10 au 14 juillet

Zimmermann & de Perrot :

«Chouf Ouchouf», Cour du Lycée Saint-Joseph, du 9 au 13 juillet.

Cindy Van Acker:

«Lanx», «Obvie», «Obtus», «Nixe», Gymnase du Lycée Mistral, du 14 au 18 juillet.

Dans la section «Sujets à vif» présentée au Jardin de la Vierge du Lycée Saint-Joseph :

«Rosa, seulement» de Mathieu Bertholet, du 8 au 14 juillet

«Au contraire», de Foofwa d’Imobilité, du 19 au 25 juillet

Dans la section Ecoles au Festival:

«Les Helvètes», par les élèves de la Haute école de théâtre de Suisse romande, à l’Institut des sciences et techniques du spectacle, du 22 au 26 juillet.

Metteur en scène bâlois d’opéra et de théâtre, de renommée internationale.

Depuis 1980, il fait halte sur la plupart des scènes européennes.
La particularité de son œuvre réside dans sa capacité à mêler avec succès partition verbale et partition musicale.

Hautboïste et flûtiste, il s’est d’abord intéressé à la musique avant de rejoindre, à la fin des années 60, l’Ecole Jacques Lecoq, à Paris.

En 1988, il s’installe à Bâle pour y organiser des soirées où il exerce son talent «d’empêcheur de penser en rond».

En 2000, il prend la direction du Schauspielhaus de Zurich d’où il sera évincé en 2004.

Il travaille aujourd’hui comme metteur en scène indépendant.

Parmi ses créations très nombreuses, citons: «Wozzeck», «Groundings», «Riesenbutzbach. Une colonie permanente».

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