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«Les Nègres» de Genet revisités à Genève

A mi-chemin entre poupées mécaniques et poupées de chiffon. GTG/Nicolas Lieber

Le compositeur français Michaël Lévinas met en musique au Grand Théâtre de Genève la très troublante pièce de Jean Genet.

Dans sa version lyrique, mise en scène par Stanislas Nordey, l’œuvre privilégie la plastique au détriment de la force idéologique.

D’un côté, l’une des plus troublantes pièces de théâtre du XXe siècle: «Les Nègres» de Jean Genet. De l’autre: Michaël Lévinas, compositeur, et Stanislas Nordey, metteur en scène. Les trois hommes sont français et possèdent en commun le sens de la comédie.

Pour Genet, il s’agit d’une comédie du pouvoir qui oppose ici des Blancs et des Noirs, avec tout ce que ce face-à-face contient comme violence idéologique.

Chez Lévinas et Nordey, cette comédie se contente, hélas, de dessiner sa propre caricature. Le premier en signe le livret et la musique; le second, la mise en place plastique. Les deux artistes se sont rencontrés à l’occasion de ce projet initié conjointement par l’Opéra de Lyon et le Grand Théâtre de Genève.

Le pouvoir et le peuple



Voici donc le pouvoir tel qu’imaginé par Genet: une Reine, un Juge, un Valet, un Missionnaire et un Gouverneur. Soit cinq figures institutionnelles incarnées par des comédiens de couleur portant des masques de Blancs et formant une Cour – au double sens de tribunal et d’assemblée royale.

Devant la Cour, huit Noirs qui se transforment en Nègres à coup de cirage. Microcosme d’une société colonisée, les Nègres(se) rejouent le meurtre d’une Blanche commis par l’un d’entre eux.

Leur crime est vécu comme une offense par la Cour dont la fonction n’est pas ici de juger mais de regarder le spectacle de ses propres souffrances, qui se déroule à ses pieds.

Oui, à ses pieds, car la Cour est ce peuple «d’en haut». Lequel sera tantôt forcé d’abandonner son Olympe pour rejoindre le peuple «d’en bas» dans un mouvement de chute qui s’apparente à une descente aux Enfers.

Clownerie?

Bien malin est celui qui de prime abord pourra détecter la portée politique de cette pièce que Genet a sous-titrée «clownerie». Bien naïf aussi serait celui qui penserait qu’à cause de ce sous-titre l’auteur s’en tient à une simple mascarade.

Genet dont on connaît l’amour pour les peuples opprimés, n’a pas écrit «Les Nègres» uniquement dans le but d’amuser son public. Certes, sa volonté de divertir est patente. Mais ce divertissement qu’il réclame dans son sous-titre n’en demeure pas moins un masque destiné à voiler, de façon ludique, ses intentions politiques.

Car c’est bien une révolution qui gronde dans les coulisses des «Nègres». On en perçoit le bruit au détour des répliques. Mais on ne l’entend guère sur la scène du BFM, réduite aux dimensions d’un castelet de marionnettes.

A mi-chemin entre poupées mécaniques et poupées de chiffon, les Nègres de Lévinas et Nordey nous touchent par la grâce de leurs gestes et de leurs voix de soprano et de ténor. Mais à ce charme, manque l’essentiel: le chant profond d’une identité réclamée par les Nègres.

Stanislas Nordey s’en défend: «J’ai voulu, explique-t-il, me mettre au service de Lévinas dont la musique donne à l’écriture de Genet des accents polyphoniques où se mêlent opérette, Negro Spiritual et récitatif».

Pour le compositeur, la pièce de Genet est avant tout une réflexion sur le théâtre et sur sa capacité à rendre palpable le spectaculaire. «Si j’avais appuyé sur le champignon politique, poursuit Nordey, j’aurais sans doute ramé à contre-courant du livret».

swissinfo, Ghania Adamo

«Les Nègres», à voir au Grand Théâtre de Genève, salle du BFM, jusqu’au 4 mai.
Un texte de Jean Genet mis en scène par Stanislas Nordey et mis en musique par Michaël Lévinas.

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