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«Les Sacrifiées» de tous les impérialismes

Judith Henry et Sylvie Milhaud, au coeur d'une distribution algéro-franco-suisse. Pascal Victor

En coproduction avec le Théâtre des Amandiers à Nanterre, la Comédie de Genève présente la pièce de l'auteur français Laurent Gaudé.

Guerre coloniale et intégrisme religieux forment le sujet de ce spectacle qui bénéficie du soutien de Pro Helvetia et place l’Algérie au centre du débat.

Il fut un temps où les Arabes chantaient en arabe sur des mélodies occidentales. On entendait alors une langue graveleuse accrocher la cadence chaloupée d’un tango. En ce temps-là, la France occupait l’Algérie.

Aujourd’hui, c’est la musique arabe qui entraîne sur son rythme enfiévré les sonorités soyeuses du français.

Cheb Mami chez Edith Piaf



C’était comme si Cheb Mami s’introduisait chez Piaf, amorçant du même coup le mouvement réversible de l’Histoire. Terrible retournement qui, pour s’accomplir, passe par la voie de la tragédie.

Ainsi va la vie dans «Les Sacrifiées», fredonnée comme une romance entre deux rounds meurtriers. La magnifique pièce de Laurent Gaudé (32 ans), que Jean-Louis Martinelli met en scène à la Comédie de Genève, s’ouvre sur un air de Dalida chanté en algérien, sur l’autre rive de la Méditerranée.

Puis, la pièce monte comme une mélopée et s’achève avec du rap que l’on entend les soirs de nostalgie dans les bars de France.

Entre deux mélodies, s’inscrit l’histoire de l’Algérie, depuis l’occupation française jusqu’à nos jours. Premier round: la guerre d’indépendance et son lot d’immigrés. Deuxième round: le terrorisme lié à l’intégrisme religieux.

Au milieu du ring, le peuple et sa terre, l’Algérie, que charpentent trois visages: Raïssa, Leïla et Saïda. Trois générations de femmes aux entrailles déchirées, porteuses d’une humanité folle. Folle d’avoir cru à la reconnaissance de leur identité noyée dans le sang. Kateb Yacine n’est pas loin. Son ombre rôde dans la salle.

Un officier américain en Irak

En face de ces femmes, les forces d’occupation. Les mots ténébreux de leurs soldats s’opposent à la lumière éclatante d’une place de village: «Nous vous avons offert notre amitié, vous nous avez craché dans la paume de la main».

On croit entendre un officier américain s’adresser à un Irakien d’aujourd’hui. Les temps changent, mais les propos impérialistes se succèdent et se ressemblent.

Par-delà l’histoire algérienne, se lit en filigrane la grande Histoire, celle des régimes coloniaux et des déséquilibres identitaires qu’ils engendrent.

Plus tard, «Les Sacrifiées» affronteront la solitude de l’exil dans l’atmosphère glauque (décor Gilles Taschet) d’un bar, aux frontières de Paris.

Anne Bisang, directrice de la Comédie de Genève, a choisi de coproduire ce spectacle (qui bénéficie du soutien de Pro Helvetia) avec le Théâtre des Amandiers à Nanterre. Elle se dit «particulièrement heureuse de réunir des acteurs algériens, français et suisses dans une fresque (…) de portée universelle».

Ce choix l’honore. «Les Sacrifiées» est la plus belle création de cette saison à la Comédie.

swissinfo, Ghania Adamo

«Les Sacrifiées», Comédie de Genève, jusqu’au 2 mai. Tel: 022 320 50 01

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