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«Salomé», femme actuelle

«Salomé», un drame en un acte d'Oscar Wilde, mis en scène par Anne Bisang. Isabelle Meister

La célèbre pièce d'Oscar Wilde est créée à la Comédie de Genève par la directrice des lieux Anne Bisang.

Rencontre avec la metteuse en scène qui évoque ici la modernité d’une héroïne biblique insoumise.

Guerrières ardentes, adolescentes en sursaut ou femmes au foyer révoltées, elles composent depuis quelques années maintenant l’univers théâtral d’Anne Bisang. Des dames illustres, nées sous Shakespeare ou sous la plume d’auteurs contemporains, se profilent de saison en saison sur la scène de la Comédie.

Trait commun: leur insoumission liée à une soif de liberté incoercible, qu’il s’agisse de la Juliette dudit Shakespeare, de la Nora de Henrik Ibsen ou de la Jeanne d’Arc de Bernard Shaw. Autant de figures d’un féminisme avant-l’heure dévisagé par Anne Bisang dans ses différentes mises en scène.

En quête d’absolu

A cette lignée de grandes dames s’ajoute aujourd’hui «Salomé». La Salomé des textes sacrés, telle que «recyclée» par l’auteur anglais Oscar Wilde dans sa pièce éponyme écrite en 1891 et qu’Anne Bisang crée donc le 22 janvier. Dans le rôle-titre: Lolita Chammah, la fille d’Isabelle Huppert.

Cette insistance sur le sort de femmes au combat presque identique laisse songeur. Est-ce donc une obsession chez la directrice de la Comédie?

«Non, répond-elle. Je trouve tout naturel qu’une metteuse en scène s’intéresse à des héroïnes en quête d’absolu. On ne penserait pas à reprocher à un metteur en scène de revenir plusieurs fois dans sa carrière sur des personnages masculins à la trajectoire fulgurante comme Hamlet ou assoiffé de pouvoir comme Richard III ».

Révolution intérieure

Le choix de ses héroïnes est lié en quelque sorte à ce qu’Anne Bisang vit elle-même: une sensation d’appartenir difficilement à ce monde.

«Malgré toutes les avancées, on a du mal encore à intégrer pleinement les femmes à notre société, confie-t-elle. Il suffit pour s’en convaincre d’observer le marché du travail où les hommes restent toujours favorisés».

Ce qui réunit Jeanne d’Arc, Juliette, Nora et les autres, «c’est leur révolution intérieure qui les guide vers l’incertain quand ce n’est pas vers la mort», poursuit-elle.

Erotisme commandé

Ces jeunes femmes ont toutes fait des choix radicaux. Et Salomé n’est pas en reste, elle qui signe sa propre condamnation en défiant le roi Hérode. Sa danse des sept voiles, en échange de laquelle elle obtient la tête de Jean-Baptiste, est l’expression d’un érotisme imposé, voire commandé.

Pour Anne Bisang, cet érotisme tyrannique pointé du doigt par Oscar Wilde (déjà!) marque aujourd’hui un renforcement inquiétant.

«Beaucoup d’adolescentes sont de nos jours obligées de sexuer à outrance leurs corps afin d’avoir une chance de plaire», commente la metteuse en scène.

Le malaise d’une jeunesse

D’où sans doute l’insolence et la violence de certaines jeunes filles actuelles face à un pouvoir politique qui dicte ses lois de séduction. Face aussi à un contre-pouvoir religieux qui dicte ses lois d’abstention.

En cela réside la modernité de Salomé qui annonce en quelque sorte le malaise d’une jeunesse piégée par les tenants du voyeurisme (type Hérode et ses actuels émules) et les défenseurs de l’ascétisme (type Jean-Baptiste).

De ce dernier, Anne Bisang dit: «Son rigorisme est tellement exacerbé par Oscar Wilde qu’il en devient comique. Difficile de ne pas voir en lui un précurseur des intégristes».

swissinfo, Ghania Adamo

«Salomé» d’Oscar Wilde, mise en scène Anne Bisang. A la Comédie de Genève: du 22 janvier au 10 février.
Théâtre Kléber-Méleau, Lausanne: du 19 au 27 février.
Théâtre du Passage, Neuchâtel: 15 et 16 mars.

C’est en 1987 qu’elle débute son parcours de metteuse en scène en fondant la Compagnie du Revoir. Elle crée alors «W.C Dames», un spectacle qui obtient un très grand succès.

Depuis 1999, Anne Bisang dirige la Comédie de Genève. Ses choix artistiques sont marqués par le souci constant d’interroger la réalité sociale.

En amont de ses mises en scène, des textes forts comme «Maison de poupée» d’Ibsen, «Méphisto/rien qu’un acteur» du jeune dramaturge valaisan Mathieu Bertholet ou encore «Les larmes amères de Petra von Kant» de Fassbinder.

Oscar Fingal O’Flahertie Wills Wilde est un écrivain irlandais.

1881: publication des Poèmes, très appréciés du milieu aristocratique.

1884: il épouse Constance Lloyd, qui lui donnera deux fils. Il écrit alors beaucoup : contes, histoires (Le Crime de lord Arthur Saville et autres histoires), essais.

1891: parution de son unique roman : Le Portrait de Dorian Gray. Le succès devient immense avec la représentation des comédies qu’il écrit entre les années 1892 et 1895 (dont De l’importance d’être constant qui dépeint de façon ironique les mœurs des aristocrates anglais).

Il compose aussi, en français, un drame en un acte, Salomé, que Sarah Bernhardt interprète à Paris en 1894.

1891: Wilde tombe amoureux de lord Alfred Douglas, ce qui n’est pas du goût du père de celui-ci qui dénonce publiquement cette liaison.

Wilde l’attaque pour diffamation et non seulement il va perdre mais il est condamné à deux ans de travaux forcés (1895). À l’expiration de sa peine, Wilde, brisé, s’exile en France. Où il décéde d’une méningite cérébrale.

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