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«Tracteur», une mécanique qui grince

Une mise en scène signée Irène Bonnaud. Mario Del Curto

A Lausanne, le Théâtre de Vidy présente la pièce de l'écrivain allemand Heiner Müller dans la mise en scène d'Irène Bonnaud.

La jeune française a du mal à faire entendre les interrogations de l’auteur sur la folie guerrière.

Liberté individuelle contre intérêt collectif et amour de soi contre raison d’Etat. Un combat sans merci que livre Heiner Müller dans sa pièce «Tracteur», écrite en 1955 (et remaniée en 1974).

L’Europe était alors «une ruine». Et «dans les ruines on ne compte pas les morts», écrit le dramaturge allemand. Lequel s’interroge ici sur la difficulté de se penser comme citoyen. Sur la possibilité de se révolter aussi.

Le personnage principal de sa pièce est un tractoriste «héros du travail». Mais héros malgré lui, et c’est ce qui l’use.

«Il hurle comme mille»

Nous sommes en Allemagne, en 1945. Les soldats de la Wehrmacht, qui battent en retraite, posent des mines dans les champs afin d’encombrer l’avancée de l’armée soviétique.

Un an plus tard, c’est la famine. Pour pouvoir manger, il faut labourer les champs infestés de mines. La tâche revient à des tractoristes qui s’y refusent. L’un d’eux, Paul A., accepte à la suite d’une pression exercée sur lui. Il passe donc sa charrue, saute avec et perd sa jambe.

C’est son cri d’infirme que Müller laisse entendre. «Il hurle comme mille» et sa voix est celle de tous les «amputés du monde». Ceux des guerres passées et des guerres à venir. Justement, il y en a une qui se prépare actuellement.

Les victimes qu’elle fera donneront raison à Paul A. qui leur dit: «C’est toi cette chose qui est là à hurler/ Dans la ruine qui était ta chair et ton sang/ Avant que la mine ne t’ait fait sauter hors du monde».

Interprétation hybride

Ecrivain aussi dépité que combatif, Heiner Müller réveille la vigilance du spectateur face à la folie meurtrière des hommes.

Chez lui, «les morts se reproduisent jusqu’au ciel». Forte métaphore que la metteuse en scène Irène Bonnaud écrase, peuplant le «ciel» du théâtre de pantins, accrochés aux cintres comme des pendus.

C’est sans doute la seule bonne idée scénique dans ce «Tracteur» à la mécanique bien huilée. Mais dont le moteur grince, hélas, sous l’effet d’une interprétation débridée et hybride que sauve de justesse François Chattot, très costaud dans le personnage de Paul A.

Pour le reste des rôles, les acteurs mêlent inutilement accents lyriques (danse sur une musique sirupeuse), jeux de cirque, comédie patriotique… Le tout agrémenté d’apartés philosophiques murmurés à l’oreille du public sur le ton d’une confidence larmoyante.

swissinfo, Ghania Adamo

«Tracteur». Lausanne, Théâtre de Vidy. Jusqu’au 2 mars. Tel: 021/619 45 45

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