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A Lausanne, les murs racontent…

Au Mudac, un visiteur traverse une des pièces, ornée de photos du leader nazi Adolf Hitler et de l’artiste français Marcel Duchamp, réalisées par l’artiste allemand Rudolf Herz. Keystone

Les papillons virevoltent entre Adolf Hitler, des canettes de bière et d’autres images audacieuses. Le Mudac (musée de design et d’arts appliqués contemporains) de Lausanne et le musée de Pully célèbrent le retour des papiers peints, alors que le musée de Prangins nous fait voyager dans le passé, afin de découvrir comment les Suisses décoraient leurs murs.

L’ambitieuse exposition ‘Face au mur. Papiers peints contemporains’ de Lausanne présente des œuvres de plus de 50 artistes et designers du monde entier, dont Andy Warhol, Damien Hirst et Virgil Marti.

L’exposition organisée par Marco Costantini, explore le message transmis et les techniques de ce média. Durant les 15 dernières années, le papier peint s’est frayé un chemin pour reprendre le dessus sur les murs blancs. Il a ainsi entrepris sa «révolution» en s’efforçant de jouer un rôle plus significatif, explique Marco Constantini. «Mais, ça reste toutefois ambigu», dit-il à swissinfo.ch. «Est-ce une œuvre d’art ou de la simple décoration. Êtes-ce qu’on fait l’acquisition d’une œuvre de Damien Hirst ou un papier peint décoré par Damien Hirst?»

Habituellement, on considère le papier peint comme de la décoration. Il est partout présent et en même temps invisible, mais lorsque des artistes l’utilisent come support, il commence à «parler», ajoute Constantini.

L’exposition dans les deux musées regroupe 13 thèmes différents, dont la politique, la société de consommation, les emballages, les motifs damassés, les nouvelles technologies et les tendances, les motifs conceptuels, hybrides ou répétitifs.

La vache

En 1966, Andy Warhol présenta sa célèbre ‘vache’, une vache rose sur fond jaune, décorant une pièce entière de la galerie Leo Castelli de New York. Selon l’artiste, le choix du papier peint en tant que support à son œuvre était justifié: «J’aime les choses ennuyeuses. J’aime que les objets soient toujours semblables et se répètent encore et encore.»

Le Mudac a dédié une paroi entière à Andy Warhol et son papier peint ‘Mao’ de 1974, représentant le président Mao Zedong en violet dans des formes ovales. Ici ce n’est pas uniquement la répétition du motif qui est intéressante, l’œuvre est également perçue comme outil de propagande et de contrôle social.

D’autres artistes engagés, tels que Francesco Simeti, Parastou Forouhar et General Idea, dénoncent, au travers de leurs ‘papiers peints’, les injustices sociales, politiques et raciales. Au Musée de Pully, une paroi entière est recouverte par les blocs de couleurs des ‘Inflammatory Essays’ (Essais inflammatoires) de Jenny Holzer, une série d’écrits publiées entre 1979 et 1982, aux idées extrémistes qui invitent au débat.

L’œuvre de l’artiste allemand Rudolf Herz, le ‘Zugzwang’, est une de plus marquantes ici, avec un échiquier représentant des portraits d’Adolf Hitler et de l’artiste avant-gardiste Marcel Duchamp côte à côte, réalisés par le même photographe dans les années 20. Ailleurs, l’artiste parisien Claude Closky crée des images à répétition de biens de consommation en deux couleurs qui frappent l’esprit tout en délivrant un message social.

Des pilules et des mots à répétition

Les artistes et les designers peuvent ici laisser libre cours à leur imagination sur des toiles géantes allant du sol au plafond.

L’artiste britannique Damien Hirst utilise des moyens visuels tels que des pilules et des papillons, Studio Job joue avec des squelettes et Hanspeter Hoffmann découpe des parties de corps qui offrent un résultat spectaculaire, une fois disposées sur un mur géant. En recouvrant une paroi par les mots ‘Conceptual decoration’ répétés à l’infini, Stefan Brüggemann et son papier peint poussent le concept aux limites. Ces mots dupliqués sur une grande surface engendrent une sorte de fascination, une forme rythmique semblable à la répétition graphique géante de l’expression ‘Action Acoustique’ de Françoise Doléac.

D’autres points forts jalonnent encore l’exposition: les canettes de bière de Virgil Marti rendent hommage au Pop Art et aux boîtes de soupe Campbell et bouteilles de Coca-cola d’Andy Warhol. Son autre œuvre ‘Bullies’, une revanche humoristique sur les tyrans de son enfance, est la pièce la plus chère de l’exposition, évaluée à 8000 francs pour une paroi.

Parmi les résultats les plus inattendus, la création de l’artiste allemande Brigitte Zieger propose une déformation technologique des motifs de la Toile de Jouy en créant un papier peint mobile. Elle projette des images d’un char en mouvement, des formes qui explosent, le tout agrémenté d’effets sonores.

A travers le temps

Les amateurs de papiers peints de Suisse romande sont gâtés actuellement, car en plus de l’exposition contemporaine, au bord du lac, le Château de Prangins dévoile une riche collection de papiers peint qui retracent son évolution depuis le 16ème siècle à nos jours.

En 1975, lorsque les autorités fédérales on reprit le château, il était vide, mais des historiens de l’art ont découvert, dissimulés derrière ces parois, des trésors historiques. «Dans une des pièces, nous avons trouvé sept couches différentes de papiers-peints, qui donnent un aperçu extraordinaire de l’évolution de ce genre de décoration depuis 1760 jusqu’en 1930», explique Helen Bieri Thomson, la directrice de cette exposition intitulée ‘La poésie des murs’. On y a rassemblé des papiers peints de plusieurs bâtiments historiques de la région.

On situe l’origine du papier peint en Angleterre à la fin du 17ème siècle avant de venir en France. L’âge d’or se situe entre 1780 et 1810, lorsque l’aristocratie française commença d’orner ses salons avec des motifs conçus notamment par la société Réveillon, la Rolls-Royce du papier peint. A Prangins, quelques exemples de cette époque sont exposés, ainsi qu’une vue spectaculaire d’un décor alpin traditionnel, très populaire dans le monde au 19ème siècle. De faux papiers peints en bois décorant des portes, des parois et des poutres en Suisse à la fin du 16ème siècle sont également présentés ici.

«Les gens ne se rendent pas compte de cet important héritage artistique et culturel. En Suisse, nous n’avons pas de réelle tradition du papier peint, parce qu’on n’en fabriquait que très peu», explique Helen Bieri Thomson. Le papier peint est considéré par beaucoup de musées suisses et d’historiens comme étant le parent pauvre, ajoute la directrice. «Mais en Suisse, comme en Grande-Bretagne, beaucoup de foyers conservent des papiers peints, et dans des endroits tels que le Château de Mézières, datant du 18ème siècle, ils sont dans un état de conservation remarquable.»

L’exposition ‘Face au mur. Papiers peints contemporains’ de Lausanne est présentée en partie au Mudac, près de la cathédrale, et au Musée de Pully, à l’est du centre-ville.

L’exposition est ouverte jusqu’au 13 février 2011.

L’exposition ‘La poésie des murs’ au Château de Prangins est ouverte jusqu’au 1er mai 2012.

Le Château de Mézières propose une exposition sur le papier peint Art Deco jusqu’au 27 mars 2011.

(Traduction de l’anglais: Philippe Varrin)

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