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A Montreux, Joan Baez émeut à défaut de convaincre

Une Américaine fidèle à ses convictions, toujours concernée.

La maladresse n'exclut pas l'émotion, comme l'a montré la très attendue Joan Baez au Montreux Jazz Festival dimanche. Un concert qui, s'il ne restera pas dans les annales, a offert au nombreux public une heure en tête à tête avec cette belle femme digne.

Son retour était attendu. L’un des gros événements de cette 42e édition. Joan Baez n’était plus venue à Montreux depuis deux décennies. Et en 73 la première fois. De l’eau sous les ponts, des larmes et du sang.

Même si la chanteuse américaine est moins en pointe des grands combats ces dernières années, elle intervient ponctuellement. Elle chante contre l’exécution de Tookie Williams en 2005. Au Texas ou Washington, elle sort sa guitare contre la guerre en Irak. Dans le sud de Los Angeles, elle proteste contre la fermeture d’une ferme communautaire.

Et cette année, cette grande figure de la contestation a choisi d’appuyer Barack Obama dans la course à la Maison Blanche. Jusqu’ici, elle s’était toujours refusée à soutenir le moindre candidat. Ses combats concernent les gens d’en bas, pas les politiciens d’en haut.

«La personne la plus surprise, c’est moi, explique-t-elle à Montreux. Mais j’aurais fait preuve d’une rigidité excessive en ne l’appuyant pas. Je n’ai jamais observé un tel phénomène. (…) La question maintenant est de savoir ce qu’il arrivera à faire.»

Fidèle à ses convictions

Après toutes ces années, Joan Baez reste fidèle à ses convictions – la non-violence en particulier. Elle ne souhaite pas un retour aux années soixante mais observe de l’intelligence et de la volonté chez beaucoup de jeunes. «Les rêves sont assez semblables».

Face au monde qui progresse ou non, la chanteuse n’est pas désabusée. Elle estime «le changement constant, par petits pas. (…) Et même si aucun espoir n’était plus permis, chacun devrait conserver sa décence, sa compassion»…

Avec ce regard toujours aussi droit, ce sourire qui élève, la bientôt septuagénaire ne songe pas à la retraite, malgré ses plus de cinquante ans de carrière. «Rester à la maison, avec ma famille, c’est très séduisant. Mais chanter aussi. Tant que ma voix tient.»

Joan Baez a imposé Bob Dylan au monde. Qu’écoute-t-elle aujourd’hui? Rufus Wainwright, par exemple. Et Joan Baez! – «I think she was brilliant», plaisante-t-elle. C’est que sa voix n’est plus tout à fait ce qu’elle était. Dimanche en tout cas.

Une voix fragilisée

Moins ample, moins douce, cette voix s’est fragilisée. Joan Baez chante davantage avec le souffle. Elle évite les écarts trop périlleux, hésite, alors que sa main gauche peine parfois à venir à bout du manche de guitare.

Sur scène avec trois musiciens très roots et country (guitares, basse et batterie), chemisier de soie et foulard rouge, Joan Baez livre un concert un peu bricolé, souvent émouvant, toujours digne, devant un public gagné d’avance.

Pour initier son florilège, «Farewell Angelina». Dans la salle, les yeux brillent. Elle poursuit avec un titre («God is God») du nouvel album promis pour septembre.

«Certains chansons étaient appropriées à l’époque, elles le sont redevenues. C’est une bonne chose, j’aime les chanter. C’est aussi une mauvaise chose: je dois les chanter». Joan Baez reprend donc des classiques de la contestation. Elle chante aussi un «Gracias a la vida» sur le mode Calexico et une prière à capella dédiée à Obama.

Une chanson pour Ingrid

Montreux lui a demandé une chanson en français. L’Américaine émeut, malgré le papier qui lui tient lieu de béquille, avec la chanson de Renaud consacrée à Ingrid Betancourt. «Nous ne serons libre que quand tu le seras».

Johnny Cash est convoqué – «un gars fabuleux, un diable». Mais aussi Leonard Cohen (Un «Suzanne» cahotant, presque déconstruit). Et Lennon («Imagine») pour clore la petite heure de concert en quinze chansons.

Suivront deux titres en rappel, les inévitables «Here’s to you» et «Dona dona» que Joan Baez chante seule – délicate et intègre, devant un public qui aimerait la retenir pour toujours.

Programmée en fin de soirée, elle était précédée de deux fines gâchettes dans leur genre. La sophistiquée Melody Gardot et sa musique jazzy gentiment feutrée d’abord, K.d. lang ensuite. Une femme crooner maîtresse ès show, qui donne à sa country un pathos apparemment contagieux. Une autre façon de voir le monde.

swissinfo, Pierre-François Besson à Montreux

L’Américaine est née dans l’Etat de New York de parents mexicain et britannique. Vers l’âge de dix ans, elle passe un mois en Suisse après un éprouvant séjour de huit mois à Bagdad. Elle en retient les montagnes et le «merveilleux lait».

Sa voix de soprano vibrée, sa musique folk et country, ses textes, ses prises de positions pour la non-violence, l’environnement, les droits civils et des homosexuels, mais aussi contre la guerre (Vietnam, Irak), la pauvreté, la peine de mort en ont fait une figure mythique de la contestation et de la musique américaine du 20e siècle.

A 67 ans, Joan Baez sortira en septembre son 24e album studio. Des titres de Tom Waits, Elvis Costello, Patty Griffin ou Steve Earle composeront ce «Day After Tomorrow».

Melody Gardot est née en 1985 en Pennsylvanie. Elle a sorti deux albums, dont le dernier «Worrisome Heart», qui évoque une Norah Jones nocture.

Auteure, compositrice et chanteuse country, Kathryn Dawn Lang (k. d. lang) est née en 1961 au Canada. Elle a une quinzaine d’albums de country (dont «Watershed» cette année) et quatre Grammy Award à son actif.

Cette 42ème édition a lieu du 4 au 19 juillet.

Au total, les deux scènes verront défiler près de 90 groupes.

Une trentaine de concerts sont des exclusivités suisses, dont ceux de Sheryl Crow, Joan Baez, The Raconteurs, Leonard Cohen et Madness, Gnarls Barkley et Travis, Etta James et les Babyshambles.

Maintes animations complètent la programmation, dont 250 concerts et DJ gratuits, des croisières sur le Léman et des voyages musicaux en train.

Les organisateurs disposent d’un budget de 18 millions. L’édition précédente avait attiré 220’000 personnes.

Le festival a été créé en 1967 par Claude Nobs, toujours aux commandes. De nombreux disques live y ont été enregistrés.

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