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A quoi pense donc un mythe?

Bob Dylan. Keystone

Bob Dylan jouait dimanche soir à Montreux dans le cadre du 35e Jazz Festival. Survol d'un répertoire historique dans des interprétations parfois déconcertantes et souvent musclées.

A la différence des autres soirées, un seul artiste est à l’affiche de l’Auditorium Stravinsky. Personne après, personne avant… Juste de la musique classique, histoire de rappeler qu’on n’attend pas n’importe qui.

De chaque côté de la scène, les écrans géants sont vides, et le resteront: pas de caméra pour Robert Allen Zimmerman, ni le moindre photographe autorisé. Photographie-t-on un mythe? Un concert de Dylan, en matière d’image, c’est plus top secret qu’une base militaire chinoise.

Vêtu d’une chemise blanche et d’un costard noir, chaussé de boots tout aussi noires et blanches, l’homme entre en scène entouré d’un groupe country – batterie, contrebasse, deux guitares acoustiques, plus la sienne.

Dans le cas d’une star conventionnelle, on reconnaît une chanson aux premières notes de sa mélodie. Avec Dylan, exclu: déconstruction et reconstruction permanentes, c’est grâce à une phrase qu’on repère soudain qu’on parvient à mettre un nom à une chanson pourtant mille fois entendue: ainsi en va-t-il de «It’s All Over Now, Baby Blue», «Visions Of Johanna» ou «It Ain’t Me Babe».

Impression étrange: sentiment que Dylan est là et qu’il n’est pas là. La silhouette est la même depuis toujours, le visage marqué fixe le public… Mais le voit-il seulement? On se demande ce qui se passe dans cette tête, lieu mystérieux et vraisemblablement insondable.

Malgré quelques poussées électriques, la première heure est assez morne. Tout va changer dès la mi-temps, avec un «Rainy Day Women # 12 & 35» énergique et une première fausse sortie. La cavalcade des tubes récents et des hymnes anciens peut alors commencer: «Things Have Changed», «Like A Rolling Stone», superbe et tonitruant, «All Along The Watchtower», «Knocking On Heaven’s Door», «Dignity», furieux et speedé… et «Blowing In The Wind».

Dylan se détend à vue d’œil et profite de la mécanique rock bien huilée de ses quatre musiciens pour aligner des solos de guitare minimalistes et maladroits, copieusement salués par un public peu regardant – 3500 personnes environ, dont la conseillère fédérale Ruth Metzler. Dylan se tortille, swingue de la jambe gauche, prend des poses de rocker…

Piètre guitariste soliste, c’est certain. Mais grand chanteur, encore, toujours, à condition qu’on n’ait pas Céline Dion ou Patrick Fiori comme références ultimes en la matière. La voix est ferme, juste, intense… mais malmenée, distordue, voguant quelque part entre le cri et le feulement.

Dylan ressortira, puis reviendra encore. Public heureux, sauf les quelques-uns sortis vraisemblablement pour cause de décibels en folie: ceux qui prenaient Dylan pour un tendre folkeux, il y en a encore. Public heureux. Et l’artiste? Dur à dire: un mythe peut-il être heureux?

Bernard Léchot

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