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Bienne, quand «Kino» se dit «cinéma»

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Le 5ème Festival du film français d'Helvétie, c'est son nom, s'est ouvert jeudi soir avec la projection de «Complices», de Frédéric Mermoud. Un festival aux ambitions aussi politiques qu'artistiques, que parraine cette année l'acteur Bruno Todeschini.

Bienne, au pied du Jura. Ville industrielle et bilingue, dont la réputation première n’est pas la jovialité. A tort? Jeudi soir, les terrasses de café qui inondent le centre ville débordent de monde, une rue arbore des palmiers, une ambiance estivale souffle sur la ville malgré le ciel gris de ce presque début d’automne.

«Bienne a toujours été une ville vivante, très créative sur le plan culturel. Cela se voyait moins auparavant, parce que dans les années de dépression, 1970 à 1980, elle avait un visage plus triste. Aujourd’hui elle a un visage riant – et là, vous tombez bien, puisque, à part le festival, il y a actuellement l’Exposition suisse de sculpture et les Journées photographiques», s’enthousiasme Pierre-Yves Moeschler, responsable de la culture (ainsi que de la formation et de la prévoyance sociale) à l’Exécutif de la ville.

Intérêts réciproques

Le FFFH – optons pour ce sigle plutôt que pour ‘Festival du film français d’Helvétie’, dénomination moyennement heureuse – en est à sa cinquième édition. Un festival qui ne cache pas que derrière la motivation artistique se trouve également une motivation politique: le dialogue interculturel. Il en a même fait son cheval de bataille: les films sont sous-titrés en allemand, les «podiums» qui suivent les projections sont parfois traduits.

«Pour la ville de Bienne, c’était essentiel, dès le départ de soutenir ce festival. Bienne étant bilingue, le côté francophone parfois n’est pas suffisamment perçu de l’extérieur. Nous trouvions donc intéressant de pouvoir utiliser ce festival pour le rayonnement de la ville, et que le festival comme le cinéma français puissent utiliser la ville de Bienne comme porte d’entrée vers la Suisse alémanique», explique Pierre-Yves Moeschler.

Et cela fonctionne. Chaque année, la fréquentation du modeste festival (l’essentiel se concentre sur trois jours, dans deux salles) augmente, avec une solide participation germanophone. La Confédération, sans soutenir financièrement le festival pour le moment, lui témoigne son intérêt. Pour la troisième fois consécutive, Jean-Frédéric Jauslin, patron de l’Office fédéral de la culture, était présent à l’ouverture, escorté de son très médiatique chef de la Section cinéma, Nicolas Bideau.

«Complices»

Le FFFH vise à promouvoir le cinéma français en général. Et les coproductions franco-suisses en particulier. Le choix de «Complices» du Valaisan Frédéric Mermoud, présenté en première mondiale à Locarno, était donc logique (lire ‘Léopard d’or: la Suisse en lice avec un polar’).

Un film de genre, puisque polar, mais qui guigne allègrement hors du cadre convenu pour mettre en avant des personnages dessinés avec profondeur, qui refusent toute caricature. L’intrigue a beau se dérouler à Lyon, à aucun moment on ne tombe dans le cliché des Cités et du flic rouleur de mécanique.

Prostitution, Internet, crime. L’histoire d’une double dérive, celle de deux ados qui ne réalisent pas où leur insouciance peut les mener, interprétés brillamment par Cyril Descours et Nina Meurisse. Et, en creux, la vie intime de ceux qui enquêtent, l’inspecteur Cagan (Gilbert Melki) et sa collègue (Emmanuelle Devos).

Les cinéastes romands n’ont pas tort de s’expatrier: leur talent prend d’autres couleurs. Mais Frédéric Mermoud n’a pu faire le déplacement de Bienne: une troisième paternité l’a retenu à Paris! Le comédien Gilbert Melki était par contre bien là, et à disposition du public après la projection.

Le Parrain

Autre séducteur du 7ème Art présent à Bienne: Bruno Todeschini, qui a tourné pour Chéreau (‘La Reine Margot’, ‘Son frère’), mais aussi Téchiné, Rivette, Zeitoun, Desplechin, pour ne citer que quelques uns des réalisateurs de la cinquantaine de films auxquels il a participé.

Bruno Todeschini, né en 1962… à Neuchâtel, et qui en venant à Bienne, a pu goûter à sa madeleine de Proust: «Là, j’ai refait la route entre Neuchâtel et Bienne, ça m’a rappelé toutes mes balades de quand j’étais enfant, les tours à vélo, l’Ile Saint-Pierre. Ce coin, avec le Jura à gauche, le lac à droite, c’est vraiment merveilleux». Des propos que ne contredirait pas Jean-Jacques Rousseau – ah, la Cinquième Promenade! Et que l’acteur nous tient en début de soirée, lors du cocktail très fashion qui précède l’ouverture officielle de la manifestation.

Quoique habitant Paris, Bruno Todeschini reste un fidèle de la région: «Ma mère est là, une partie de ma famille aussi, une autre à Pontarlier, donc pas loin, j’ai toujours des amis d’enfance… Je suis forcément très attaché: je suis né à Neuchâtel et j’y ai vécu vingt ans».

«Parrain du festival», qu’est-ce que cela signifie pour Bruno Todeschini? «Arriver à 18h30 et répondre à des journalistes!», rigole-t-il. Et de commuter sur l’importance de parrainer le cinéma français, ainsi que de soutenir les langues, nos langues, qui ont tendance à s’effilocher sous les coups de boutoir anglo-saxons. A noter qu’il participera samedi à une rencontre organisée par le Forum du bilinguisme: «Oui, mais attention, je ne parle pas suisse allemand. L’italien, oui, mais pas le Suisse allemand», précise-t-il, peut-être un peu inquiet.

Todeschini, une cinquantaine de films, des participations à des séries télévisées ou à des téléfilms… un parcours de boulimique! «Je travaille pas mal, c’est vrai, explique-t-il. Ça s’est un peu bousculé après ma nomination aux Césars pour le film ‘Son frère’ de Chéreau, qui sera projeté samedi. Et puis j’ai été nommé comme meilleur acteur européen, alors ça a fait boule de neige. Dans la foulée, j’ai fait un film argentin, un film allemand, un autrichien, un italien… J’aime bien ce CV!»

On le comprend. Et puis à tout cela, il faut ajouter le théâtre. Il jouait en 2008 dans ‘Elle t’attend’ de Florian Zeller aux côtés de Laeticia Casta. «Je n’avais pas fait de théâtre depuis 19 ans!» dit-il, comme pour se trouver une bonne raison. Car le cinéma reste ce qu’il aime par-dessus tout.

«Mon truc, c’est le cinéma. J’adore ça. J’aime la dimension du cinéma, la caméra, le micro, les 40 personnes qui sont autour, moteur, action! Et c’est à ce moment-là qu’il faut y aller… pas dans dix minutes, pas dix minutes avant, c’est là! Parfois on attend trois heures, mais il faut être prêt, à ce moment précis. Quelque part, bizarrement, toutes ces contraintes techniques m’aident.»

Jolie façon de dire cette chose étrange qu’est un plateau de tournage. Et ce drôle de métier, entre supercherie et don de soi.

Les Biennois ont trois jours pour y songer…

Bernard Léchot, Bienne, swissinfo.ch

5ème. La 5ème édition du Festival du film français d’Helvétie (FFFH) a lieu à Bienne du 16 au 20 septembre.

Pont. Il se veut un pont entre les communautés romande et alémanique en utilisant le langage universel qu’est le cinéma – français en l’occurrence. En 2008, le public alémanique représentait plus du tiers de la fréquentation du festival.

Catégories. Les films – dont de nombreuses premières, nationales ou régionales – sont répartis en trois catégories: les films distribués en Suisse, les productions suisses/coproductions avec la France et les films non distribués en Suisse.

Sous-titrés. Cette année, le FFFH propose 27 films en version originale sous-titrée en allemand.

Bilingue. Bienne (environ 50.000 habitants) est située au pied du Jura (francophone) et dans le canton de Berne (à majorité germanophone).

Langues officielles. Le français et l’allemand sont les deux langues officielles de la ville.

60-40. 60% de la population est germanophone, 40% est francophone.

1-2-3. 36,9% des habitants sont monolingues, 32,9% bilingues et 20,3% sont trilingues ou plus.

Origines. Frédéric Mermoud est né en 1969 à Sion.

Etudes. Il passe sa maîtrise de lettres à l’Université de Genève en 1994.

Formation. Entre 1995-99, il poursuit des études à l’École Cantonale d’Art de Lausanne (ECAL) et y obtient un diplôme de réalisateur en audio-visuel. Il y enseigne aujourd’hui.

Distinction. En 2004, il reçoit le Prix du cinéma suisse du meilleur court-métrage pour L’Escalier.

Filmographie. Frédéric Mermoud compte jusqu’ici essentiellement des courts-métrages et des documentaires à son actif.

Neuchâtel. Il est né le 19 Septembre 1962 à Neuchâtel.

Amandiers. Après avoir suivi des cours à l’Ecole Supérieure d’Art Dramatique de Genève, Bruno Todeschini intègre en 1986 le Théâtre des Amandiers de Nanterre, animé par Patrice Chéreau et Pierre Romans.

Chéreau. Il fait sa première apparition à l’écran dans ‘Hôtel de France’, réalisée par Chéreau en 1987. L’acteur retrouvera régulièrement celui-ci sur les plateaux de cinéma, de ‘La Reine Margot’ à ‘Son frère’ en 2003.

Tous azimuts. Malgré une prédilection pour le cinéma d’auteur, nouvelle génération (Desplechin, Ferran) ou ancienne (Rivette, Téchiné), il s’autorise des incursions vers un cinéma plus commercial (‘Fanfan’, ‘Le Libertin’, ‘Agents secrets’.

Sorties prochaines. A part «Complices» de Frédéric Mermoud, on verra bientôt Bruno Todeschini dans «Lourdes» de Jessica Hausner, aux côtés de Sylvie Testud.

Forum. A Bienne, le ‘Forum du bilinguisme’ organise une rencontre avec Bruno Todeschini le samedi 19 septembre à 10h00, suivie de la projection du film ‘Son frère’, de Patrice Chéreau.

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