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«Des films qui nous racontent des histoires de nous-mêmes»

Jean Perret pose un diagnostic nuancé sur la production actuelle du cinéma du réel. (vdr)

Des films grand public, des thématiques politiques, des noms connus sont au programme de Visions du Réel, du 17 au 23 avril à Nyon. Avant-goût avec Jean Perret, directeur du festival.

Liberté de la presse en Russie, torture, immigration en Europe, Patti Smith en icône rock, quête du père, combats d’animaux font partie des sujets abordés par la vingtaine de films en compétition internationale.

Parmi leurs auteurs, les deux Suisses Yves Scagliola («The beast within») et François Kohler («Cher Monsieur, Cher papa»).

Cette année, d’une section à l’autre de sa programmation, Visions du Réel fait aussi rimer Gaël Métroz avec Nicolas Bouvier, Jonathan Demme avec Jimmy Carter ou Julian Schnabel avec Lou Reed.

swissinfo: Quels seront les points forts de cette 14e édition?

Jean Perret: De façon concertée, la direction du festival programme des longs métrages du réel pour le grand public. Une ligne de programmation qui doit démontrer, encore et toujours, que ces films sont faits pour le public le plus large possible. C’est un premier élément.

Deuxième axe, plus thématique: la présence plus marquée cette année de films à dimension politique. Je pense à des films qui se confrontent à la liberté d’expression en Russie.

Je pense aussi au film d’un Chilien, exilé au Canada pendant la dictature, qui thématise la question de la torture telle qu’elle est pratiquée par les Etats-Unis en Irak, pour ensuite remonter dans l’histoire du continent sud-américain («Sous la cagoule – Un voyage au bout de la torture»). Un cinéma plus politique donc – pas au sens partisan et militant – mais de l’explication, de l’approfondissement des thèmes.

Troisième tendance, celle d’un cinéma qui aime la musique. Avec cette année trois films pour ce grand public précisément – un film consacré à Patti Smith, un autre à Lou Reed, un troisième où l’on suit le Philarmonique de Berlin en Asie, qui quête le son parfait.

La quatrième tendance, c’est le cinéma à tendance autobiographique, le cinéma «je», surtout possible grâce à l’existence de petites caméras vidéo. Chacun peut prendre une caméra et se raconter. Il y a à Nyon cette dimension d’un cinéma plus intimiste, qui explore un territoire le plus proche possible du cinéaste.

swissinfo: La lecture du menu de la compétition internationale ramène à la noirceur, à la brutalité. Le cinéma du réel est-il obligatoire rugueux et lourd?

J.P.: Oui et non. Effectivement, le cinéma du réel s’intéresse aux réalités du monde, passées et présentes. Il s’intéresse aux endroits où se trouvent des questions, des problèmes, de la souffrance, des injustices. On dit que les peuples heureux n’ont pas d’histoire. Le cinéma du réel a besoin d’histoires et, donc, de situations faites de contradictions ou de tensions. Malheureusement, c’est vrai.

Mais il y a aussi un cinéma du réel qui, en s’adressant à ces noirceurs, cherche toujours à remettre en lumière la dignité humaine. Les raisons qu’il y a d’espérer.

swissinfo: Y a-t-il des films qu’on ne verra jamais à Visions du Réel?

J.P.: Sans doute. Nous cherchons dans chaque film un regard, un point de vue, une vision qui soit portée par une éthique du regard, par une morale, par des valeurs qui nous sont importantes – les valeurs de respect des droits de l’homme, de la dignité humaine, de la démocratie au sens large.

Toutes ces valeurs consistent à postuler un spectateur qui n’est pas un consommateur mais un citoyen. Si elles ne sont pas incarnées par les films, ces films-là, on ne les verra pas.

swissinfo: Quel est votre diagnostic sur la production actuelle du cinéma du réel?

J.P.: Première chose, il n’y a pas dans le monde de production documentaire du réel intéressante, dynamique, qui prend des risques, qui cherche et crée, sans une politique culturelle clairement définie, qui soutient ce genre de production. A cet égard, des régions entières du monde sont sinistrées.

Ceci dit, la révolution technologique, avec les petites caméras DV, permet à beaucoup de gens de pouvoir s’exprimer. En Chine, il n’y a aucun subventionnement public de films d’auteurs indépendants dans le domaine du documentaire. Mais on voit des films éclore grâce à ces technologies nouvelles.

Le diagnostic est nuancé. A la fois, nous tous, à des degrés plus ou moins conscients, avons plus qu’hier besoin de voir des films dont les histoires soient vraisemblables, aient le goût de l’authenticité. Des films qui nous racontent des histoires de nous-mêmes. Il y a de ce point de vue-là un extraordinaire potentiel pour l’affirmation d’un cinéma d’auteurs indépendants, qui prennent le risque d’exprimer leurs visions, leur subjectivité.

Mais il y a lieu aussi d’être pessimiste, dans la mesure où, en général, les partenaires essentiels en termes de financement et de diffusion sont les télévisions. Or, les télévisions impriment au cinéma du réel des normes extrêmement réductrices et paralysantes.

swissinfo: Dans la section «Helvétiques», vous présentez un film autour de Nicolas Bouvier. Qu’est-ce qui fait qu’en Suisse, on revient sans cesse à cet auteur?

J.P.: Le titre du film est un peu illusoire. «Routes et déroutes avec Nicolas Bouvier» (présenté en première mondiale) part de la rencontre du jeune cinéaste avec Bouvier et ses bouquins. Mais le film est en fait l’initiation de Gaël Métroz, le cinéaste, à travers son propre voyage. Bouvier est plutôt une figure tutélaire, paternelle.

Bouvier, cela dit, c’est d’une part la qualité d’écriture de l’auteur. Je le tiens pour un très grand écrivain – une écriture étincelante. Par ailleurs, il y a toujours eu dans l’inconscient collectif helvétique l’idée d’aller ailleurs, de voyager. (…) Il y a cette tradition du grand voyage dans le cinéma du réel suisse. Et ce film prend place dans cette tradition.

Interview swissinfo, Pierre-François Besson

Visions du Réel est le premier festival de cinéma de Suisse romande et fait partie des trois principaux du pays, avec Locarno et Soleure. Il a attiré 25’000 spectateurs en 2007.

Relancé en 1995 sous sa forme actuelle consécutive à une première formule initiée en 1969, il présente un cinéma en prise directe avec le réel qui dépasse les limites du strict documentaire.

Visions du Réel est aussi un rendez-vous central pour les producteurs et distributeurs européens. Le marché Doc Outlook propose cette année un choix de 250 films.

14e édition de Visions du Réel à Nyon du 17 au 23 avril.

Palmarès le mercredi 23 en soirée.

155 films de 36 pays.

22 films en compétition internationale, dont 2 suisses.

Dix sections, dont une nouvelle – «First steps» – montrant des premières réalisations de films courts.

Deux ateliers consacrés au Français Jean-Louis Comolli et à l’Allemand Volker Koepp.

2,1 millions de francs de budget.

Né en 1952, Jean Perret dirige le festival Visions du Réel depuis 1995.

Auteur d’un mémoire consacré au cinéma documentaire suisse des années 30, il a enseigné et fait le journaliste durant de longues années.

Il fut délégué général de la Semaine de la Critique au Festival de Locarno entre 1990 et 1994.

Et contribue à plusieurs instances de promotion, de production et de diffusion du cinéma.

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