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«Les Romands me boudent»

Lionel et Lucie (Natacha Koutchoumov), à la recherche de leurs racines polonaises. (image tirée du film «Comme des voleurs (à l'est)»)

«Comme des voleurs (à l'est)», quatrième long métrage de Lionel Baier, vient de sortir en France, où le jeune réalisateur romand passe désormais la moitié de son temps.

A swissinfo, Lionel Baier parle de ses rapports à la Suisse, à la France, et plus généralement, à l’Europe.

swissinfo: «Comme des voleurs (à l’est)» est le premier élément d’une tétralogie sur les points cardinaux, à travers l’Europe. N’est-ce pas particulier comme choix, pour un suisse, non-membre de l’Union européenne (UE) ?

L.B.: En Suisse, nous sommes témoins tous les jours de la construction européenne, nous sentons que les liens qui nous unissent vont au-delà de Schengen. A l’école, j’étais en contact avec des Portugais, des Espagnols, des Allemands. Nous n’étions que deux ou trois Suisses dans la classe ! Aujourd’hui à Lausanne, on voit des journaux dans toutes les langues en vente dans les kiosques …

Partir de Suisse pour faire un film sur l’Europe, c’était chercher ce qui nous unit. J’ai l’habitude de dire que nous sommes le «plus petit dénominateur commun». Il existe toujours quelque chose qui nous relie aux autres. Dans la manière de donner une adresse, par exemple… nous disons «Rue de l’Ale 3» et non «3, Rue de l’Ale», comme les germanophones. D’un autre côté, nous parlons français ou italien, ce qui nous relie au mode de vie latin.

swissinfo: Pourquoi avez-vous quitté la Suisse alors que vous y travaillez ?

L. B.: Les Suisses, nous avons une chance énorme, c’est celle d’être obligés de partir. Un Parisien peut vivre, trouver des financements et tourner à Paris. C’est impossible en Suisse et c’est une très grande chance !

La Suisse est un pays formidable, parce qu’il permet d’en partir très vite… je vous dis ça sans ironie aucune ! Je trouve incroyable d’être à quelques heures de Milan, Paris ou de Londres. Pour moi, c’est l’endroit parfait, parce que j’aime cette idée de vivre «en Europe» et non de m’installer dans une ville.

swissinfo: Vous avez dit que «Comme des voleurs (à l’est)» existe grâce au public français et à l’accueil qu’il a réservé à votre précédent film. Avez-vous un lien particulier avec lui ?

L. B.: Le public français est important, car il détermine beaucoup l’opinion internationale d’un film. Je pense que je fais aussi un cinéma qui touche plus le public français que le public suisse. Mes films n’ont jamais marché en Suisse, même pas «Garçon stupide», qui est peut-être le seul film suisse romand des vingt dernières années à avoir été distribué dans plus de vingt territoires, dont les Etats-Unis.

En fait, un Suisse a besoin de se faire connaître hors de son pays pour qu’on lui trouve du talent, de l’intérêt. Les Suisses, ou en tout cas les Romands, me boudent. Typiquement, le fait que je sois l’acteur principal de mon film et qu’il porte mon nom, en Suisse, ça ne se fait pas. En France, les gens ont noté une part de narcissisme, mais jamais ils n’ont remis en cause le fait que je joue dedans.

Le film heurte très fortement un affect suisse romand, lié au calvinisme: un besoin d’humilité, de ne pas faire parler de soi. Nanni Moretti et d’autres réalisateurs le font, mais en Suisse romande, ça ne passe pas.

swissinfo: Y a-t-il une place pour le cinéma suisse en France ?

L. B.: Aucune ! Comme il n’y a pas de place pour le cinéma espagnol, anglais ou allemand: il n’y a que des films qui peuvent se faire une petite place. Pour le cinéma suisse c’est encore plus difficile que pour les autres, parce qu’il n’a pas d’identité culturelle propre comme les cinémas espagnol ou danois – du moins les films d’exportation.

En plus, nous sommes trop proches pour être exotiques. Les films sud-américains ou maghrébins attirent un public curieux de voir comment ça se passe ailleurs. En Suisse, c’est au créateur de trouver sa place, mais il ne peut pas jouer la carte suisse comme une valeur ajoutée. Dire que ça fait longtemps qu’un film suisse n’est pas sorti sur les écrans français, c’est comme penser qu’on n’a pas vu de film luxembourgeois depuis longtemps, ça n’a pas de sens !

swissinfo: Nicolas Bideau, le patron de la section cinéma de l’Office Fédéral de la Culture, veut donner une orientation plus populaire au cinéma suisse, est-ce une bonne chose ?

L. B.: Je pense que ses mots dépassent sa pensée. Je peux adhérer à sa volonté de faire du cinéma populaire, mais ça ne peut pas être le seul cinéma. Quand «Grounding» ou «Meine Name ist Eugen» font des milliers d’entrées, ça m’aide, moi, à faire de petits films d’auteur. Mais s’il n’y a que du cinéma populaire, ça ne s’exporte pas. A part les Etats-Unis, c’est comme ça pour tous les pays: le cinéma qui s’exporte, c’est le cinéma d’auteur.

Il faut un binôme: des films populaires pour le marché national et des films d’auteur, comme des «ambassadeurs de luxe» à l’étranger.

Interview swissinfo: Miyuki Droz Aramaki à Paris

Né en 1975 à Lausanne, dans une famille suisse d’origine polonaise, il est réalisateur, scénariste, directeur de la photographie et acteur dans son dernier film.

De 1995 à 1999, il suit des cours de cinéma à la Faculté des Lettres de l’université de Lausanne. Dès 1992, il programme et cogère le cinéma d’Aubonne, dans le canton de Vaud.

En 1999, il se lance dans la réalisation avec «Mignon à croquer», un court métrage sur une maîtresse cannibale. Suivront, «Celui au Pasteur», son premier documentaire, et «La Parade», un documentaire sur la Gay Pride 2001 en Valais.

Il passe à la fiction avec «Garçon stupide» en 2004, très bien reçu par la critique et salué jusqu’aux Etats-Unis. «Comme des voleurs (à l’est)» est le premier film d’une tétralogie sur les quatre points cardinaux.

Depuis 2002, Lionel Baier est aussi chef du département cinéma de l’École cantonale d’art de Lausanne (ECAL).

Cette auto-fiction, sous la forme d’un road-movie européen, raconte le voyage de Lionel Baier, un jeune suisse de 30 ans, et de sa sœur Lucie (Natacha Koutchoumov) en Pologne. Le jeune homme a découvert qu’un de ses grands-pères venait de Pologne et, depuis, il fait une fixation sur ce pays. Partis à la recherche de leurs origines, les deux personnages voient leurs vies bouleversées.

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