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«Ma fierté, c’est d’avoir épaulé les jeunes»

Anne Bisang quitte la Comédie de Genève à l'âge de 50 ans. Hélène Tobler

En juin prochain, Anne Bisang quittera la Comédie de Genève, fleuron du théâtre romand. L’occasion d’un entretien avec une femme qui a toujours cru en sa mission et défendu ses choix au sein de l’institution qu’elle dirige depuis douze ans.

Lorsqu’elle arrive à la tête de la Comédie de Genève en 1999, Anne Bisang, 38 ans, reçoit un héritage prestigieux laissé par ses prédécesseurs successifs Benno Besson et Claude Stratz, deux grands noms du théâtre romand. Elle sait qu’il faut préserver cet héritage. Une tâche lourde l’attend, elle l’accomplira avec beaucoup de générosité durant ses douze années de direction qui prennent fin en juin.

Au début de l’été, Anne Bisang cédera donc sa place à Hervé Loichemol, connu davantage pour ses coups de gueule que pour ses coups de génie. Ce que deviendra la Comédie ces prochaines saisons, l’avenir nous le dira. Ce qu’elle est aujourd’hui demeure, en revanche, connu et reconnu: une maison ouverte aux auteurs contemporains, aux jeunes artistes, aux écoles, à la cité, à Genève, au pays romand. Mais aussi une institution tournée vers les créations étrangères, qui sait jeter des ponts entre Bruxelles, Paris et Genève, et relier l’espace francophone au reste du monde.

Partenariats avec l’étranger

Une scène ambitieuse, en somme, avec une curiosité européenne léguée par Besson et Stratz et respectée par Anne Bisang. «La réputation dont jouissait la maison, je l’ai entretenue au cours de mon mandat, confie-t-elle. J’ai multiplié les partenariats avec l’étranger et mis la Comédie sur la place internationale en m’associant à des projets européens importants.»

En témoignent, entre autres spectacles, Quartett de Heiner Müller, monté par la vedette américaine Bob Wilson, puis (A)pollonia de Krzysztof Warlikowski, une autre vedette, celle-là polonaise, qui présentera prochainement à la Comédie Un Tramway, d’après Un Tramway nommé Désir de Tennessee Williams.

A chaque fois le public a suivi, et suivra encore. Un public que la directrice a diversifié saison après saison. «Aujourd’hui, on trouve dans la salle des spectateurs de tous âges, de toutes catégories sociales, se réjouit-elle ; ce qui n’était pas le cas avant.»

Avant, le public était moins éclectique. Avant, les portes du théâtre lui étaient fermées en dehors des soirs de spectacle. Alors il y eut ce désir de rendre les lieux chaleureux, de les ouvrir aux débats de société, aux expositions aussi, de marier esprit civique et esprit artistique. C’est l’une des marques d’Anne Bisang qui a fait tomber quelques a priori sur le mélange des genres, en associant classicisme et modernisme, par exemple. En programmant dans une même saison un auteur du répertoire et un jeune dramaturge, inconnu du grand public.

L’obsession du printemps

La jeunesse. C’est l’obsession d’Anne. L’Obsession du printemps, comme le dit très justement le livre éponyme paru récemment aux Editions l’Entretemps (Montpellier), et consacré à la directrice de la Comédie.

«Ma fierté, c’est d’avoir confié des commandes à des auteurs en herbe et d’avoir soutenu des compagnies indépendantes qui, par la suite, ont fait leur chemin de façon remarquable», lâche Anne Bisang.

«Comme metteuse en scène indépendante, je suis restée, jusqu’à mon arrivée à la Comédie, aux portes des théâtres, frustrée du refus qu’on m’opposait», raconte celle qui dit avoir voulu épargner aux jeunes artistes ce dont elle a elle-même souffert dans le passé.

Aujourd’hui, elle met en scène Katharina. Ce sera son dernier spectacle à la Comédie, en tant que directrice des lieux. Elle en a commandé l’écriture à Jérôme Richer, un auteur franco-suisse de 36 ans.

Comme autrefois Mathieu Bertholet, Isabelle Daccord ou Pascal Nordmann, comme l’excellent Dorian Rossel aujourd’hui, Jérôme Richer fait partie de ceux que la Comédie a généreusement hébergés leur accordant une résidence… d’écriture.

Sa Katharina (jouée par Céline Bolomey) est une adaptation théâtrale de L’Honneur perdu de Katharina Blum, célèbre roman de l’Allemand Heinrich Böll. L’action se situe dans l’Allemagne des années 1970 où une jeune  femme innocente, amoureuse d’un malfrat, subit la traque de la police et de la presse et finit par abattre le journaliste qui la harcèle.

Choix féministes

Une femme aux abois, donc, souvent réduite au silence, comme beaucoup d’autres femmes auxquelles Anne Bisang a offert la meilleure des tribunes: une scène. On se souvient de la Juliette de Shakespeare, de la Petra von Kant de Fassbinder, de la Nora d’Ibsen, de la Jeanne d’Arc de Shaw…

Héroïnes d’un soir, mais «combat» d’une vie pour Anne Bisang qui dit avoir trouvé, en ces femmes qu’elle a portées au théâtre, sa propre voix. «Je suis féministe, oui, je sais qu’il y a dans ce mot une justice sociale à défendre absolument», affirme-t-elle. Paroles d’engagée et non d’enragée.

Pièce de Jérôme Richer, d’après L’honneur perdu de Katharina Blum, roman de Heinrich Böll.

Mise en scène Anne Bisang, avec dans le rôle-titre Céline Bolomey.

Comédie de Genève jusqu’au 13 février.

Metteuse en scène et directrice de la Comédie de Genève depuis 1999.

Née à Genève en 1961, elle grandit au Japon et au Liban avant de retourner dans sa ville natale où elle suit les cours de l’Ecole supérieure d’art dramatique.

Elle fonde ensuite la Compagnie du Revoir avec laquelle elle monte WC Dames, son premier spectacle, très remarqué.

Ses choix artistiques sont conduits par le souci constant

d’interroger la réalité sociale

Deux fils composent son parcours: les pièces «qui parlent d’adolescence et de quête d’absolu», comme Roméo et Juliette et Salomé, et celles qui «questionnent les rapports de force au sein des relations domestiques», comme Maison de poupée et Les Corbeaux

En juin 2011, elle cèdera la direction de la Comédie à Hervé Loichemol.

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