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«Nomad’s land», la folie de l’aventure

Toute de rouge vêtue, une porteuse d'eau dans le film de Gaël Métroz nomadsland-lefilm.com

Dans son premier long métrage documentaire consacré à Nicolas Bouvier, Gaël Métroz, refait le voyage effectué par le romancier genevois en Extrême-Orient. C'était dans les années 50. Depuis, les choses ont changé. Le cinéaste observe, l'émotion à fleur de peau.

Encore un documentaire sur Bouvier, diriez-vous! Oui, mais c’est pour se défaire de Bouvier, aussi paradoxal que cela puisse paraître. Et même si Gaël Métroz donne à son film ce sous-titre nostalgique «sur les traces de Nicolas Bouvier », il finit par céder à la tentation d’une échappée buissonnière et par s’écarter des routes qu’a suivies, en 1952, l’écrivain genevois lors de son légendaire périple en Extrême-Orient.

De ce fantastique voyage, Bouvier avait tiré son tout aussi fantastique récit «L’Usage du monde».

Avec «L’Usage du monde» et une caméra sous le bras, Gaël Métroz part donc, en 2005, lui aussi de Genève, direction Istambul. Non pas à bord d’une Fiat Toppolino comme l’écrivain, mais en train.

Une interrogation

Trois jours de rail, et le voilà aux portes de l’Orient, qui s’ouvrent sur les plaines enneigées d’Anatolie et donnent accès à l’Iran.

Iran, Pakistan, Afghanistan, Inde, Sri Lanka… géographie féérique, tracé douloureux ou jubilatoire, selon les haltes. Chez Bouvier comme chez Métroz, les émotions sont à fleur de peau. L’un en témoigne par la plume, l’autre par la pellicule. Sur les écrits du premier, se greffe, dans le film, la voix du second.

Ce qu’on croit être au départ un éclairage poétique sur Bouvier, devient au fil de ce documentaire une interrogation sur l’état des pays traversés..

Car en 60 ans, beaucoup de choses ont changé. La mondialisation, le capitalisme sauvage, le fanatisme religieux sont là, la massification des loisirs aussi qui tranforme les villes magiques d’Orient en pièges à touristes.

L’Asie des Pachtounes

Le chemin des deux voyageurs se sépare à Tabriz l’iranienne, «énorme citadelle dans le ciel moucheté», écrit Bouvier. «Nouvelle cité industrielle et presque rien de ce qu’en dit Nicolas», lui répond en écho la voix off du cinéaste.

De Tabriz, Métroz a rêvé pendant des années. Mais une fois sur place, il s’étonne: «Je n’aime pas cette ville, elle me dit de la quitter, d’oser enfin voyager seul …, me défaire de Nicolas, être moi-même dans une nouvelle Asie».

Cette nouvelle Asie est aussi celle des Pachtounes «que les Américains ont transformé en Taliban ». Auprès des Pachtounes, le cinéaste trouvera un accueil souriant qui renverse les préjugés sur certaines peuplades de Pakistan et d’Afghanistan.

Car dans cette région du monde qui brûle aujourd’hui sous le feu des islamistes (ce que montre le film), il y a aussi des hommes qui arborent les couleurs païennes d’une fête ancestrale. Le solstice d’hiver, en l’occurrence, célébré par des Kalashs à la joie de vivre contagieuse.

Les fantômes du passé

A leurs fêtes, Gaël Métroz se joindra, posant sa caméra sur le regard des femmes, dégagé de tout rigorisme religieux.

Ensuite, il s’engagera sur des chemins de traverse, routes cahoteuses et dangereuses de l’Himalaya, affrontées à dos de chameau ou à pied. Il se fera voler, poussera l’aventure jusqu’en Inde, avant d’atteindre le Sri Lanka, aujourd’hui en proie à une guerre civile, autrefois Ceylan endormi dans une torpeur tropicale qui rendit malade Bouvier.

Une petite halte à Galle, ville côtière de cette île qui enleva la raison à Nicolas et qui arrache toutes les craintes au cinéaste. Métroz pénètre dans la pension où logeait jadis l’écrivain. Surgissent alors les fantômes du passé: insectes géants qui peuplent “Le Poisson-Scorpion>>, autre chef-d’oeuvre du romancier.

Le périple s’achève là, comme chez Nicolas. La boucle est bouclée. Et le cinéaste, comme l’auteur, peut conclure: «On croit faire un voyage, mais c’est le voyage qui vous fait ou vous défait».

swissinfo, Ghania Adamo

Gaël Métroz

– Né en 1978 dans le village de Liddes, en Valais, où il vit aujourd’hui.

– Parallèlement à ses études, il donne des cours dans les collèges.

– En 2004, il obtient des licences de français, philosophie et histoire de l’Art à l’Université de Lausanne, puis devient réalisateur et journaliste.

– En 2005, il tourne son premier court métrage «Les Nomades Quashqa’is», ainsi que son premier long métrage documentaire «L’Afrique de Rimbaud».

– Il est lauréat de plusieurs prix littéraires.

– En 2008, il obtient le Prix Nicolas Bouvier dans la catégorie «Jeune journaliste» (Journaliste indépendant, Le Nouvelliste).

«Nomad’s land, sur les traces de Nicolas Bouvier», film suisse de Gaël Métroz, à l’affiche des salles romandes.

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