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11 septembre, version épistolaire

Bernadette Richard, époque new-yorkaise. Oliver Daeher

Des e-mails qui se muent en récit, puis en spectacle, ce n’est pas banal. C’est pourtant ce qui arrive à la correspondance de Bernadette Richard. «Ondes de choc» raconte, de façon brute, un séjour new-yorkais balafré par un certain 11 septembre.

On peut ne pas avoir été à New York le 11 septembre 2001 et écrire un roman qui raconte l’événement. C’est le cas du Français Frédéric Beigbeder, qui a récemment reçu le Prix Interallié 2003 pour «Windows on the World».

On peut aussi avoir été à New York le 11 septembre 2001, avoir erré dans Manhattan à l’heure ou fumée, paperasse volante et odeur nauséabonde envahissaient la cité, et ne pas avoir eu l’intention d’écrire un livre. Et qu’un livre paraisse néanmoins.

C’est le cas de Bernadette Richard, qui se trouvait à NYC depuis le 13 juillet, au bénéfice d’une bourse d’écriture.

Récit épistolaire?

Au cours de son séjour, aux prises avec la correction de deux romans, l’écrivaine chaux-de-fonnière a pris le temps d’envoyer des mails à ses proches, comme elle le fait toujours. Mais là, par hasard, sa correspondance s’est pris les pieds dans le tapis de l’Histoire avec un H majuscule.

Ses mails, son entourage les ont conservés. Des messages que, sous la pression de son fils et de son éditeur, Bernadette Richard va accepter de trier, et de publier, tels quels. «C’est peut-être une petite voix qui était différente dans la cacophonie générale. En publiant ce bouquin, je donnais un autre regard», dit-elle.

Mais son aval n’a pas été immédiat: «Au départ, j’ai refusé, parce que ce n’était pas littéraire. Et moi je suis une vieille lettreuse avec des principes: la littérature, ça doit être joli, bien construit, un peu Marcel Proust, quoi», dit-elle, même si elle a manifestement toujours eu une perception assez rock n’roll de Marcel Proust.

Bernadette Richard publie donc un récit épistolaire où n’apparaissent que ses mots à elle. Un peu comme lorsque au cinéma un personnage téléphone, et qu’on n’entend pas les réponses de son interlocuteur.

Un récit épistolaire, mais attention… Oubliez la plume d’oie, les formules de politesse et le subjonctif imparfait. C’est du brut de décoffrage, parce que le mail implique une écriture vive, directe. Et parce que Bernadette Richard a le clavier tout à la fois énergique, écorché vif et vitriolé.

Plus fort que Dante

«Ondes de choc», d’abord, c’est une sorte de journal, avec les pics et les gouffres qui caractérisent Bernadette Richard, la femme et l’écrivaine. Rigolade et déprime. Enthousiasmes joviaux et coups de gueule assassins. Son quotidien, quoi…

En leitmotiv, New York, le plaisir d’y vivre, mais l’agacement aussi que la Grosse Pomme peut susciter. Dès les premiers messages, Bernadette Richard évoque le côté «SF» de NYC. L’allusion au film «Blade Runner» est fréquente. Bientôt, fiction et réalité vont se mêler.

Rien le 11 septembre 2001. Ni le 12. Puis le 13, un e-mail à «mortimer@2300plan9.com». Son titre: «bouteille dans le cosmos».

«Je ne sais pas ce coup-ci passe-ty pastis pas mon petit message en direction de 2300plan9? Hier et mardi, plus de tél, plus de ligne mail… juste cette fumée à l’horizon sud, le nord reste bleu fluo soleil insolent qui se marre.»

Le lendemain, Bernadette Richard rassure «3432altavista.fr»: «Surtout n’angoissez pas pour moi: tout va pour le mieux dans le meilleur des enfers possibles que même le cerveau tordu de Monsieur Dante n’avait pas imaginé, tandis qu’il attendait Béatrice sur le Ponte Vecchio…»

Du cynisme au traumatisme

Malgré le choc, il y a d’abord une étonnante lucidité journalistique: «Ils vont la faire durer cette guerre», écrit-elle le 13 septembre. Et, quatre jours plus tard: «L’Amérique a retrouvé sa superbe prétention (…) le grand méchant loup est prêt à aller guerroyer contre quelqu’un, n’importe qui, pourvu qu’on se bagarre… »

Elle donne aussi dans l’ironie, non sans cynisme. Humour du désespoir? Elle propose en tout cas sa réponse: «La vie, c’est aussi la mort. On ne fera pas taire Thanatos avec de bons sentiments!»

Malgré son apparent détachement, Bernadette Richard va être envahie par l’événement. Au fil des jours, elle promet de changer de sujet, mais les Twins l’obsèdent, au même titre que l’odeur de charnier qui a envahi la ville, ses jours, ses nuits. Il faudra plusieurs semaines pour que, dans ses e-mails, la vraie vie, l’autre, reprenne le dessus.

D’une tour à l’autre

Cet épisode new-yorkais, Bernadette Richard l’a vécu en compagnie de son voisin, le chorégraphe bernois Oliver Daeher. Et, à distance, avec son fils, le metteur en scène Manu Moser.

L’angoisse et les réflexions suscitées par l’effondrement des Twins (pour les New-Yorkais, «cette boussole en déshabillé d’acier», écrit joliment Bernadette Richard), ils ont décidé de les porter à la scène.

Ce sera les 11, 12, 13 septembre 2004, dans la salle de spectacle de l’Office fédéral de la statistique, à Neuchâtel. Une tour de verre flambant neuve.

swissinfo, Bernard Léchot

– Ecrivain et journaliste, Bernadette Richard est aussi chroniqueuse pour les arts plastiques et la littérature. Elle vit entre la Suisse où elle gagne sa vie, et l’étranger où elle écrit romans, nouvelles, pièces de théâtre et textes consacrés aux beaux-arts. Elle a publié une douzaine d’ouvrages

– «Ondes de choc» est un recueil de mails qu’elle a écrits lors d’un séjour new-yorkais, de juillet 2001 à janvier 2002.

– Au cœur de ce livre, un quotidien d’écrivain bouleversé par la date charnière du 11 septembre 2001.

– Un spectacle tiré de «Ondes de choc» sera présenté les 11, 12 et 13 septembre 2004 dans la salle de spectacle de l’Office fédéral de la statistique, à Neuchâtel.

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