Des perspectives suisses en 10 langues

Adonis… soit qui mal y pense

Nathalie Chaix

«Exit Adonis», premier roman de la Genevoise Nathalie Chaix, a retenu l'attention de l'écrivain et ancien éditeur Rolf Kesselring.

«Exit Adonis», un récit amoureux qui a été récompensé par le Prix Georges-Nicole 2007.

Un livre sur ma table. Une bande rouge, gravée de caractères blancs, le ligote: Prix Georges-Nicole 2007. Un prix littéraire ! J’allais dire : encore un !

Pour ma défense, il bien avouer que j’ai tellement été déçu par des Goncourt à répétition, d’innombrables Schiller ou Renaudot, de multiples Médicis et Fémina, que je regarde toujours les ouvrages qui m’arrivent, avec une certaine méfiance.

Je me pose une question: est-ce que c’est parce que je n’en ai pas reçu beaucoup, au cours de ma vie d’éditeur ou d’auteur, que, jalousie ou frustration stupides, je n’y trouve pas mon compte? Je me demande…

«Exit Adonis», c’est le titre. «L’auteure», comme aurait dit ma complice Françoise d’Eaubonne, se nomme Nathalie Chaix et c’est l’ami Campiche qui l’a publié. Il faut voir. Lire.

D’un doigt que je veux distrait, je soulève la couverture sur laquelle gît une femme endormie, pâmée, floue en tout cas. Que vais-je découvrir ? À chaque fois que je répète ce geste, j’ai la sensation de me glisser chez quelqu’un, de violer un peu l’intimité de quelqu’un…

C’est un journal. Un journal romancé. Petits textes successifs et datés. Ephéméride aléatoire et amoureux. Cinq années pour nous faire partager une passion. Du moins, c’est ce que je ressens à la lecture des premiers feuillets.

Un 5 mai

Cela commence un 5 mai d’une première année. Elle le voit. Elle est capturée. Captivée. Elle parle d’un «rapt».

Quelques jours plus tard, elle est présente à l’ouverture d’un festival de cinéma. Pour son travail, dit-elle. Elle détaille sa tenue, ça a l’air d’être important. Tailleur obscur, jupe fendue haut sur les cuisses, talons perchés, elle surplombe l’assemblée. Elle l’aperçoit dans la cohue. Il ne la remarque pas.

Elle se sent frustrée. D’emblée, elle le nomme Adonis. Référence, références…

D’ailleurs, des références très «culture», je vais en découvrir des monceaux, au cours de cette lecture. Il y en a tellement que j’ai fini par me demander s’il s’agissait d’un étalage conscient, voulu, histoire de prouver quelque chose, ou si c’était inconscient.

Alors que je me sentais pris par la sensualité de cette relation d’un amour-passion, je me suis senti dérangé, presque écœuré par toutes ces citations et cet étalage récurrent, littérairement correct.

Le sens du poil

À découvrir les noms de ceux qui composent le jury du Prix Georges-Nicole, à n’en pas douter, Nathalie Chaix mettait dans le mille en flattant leur intellect neuronalement correct.

Le sens du poil, c’est ce qui manque souvent à nombre de nos frères écrivains inconnus; toutes ces sœurs, tous ces frères, qui jamais ne seront honorés par un prix et encore moins reçus dans les salons qui comptent. Nathalie Chaix, elle, «sait y faire», comme dit ma voisine Jeannine.

Malgré cela, j’ai suivi son héroïne au travers les cinq années de cette rouge passion qui la poussait vers cet Adonis fuyant et que je percevais de plus en plus comme un bellâtre (elle finira par en convenir vers la fin de l’histoire) irritant de prétention.

Cinq ans de morsures, cinq ans de «je t’aime, moi non plus», cinq ans de citations inutiles et engrossantes, cinq ans d’immense solitude à deux…

Excite Adonis!

Ce livre, je l’ai lu, puis relu, pour me convaincre de ne pas écrire cet article. Pourtant, à chaque passage revisité d’un œil de plus en plus sagace, je ne pouvais m’empêcher de me sentir attiré par certaines lignes éparses dans ces bouts de textes.

Des escarboucles furtives, des étincelles fugaces, des vivacités voluptueuses, sortes de caresses de mots, m’attiraient, m’hypnotisaient, me dévergondaient. Une sensualité sourde émanait de parcelles de ce texte aussi fuyant que cet Adonis inconstant et inconsistant.

Je décidai de l’écrire, peut-être pour exorciser cette magie subtile, pour me débarrasser, moi aussi, d’une pesanteur excessive. Il y avait là, dans ces lignes des promesses jouissives en devenir.

«Les petites portes»

Je sais, je sais! Première œuvre! Imparfaite! Je sais, je sais… La définition du Prix Georges-Nicole! Mais, je sais aussi que derrière ces pages morcelées, découpées, fragmentées, se cache un trésor.

Alors je vais attendre. Attendre la suite. Oublier ce prix littéraire dont l’utilité est peut-être prouvée par l’existence-même de ce petit ouvrage.

Oublier encore ce qui m’a irrité et ne songer qu’aux retrouvailles que nous promet cette «écrivaine» (salut d’Eaubonne, si tu me lis où tu combats désormais…) qui se dissimule, encore, derrière des masques convenus et qui devrait, j’en suis sûr, trouver les «petites portes» qui conduisent vers la grande liberté.

swissinfo, Rolf Kesselring

Agée de 34 ans, Nathalie Chaix vit et travaille à Genève.

Après des études en communication et en histoire de l’art, elle travaille plusieurs années au Musée d’art et d’histoire de Genève.

Elle dirige aujourd’hui le Service de la promotion culturelle du Département des affaires culturelles à Genève.

«Exit Adonis» (Editions Bernard Campiche) est son premier roman.

Georges Nicole (1898-1959), critique et poète, ami de Maurice Chappaz et de Gustave Roud.

Le prix Georges-Nicole a été initié par Maurice Chappaz, Jacques Chessex et Bertil Galland, par la Ville de Nyon et les représentants de l’Association de la revue Écriture, ainsi que par l’éditeur Bernard Campiche.

À ce jour, et depuis 1969, il a été décerné 11 fois. Il est ouvert à tout auteur, sans limite d’âge pourvu qu’il s’agisse d’une personne suisse ou résidant en Suisse qui produirait une œuvre en langue français et qui n’a jamais été édité auparavant.

Ce prix est destiné à distinguer n’importe quel ouvrage pourvu que ce dernier entre dans la définition du roman, du récit, de la nouvelle ou de la chronique. Le montant du prix est de 3’000 francs et l’œuvre est publiée par Bernard Campiche.

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision