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Andreas Gursky, créateur de fascinantes réalités

L'artiste posant à Munich devant son oeuvre "Salerno I 1990" Keystone

Le Kunstmuseum de Bâle expose les formats géants d'Andreas Gursky, photographe allemand aux ventes faramineuses.

Plus que le prix, c’est le contenu des œuvres qui interpelle: minuscule, l’être humain de Gursky est perdu dans un univers recréé plus vrai que nature.

Cela pourrait être un hall d’aéroport comme les autres, c’est celui de Francfort en l’occurence. Mais quel choc! La photographie – mais on a envie de parler de tableau – dégage une impression totalement irréelle.

L’ensemble, sur 5 mètres de large et 2,3 de hauteur, est noir, brillant et métallique. Des voyageurs attendent, mais ils ont l’air de stationner au mauvais endroit. Les destinations des tableaux d’affichage sont incroyablement nombreuses – et occupent trois quarts du tableau,

Une introduction

On dirait le point névralgique de la terre entière, censé mener en tous endroits possibles, certains portant même des noms bizarres et loufoques.

Signée Andreas Gursky, cette photographie est l’une des premières de la très belle exposition consacrée à l’artiste allemand par le Kunstmuseum de Bâle. Elle en est aussi une bonne introduction.

Outre le tour du monde offert par le travail du photographe, toute la manière de Gursky y est: le vertige du format, l’impression simultanée de déjà-vu et d’étrangeté, la place congrue laissée à l’être humain, la composition glissant vers l’abstraction.

Le réel retravaillé

Car l’Allemand, 52 ans, ne se contente pas du réel. Il retravaille longuement ses clichés, rajoute des éléments, en gomme d’autres.

«Ce qui m’intéresse, c’est de trouver des images non typiques, a expliqué Andreas Gursky lors de la présentation aux médias. Un jour, j’ai eu l’impression que se contenter du réel enregistré menait à une impasse. Le digital me donne plus de liberté.»

Pour le commissaire de l’exposition Bernhard Menes Bürgi, Andreas Gursky adopte une perspective de «créateur divin», qui modifie la perception d’une nature «de toute façon travaillée par l’homme depuis des millénaires». Les endroits choisis sont relativement anonymes.

«Cocoon», une boîte de nuit avec des jeunes gens dansant dans une structure ressemblant à l’intérieur d’un coquillage; «Kamiokande», vue d’une paroi qui pourrait être un vaisseau spatial, ou un gigantesque ordinateur à la Kubrik, si n’étaient ces deux canotiers semblant sortir d’un tableau du 19e siècle: les sujets sont universels, sans lieu mais avec date.

Des rituels modernes



C’est bien un état du monde d’aujourd’hui que Gursky saisit. «Mon but n’est pas de critiquer, la globalisation par exemple, dit-il. Mais la critique est inhérente à mes images, sans en être le propos.»

Avec l’extraordinaire série «F1 Boxenstopp», pour laquelle «il a été très difficile d’obtenir les autorisations», a raconté l’artiste «car les sommes en jeu sont énormes» , le spectateur est saisi par la ritualité du sujet. Le format (6,1 x 2,2 mètres!) et la composition rappellent les Saintes-Cènes de l’iconographie occidentale.

Mais ici, il s’agit d’équipes de formule 1 affairées autour du bolide de course, avec spectateurs photographiant placés au-dessus. Au milieu, non pas le Christ, mais une pin-up attendant les vainqueurs…

Chez Gursky, qu’il soit seul ou qu’on le devine dans des cargos perdus sur l’océan, l’homme est minuscule. «Mes images ont à voir avec la question de ce que l’homme fait sur la planète. Donc forcément, dans cet espace, il passe à l’arrière-plan», a-t-il déclaré.

Autre conséquence: les points de vue, souvent surélevés, troublent parfois la perception de la verticalité et de l’horizontalité.

Aux côtés de Kim II Sung



C’est le cas de la série récente «Pyongyang», dans laquelle Gursky montre les spectacles de masse nord-coréeens, comptant jusqu’à 70’000 acteurs.

Au prix de longues négociations, le photographe a pu assister aux rituels nord-coréens et travailler depuis la loge même de Kim II Sung. «C’était le meilleur point de vue!» a-t-il expliqué.

Record des ventes

Lors de la conférence de presse, la question n’a pas manqué: «Pourquoi pensez-vous que vos images se vendent si cher?». Le photographe détient en effet le record pour une photographie, 3,3 millions de dollars US, pour un tirage de l’image «99 cent».

«Ces prix ne tombent pas du ciel, a répondu, après un court silence, Andreas Gursky. Je travaille depuis 25 ans. Une galerie investit beaucoup en amont. Et les prix montent. On s’y habitue…»

En consacrant – c’est une première pour l’institution – une exposition individuelle au photographe, le Kunstmuseum de Bâle montre en tout cas que le débat sur le prix importe peu. Le photographe est un artiste, qui trouve sa place aux côtés des plus grands: l’hommage est magistral.

swissinfo, Ariane Gigon, Bâle

Andreas Gursky, Kunstmuseum, Bâle, jusqu’au 24 février 2008.

Ouvert jusqu’à 20 heures le mercredi soir.

Outres diverses visites guidées organisées tout au long de l’exposition, un symposium consacré au photographe aura lieu les 1er et 2 février 2008.

Un catalogue bilingue allemand-anglais a été publié.

Andreas Gursky est né en 1955 à Leipzig

1978-1981: Folkwangschule (GHS), Essen.

1981-1987: Académie des beaux-arts de Düsseldorf auprès de Bernd Becher, connu, avec son épouse Hilla pour leurs séries sur les usines et les paysages industriels.

1992: passe au travail digitial des images.

1992: première exposition individuelle en Suisse, Kunsthalle de Zurich.

Détient le record de vente d’une photographie: 3,3 millions de dollars (février 2007) pour un tirage de «99 cent».

Avec d’autres photographes allemands tels que Thomas Struth et Thomas Ruff, Andreas Gursky fait partie du groupe des élèves Becher, une école allemande très recherchée par les collectionneurs.

Il vit aujourd’hui à Düsseldorf.

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