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Arpenteurs de chimères

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Parlez de science-fiction à l'ex-éditeur Rolf Kesselring et c'est comme s'il retrouvait une ancienne maîtresse... Evidemment, quand Bernard Campiche publie une anthologie historique de science-fiction suisse romande, l'homme bondit!

La SF (Science-fiction) est un genre littéraire que j’ai adoré et que j’aime encore, même si, depuis quelques années déjà, je n’en édite plus et n’en écris plus non plus.

Alors lorsqu’un aficionado suisse décide de produire une anthologie historique de SF suisse romande, je ne pouvais que m’y intéresser et tenter de vous en parler pour aiguiser, ainsi, votre curiosité.

Un éditeur, un anthologiste et 18 auteurs

Ce qui m’a le plus étonné dans cette affaire, ce fut de voir ce volume anthologique publié par un éditeur comme Bernard Campiche. Quoi! Est-ce que cela voudrait dire que, désormais, les mauvaises lectures d’antan auraient conquis leurs lettres de noblesses littéraires? Alors on peut en déduire que, comme le disait Bob Dylan, «Les temps changent». Et c’est tant mieux.

Pour réussir ce travail de compilation, il fallait un Jean-François Thomas, une espèce d’extraterrestre, que j’avais croisé, un jour, au seuil d’une porte spatio-temporelle ou dans une dimension inconnue. Je ne sais même plus dans quelle époque des temps cosmiques je l’ai vu pour la première fois. Bref, il fallait un Jean-François Thomas pour tripatouiller l’histoire de la Suisse romande.

Afin d’épaissir le volume, de lui donner une bonne prise en main, il a réuni dix-huit auteurs, d’Edouard Rod à Marie-Claire Dewarat, en passant par Albert Rouiller à François du même nom, de 1884 à 2004. Sans parler d’un certain raton-laveur galactique qui m’étonna moi-même…

Un étonnement cosmique

Je n’ai jamais vraiment compris les frontières entre les pays. Il y a longtemps, lorsque j’étais encore un môme, mes premiers ébahissements émerveillés, mes premières surprises délicieuses, ont eu, comme origines, les différences culturelles. De pays à pays, de contrée à contrée, je me suis bâti assez peu patriote.

C’est ainsi que jamais, en ce qui me concerne, je n’ai mis une nationalité à un artiste. Un peintre est un peintre, un musicien reste un musicien et un écrivain demeure d’abord un écrivain. Simplement. Globalement. Universellement.

Tout cela pour dire que j’ai, aussi, beaucoup de mal à comprendre comment on peut relier des raconteurs d’histoires, des auteurs, des artistes, par une nationalité ou par un pays (une région) où ils seraient nés.

Apparemment Jean-François Thomas ne pense pas comme moi. Il a donc, dans son anthologie de SF, composé un choix d’auteurs bien de chez lui, selon cette notion d’appartenance à une région, un pays, un continent, ou même une galaxie. Je me demande si cette manière de concevoir notre monde ou l’univers ne provoque pas de facto un effet pervers à connotation peut-être xénophobe… Je sais, je sais! Je suis un mauvais esprit. Donc, avant, je ne savais pas qu’il existait une science-fiction suisse, maintenant je suis un peu plus intelligent.

Le patriarche Pierre Versins

Pour comprendre les raisons qui ont poussé Jean-François Thomas dans sa démarche, il convenait de lire sa préface. Dès les premières lignes, il me prouve qu’il a ressenti le même malaise que moi.

Il écrit: «Une anthologie de science-fiction suisse romande. Voilà un projet qui peut sembler bizarre et incongru. Trouverait-on aussi, dans nos contrées, des auteurs assez farfelus pour se livrer à l’exploration d’espaces imaginaires sans craindre la mauvaise réputation attachée à ce genre de littérature, dont aucune étude littéraire en Suisse romande ne parle, si ce n’est au détour d’une phrase ou d’une note égarée en bas de page?»

Alors, Jean-François Thomas, en homme méticuleux, s’est livré à une compilation de dix-huit auteurs qui vécurent dans notre région et qui donnèrent des textes sur une période de plus d’un siècle.

Son outil de travail, poursuit-il, fut l’énorme travail de Pierre Versins, feu pape de la science-fiction, publié par les Éditions de L’Âge d’homme et intitulé: «Encyclopédie de l’utopie, des voyages extraordinaires et de la science-fiction».

Cet ouvrage monumental comporte 997 pages, pèse plus de trois kilos et a coûté des années de travail à ce petit homme frêle et pugnace qu’était l’ami Pierre. Je le sais, il habitait chez moi, à Montagny-sur-Yverdon (période transitoire dans la vie d’un pape !), lorsqu’il y mettait la dernière main. C’est sur son utopique collection, donnée à la ville d’Yverdon-les-Bains, que s’est construite la Maison d’Ailleurs.

Un travail utile pour l’imaginaire

Bien que je déteste que l’on classe les artistes par régions, pays, nationalités de toutes sortes, je dois reconnaître que le travail de Jean-François Thomas m’a été utile. À plus d’un titre, d’ailleurs.

J’ai appris plein de chose sur des auteurs tel qu’Édouard Rod dont je me souvenais du splendide texte intitulé «L’ombre s’étend sur la montagne». Un texte que m’avait fait lire un grand-père attentif à mes lectures d’enfance. Alors, la nouvelle que notre anthologiste m’a fait découvrir (L’Autopsie du docteur Z***) m’a offert une très agréable surprise de plus.

Et puis, je me suis jeté sur les textes de l’homme de Saint-Saphorin, le célèbre Jean-Villard Gilles. Hors la poésie chansonnière, normale chez cet homme, je me suis régalé en lisant, par exemple ces quelques vers :

Jouez pas avec les planètes
C’est bête, c’est bête!
Faut pas jouer avec le feu
Bon Dieu d’bon Dieu


À l’instar de ce cher Desproges et rendu à ce point de mon article je m’écrie: «Prémonitoires, non?»

Il aurait fallu que je cite tous les auteurs qui apparaissent dans ce recueil. Il aurait fallu que je dise le plaisir de lecture ou de relecture de Gabrielle Faure ou de Georges Panchard, mais la place me manque. Mauvaise excuse, je vous l’accorde!

Pour conclure, je ne vous parlerai sûrement pas du texte d’un certain raton-laveur qui se trouve dans cette anthologie. Texte issu d’un recueil écrit en 1968 et republié par l’éditeur Pierre-Marcel Favre en 1988.

Pour en savoir plus procurez-vous cet ouvrage qui vous fera entrevoir une autre Suisse romande et quelques étoiles…

swissinfo, Rolf Kesselring

«Défricheurs d’imaginaire – une anthologie historique de science-fiction suisse romande».

Campiche éditeur, collection camPoche, 530 pages.

Diffusion en France, par Pollen Diffusion, dès le 01.09.2009

Quelques auteurs représentés dans cet ouvrage:

– Edouard Rod (L’Autopsie du docteur Z*** , 1884)

– Albert Roulier (La Grande Découverte du savant Isobard, 1938),

– Jean Villard Gilles (Le Feu de Dieu, 1950),

– Wildy Petoud (La Maison de l’araignée, 1986),

– Bernard Comment (Château d’eau, 1998),

– Marie-Claire Dewarrat (Le Trou, 1990)

– Georges Panchard (Comme une fumée, 2004)

– François Rouiller (Délocalisation, 2004)

et… Rolf Kesselring (Martien vole, 1988)

Jean-François Thomas est né en 1952 à Lausanne.

Il exerce la double profession de formateur d’adultes (actuellement dans le cadre de la réinsertion professionnelle) et de critique spécialisé en littératures de l’imaginaire (science-fiction, fantastique, fantasy).

Il exerce cette seconde activité dans les pages du quotidien 24 Heures depuis 1988, ainsi que dans celles du Passe-Muraille et de la revue spécialisée Galaxies (France).

Auteur, il a publié une dizaine de nouvelles.

Il préside depuis 2002 le conseil de fondation de la Maison d’Ailleurs, le musée de la science-fiction, de l’utopie et des voyages extraordinaires d’Yverdon-les-bains.

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