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Béjart ne porte pas seul le flambeau de la danse

«Les Affluents» de la Compagnie lausannoise Philippe Saire. Mario Del Curto

Maurice Béjart a largement contribué à la renommée de Lausanne. Mais il n'est pas le seul. Ce serait en effet oublier la relève.

Une scène locale doit se partager les subventions publiques pour survivre.

«Il ne faut pas oublier que la danse indépendante et contemporaine existait à Lausanne bien avant Béjart», s’exclame Philippe Saire.

Le chorégraphe lausannois s’active en effet depuis une bonne quinzaine d’années. En 1986, il fonde sa propre compagnie. Depuis, elle a tourné dans une centaine de villes d’Europe, d’Afrique, d’Asie et des Amériques.

Et en 1995, il devient directeur de Sévelin 36, son lieu de création qui accueille aussi des spectacles externes.

«A l’époque, même si nous galérions, -nous ne recevions presque rien-, il y avait une certaine émulation entre les danseurs», se remémore-t-il.

Cette émulation est d’ailleurs retombée entre-temps. Seules les compagnies les plus solides ont survécu.

Marie-Claude Jéquier, la cheffe de la Culture de la capitale vaudoise, se souvient en effet qu’à son arrivée en 1987, la danse ne recevait que 0.1% du budget culturel, soit 17’000 francs.

Des peccadilles… Pas question pour les danseurs de songer à en vivre. Philippe Saire, comme bien d’autres, devait travailler à mi-temps pour survivre. Et assurer l’administration de la compagnie le soir.

Un catalyseur des subventions

En 1987, les compagnies indépendantes n’avaient pas apprécié de voir la Ville investir autant d’argent (environ 1,8 million) pour accueillir Béjart. Alors que ça faisait des années qu’elles demandaient en vain de l’aide publique.

Il n’empêche que les fonds attribués globalement à la danse ont alors considérablement augmenté. Et tous les indépendants ont donc pu exiger une part du gâteau.

La Municipalité ne pouvait plus prétendre ne pas disposer d’argent pour la danse.

Entre 1987 et 2002, le budget culturel de Lausanne a par ailleurs doublé pour atteindre 35 millions. La part attribuée à la danse dépasse actuellement les 10%, selon Marie-Claude Jéquier.

La part du lion

Hors Béjart, qui a reçu de la ville près de 3,5 millions l’an dernier, environ un demi-million est réparti entre les compagnies indépendantes.

Celle de Philippe Saire se taille la part du lion, soit près de la moitié. Ces 240’000 francs lui servent à faire vivre sa compagnie mais aussi à financer la programmation de Sévelin 36.

Et dans cette programmation, il faut compter les deux festivals qu’il organise: en octobre, le Festival International de danse de Lausanne ainsi que les Printemps de Sévelin en mars.

L’autre compagnie qui perdure depuis 1983 est celle de Fabienne Berger. Surnommée l’enfant terrible de la danse suisse, la chorégraphe n’a reçu en 2002 que 50’000 francs.

Mais comme elle partage son travail entre Lausanne et Villars, elle est aussi subventionnée de l’autre côté.

Le cas Gilles Jobin

Cette quasi institutionnalisation de Philippe Saire, comme celle de Béjart, fait d’ailleurs grincer le franc-tireur Thierry Spicher.

Le directeur de l’Arsenic, autre lieu semi-alternatif de création à Lausanne à quelques enjambées de Sévelin 36, ne voit pas quels talents émergeants Béjart ou Saire ont mis en avant ces dernières années.

Il ne partage pas non plus la politique des «locomotives culturelles» voulues par les autorités. Et se demande où sont les «wagons»

Et de citer son poulain, Gilles Jobin, qui, faute d’un soutien conséquent local, a dû co-produire son dernier spectacle avec des institutions étrangères d’importance telle que la Schaubühne de Berlin, la Biennale de Venise et le Théâtre de la Ville de Paris. Lausanne ne lui a en effet attribué que 60’000 francs.

Résultat: il n’y a eu que trois représentations de «Under Construction» en Suisse. Elles ont eu lieu dans la petite salle de l’Arsenic qui compte 400 places environ.

Inutile de dire que nombre d’admirateurs de Jobin n’ont pu le voir.

«Nous le suivons attentivement. Mais nous devons aussi voir s’il tient sur la durée, se justifie Marie-Claude Jéquier. Et il n’a que trois spectacles derrière lui.»

Et puis, le cas de Gilles Jobin est un peu particulier. Il s’est exilé à Londres, mais revient créer et produire ses spectacles à l’Arsenic. Il n’est donc pas considéré comme un artiste purement local.

La danse se professionnalise



Mais de l’avis de tous, Béjart a surtout été utile à faire comprendre que la danse est un métier, qu’il faut pouvoir en vivre et que monter un spectacle coûte.

Il a aussi apporté une certaine qualité, un professionnalisme dans l’enseignement qui a stimulé tout le milieu, contre ou en faveur de Béjart.

Et certains de ses danseurs, tranfuges de sa troupe ou de l’école, ont fondé leurs propres compagnies, diversifiant ainsi le paysage chorégraphique de la région.

Il a aussi, sans conteste, amené la danse au grand public.

Philippe Saire reconnaît que le public de la danse a augmenté ces dernières années de manière générale, et de citer l’exemple de certains festivals où la danse attire plus de monde que le théâtre.

Mais la fréquentation arrive à saturation, estime-t-il. Pour attirer plus de monde, il faudrait une sensibilisation de grande envergure.

Deux publics distincts

Il n’empêche qu’on peut distinguer deux publics de danse à Lausanne, qui ne se mélangent pas.

Il y a ceux qui adhèrent au néo-classicisme de Béjart, «des spectateurs qui n’iront souvent qu’une seule fois par an au spectacle», précise François-Xavier Hauville.

Mais ce public-là n’ira pas voir les compagnies indépendantes qui comptent elles sur un public marginal forcément plus restreint.

Le directeur de l’Opéra de Lausanne en a d’ailleurs fait les frais. Lors de sa première saison en 99, il avait programmé 8 spectacles de danse contemporaine.

Les salles étaient à moitié vides car d’autres lieux le faisaient déjà.

Il a dû réduire les spectacles de danse à trois par an, et encore en respectant ce qu’une maison d’opéra peut faire en danse.

Et il préfère désormais s’associer à Philippe Saire pour ses deux festivals de danse.

La scène culturelle lausannoise, si foisonnante soit-elle pour une si petite ville, n’est donc pas extensible à loisir.

swissinfo, Anne Rubin

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