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Boris Vian, une vie au pluriel

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«Le Déserteur» ou «L'écume des Jours»? «J'irai cracher sur vos tombes» ou «Le blues du dentiste»? Le jazzman, l'écrivain, l'ingénieur? 50 ans après la mort de Boris Vian, le Salon du Livre de Genève propose une exposition intitulée «Le vrai Boris»... Fort.

Au fond du Salon. Après avoir longé des stands, entendu des animateurs appâter le chaland, vu des tripatouillées d’enfants courir d’une animation à l’autre, admiré des peluches manga, vous parvenez à un vaste espace, sobre. Pas de Boris en latex. Ni même de pianocktail ou de gidouillographe reconstitué.

Rien sinon, des cloisons arborant de grands panneaux. De patients collages – photos, manuscrits, copies d’éditions originales – qui, mis bout à bout, disent la vie du «Vrai Boris», selon le titre que sa seconde épouse, la Zurichoise Ursula Vian-Kübler, a voulu donner à cette présentation. Ursula Vian-Kübler, qui créa la Fondation Boris Vian et vit, aujourd’hui, retirée dans les Pyrénées.

«’Le vrai Boris’, cela implique la volonté d’Ursula de ne pas donner le reflet d’une exposition officielle – il aurait détesté ça, Vian – mais de récolter toutes les informations, tous les documents, qu’il aurait pu, s’il avait eu le temps, présenter à ses lecteurs. Ce travail titanesque, Ursula Vian l’avait réalisé pour une première exposition présentée en 1976 à Beaubourg», explique Michel Sandoz, qui a organisé l’événement genevois.

«J’ai toujours cru à son talent. Dès la première fois où j’ai lu une ligne de lui», nous disait Ursula Vian-Kübler en 1995 (écouter l’audio).

Depuis Beaubourg, des pièces ont disparu. D’autres sont apparues. Quoi qu’il en soit, pour les 50 ans du décès de Boris Vian – il est mort le 23 juin 1959, lors de cette funeste première projection de «J’irai cracher sur vos tombes» dans un cinéma du Quartier Latin – l’hommage est beau et on s’y plonge en oubliant qu’autour de soi, le Salon poursuit sa vie bruyante.

Quel Vian?

Curiosité. Découverte. Emotion. Par exemple devant le manuscrit de la chanson «Le déserteur», premiers couplets tracés d’une écriture fluide, les autres nerveusement raturés. A côté, une lettre de l’éditeur musical demandant à l’auteur de bien vouloir adoucir le propos…

Sept sections tentent de faire le tour de Vian. Jazz. Saint-Germain-des-Prés. Cinéma. Littérature. Pataphysique. Théâtre. Variété. Des thèmes choisis par Ursula Vian-Kübler, qui s’ouvrent également aux aspects moins connus de l’homme: l’ingénieur, le peintre, l’inventeur.

«Quand Vian était là, elle le protégeait à titre anthume. Et quand il est mort, elle n’a cessé de réaliser un travail incroyable pour défendre sa mémoire. Parce qu’elle avait été ulcérée de voir qu’à la fin de sa vie, Vian était pris en détestation par la critique, par Gallimard, et par le cinéma, qu’il chérissait pourtant tout particulièrement», souligne Michel Sandoz.

Vian le pluriel. Vian le multiple. Vian méprisé par l’intelligentsia. Vian porté aux nues par les enfants des swinging sixties et de la contestation soixante-huitarde. Et ce n’est pas le chanteur Michel Bühler qui nous contredira.

«Pour moi, Boris Vian, c’est d’abord évidemment le Vian auteur de chansons et chanteur. Je l’ai découvert quand j’avais 18 ans, peut-être, je savais – et je sais encore – pas mal de ses chansons par cœur. Le Vian contestataire, celui du ‘Déserteur’, cette chanson magnifique qui a été interdite à la radio, mais aussi le Vian des ‘Joyeux bouchers’, qui prend parti dans son temps, mais qui le fait avec l’arme de la dérision».

Contestataire, ironique. Et touche-à-tout. Ce qui rappelle justement un certain Michel Bühler. «Je ne crois pas avoir été influencé par l’écriture, mais peut-être par la production du bonhomme. Il a écrit des romans, des chansons, du théâtre… Donc cela a peut-être participé à me donner l’envie de toucher à tous ces genres-là», dit-il.

Nouveau classique

«Le Vian qui pourrait être détesté a un peu disparu: il est entré dans un certain classicisme», constate quant à lui Michel Sandoz. «Peu de gens parlent encore du Vian censuré, du Vian antimilitariste. Ce qui reste, c’est surtout celui qui est entré dans les écoles avec ‘L’écume des jours’».

Un avis que partage la jeune Charline Brand, qui a participé à la préparation de l’exposition: «Il me semble que le regard actuel sur Vian est surtout littéraire, puisqu’on l’étudie au lycée, au collège. Les jeunes générations ne connaissent pas le jazzman, ni sa vie en général.

«Il était un amoureux du jazz, ne vivait que pour le jazz, n’entendait, ne s’exprimait qu’en jazz», disait de lui Henri Salvador, avec lequel Boris Vian signera néanmoins les tout premiers rock en français.

Oublié, le jazzman, le joueur de «trompinette», l’auteur d’environ 600 chansons, le directeur artistique qui collabora avec Duke Ellington, Sydney Bechet, Mouloudji ou Serge Gainsbourg? Ce serait dommage. Mais Michel Sandoz est confiant: «Beaucoup de chanteurs vont découvrir ou redécouvrir le musicien. C’est d’ailleurs plutôt du côté de la chanson et du jazz que l’on s’occupe de Vian actuellement».

Pas seulement: après la publication de ses œuvres complètes chez Fayard en 2003, son entrée à «La Pléiade», la plus prestigieuse édition française, pourrait être pour bientôt. En tout cas, le travail préparatoire est en cours.

Parfum de soufre

Vian dans les écoles. Vian peut-être à La Pléiade. Un Vian scolaire et respectable – ou presque. Bon. Mais il serait dommage que ce «classicisme» nouvellement acquis nous fasse perdre de vue la part plus sulfureuse de Vian. Celui du ‘Déserteur’. Mais également celui de ‘J’irai cracher sur vos tombes’, de ‘Et on tuera tous les affreux’, ou de certaines pièces de théâtre qui grattent là où ça fait mal.

«Que ce soit d’après la Cohérie (qui gère l’œuvre de Vian, ndlr) ou d’après Bernard Lavilliers, il serait très difficile actuellement, dans le climat de censure ambiant, de monter des pièces comme ‘Le goûter des généraux’ ou ‘L’équarrissage pour tous’», relève Michel Sandoz.

Dont acte. Mais puisque les livres existent, lisons. Ses romans. Ses pièces. Ses poèmes. Peu de chances alors qu’on oublie les mots du provocateur, de l’irrespectueux, du rigolard et désespéré Boris Vian.

Tout a été dit cent fois
Et beaucoup mieux que par moi
Ainsi quand j’écris des vers
C’est que ça m’amuse
C’est que ça m’amuse
C’est que ça m’amuse et je vous chie au nez.


swissinfo, Bernard Léchot à Genève

Né en 1920 à Ville-d’Avray, dans les Hauts-de-Seine, ingénieur de formation, Boris Vian débute sa carrière artistique en tant que trompettiste dans les clubs de jazz de Saint-Germain-des-Prés.

Il connaît le succès – et le scandale – grâce à ses pastiches de romans noirs américains qu’il écrit sous le pseudonyme de Vernon Sullivan: ‘J’ irai cracher sur vos tombes’, l’un des best-sellers de l’année 1947, ‘Et on tuera tous les affreux’, ‘Les Morts ont tous la même peau’.

Les romans qu’il publie sous son véritable nom dans les années d’après-guerre, ‘Vercoquin et le plancton’, ‘L’ Ecume des jours’ ou encore ‘L’ Arrache-coeur’, ne lui apportent pas la notoriété escomptée.

Egalement auteur de pièces de théâtre, de chansons et de poèmes, Boris Vian ne s’éloignera jamais beaucoup de la musique: en tant que musicien, chanteur, chroniqueur musical et que directeur artistique chez Philips, puis chez Fontana et Barclay.

Malade du cœur depuis l’adolescence, il meurt à l’âge de 39 ans, lors de la première du film tiré de son roman «J’irai cracher sur vos tombes».

La biographie «Boris Vian, le sourire créateur» sort parallèlement à l’exposition aux éditions Ecriture / Neige.

Il est signé Valère-Marie Marchand, une journalistes française qui collabore à plusieurs revues littéraires.

L’ouvrage rassemble moult témoignages de proches de Boris Vian, de sa première épouse, Michelle Vian à Juliette Gréco en passant par Guy Béart, Georges Moustaki ou Claude Bolling.

Un CD («Boris Vian chante Vian») de 17 titres accompagne le livre.

En marge du Salon international du livre et de la presse de Genève se tiennent également le Salon de l’Etudiant et Europ’Art (qui intègre cette année un «Supermarché de l’Art»).

A découvrir jusqu’au dimanche 26 avril 2009 à Geneva-Palexpo, tout près de l’aéroport de Genève.

Heures d’ouverture: tous les jours de 9h30 à 19h00 (sauf vendredi: nocturne jusqu’à 21h30). L’espace Europ’Art n’ouvre qu’à 11h00.

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