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On fait des chansons… et toute une vie, aussi

Michel Bühler et Rolf Kesselring se sont rencontrés en 1969. Le premier débutait dans la chanson. Le second dans l'édition de livres. Un demi-siècle plus tard, à l'occasion de la publication d'un volume de toutes les chansons de Bühler, notre collaborateur se souvient.

Il arrive quelquefois que le passé, les souvenirs de jeunesse, toute une vie, arrivent par la poste. Tout simplement. Un carton qu’on déballe, un volume à découvrir, qu’on ouvre d’un doigt prudent, et voilà que toute une mémoire s’éveille et frissonne.

Ce qui m’occupe, ici, est ce qu’on appelle, dans les métiers du livre «un fort volume». Les textes des chansons de Michel Bühler de 1969 (année de notre première rencontre) à 2008, à Yverdon-les-Bains, dans cette région du Nord-Vaudois qui nous est chère à tous les deux

Et la vie va…

Dans la tête, on est toujours jeune, on fait des chansons et toute une vie sans même prendre le temps d’y penser.

À la réception de ce pavé édité chez Bernard Campiche, j’ai réalisé qu’entre un premier 45 tours avec, dessus cet «Helvétiquement vôtre», qui avait défrayé la chronique et secoué la poussière dans les chaumières de Romandie et cet «Éloge des Vaudois» qui conclut l’ouvrage, il y a presque un demi-siècle qui s’est écoulé… pour lui comme pour moi. Un demi-siècle ! Je n’en revenais pas en feuilletant l’ouvrage. Je n’avais pas vu le temps passer.

Nos routes qui s’étaient souvent croisées au début de nos aventures, s’étaient éloignées l’une de l’autre. Lui sur scène à droite et à gauche, moi des livres pleins ma besace, déchiré entre Paris et la Suisse, comme lui sans doute. La vie, quoi ! De loin en loin, je me tenais au courant de ce qu’il faisait, de temps à autre, je mettais un gâteau de vinyle sur la platine et je réécoutais.

Quelques larmes

Je me souviens même d’une soirée à Paris, au 46 de la rue Richer dans le 9ème arrondissement, où j’avais, péremptoire comme souvent, obligé des amis à écouter les disques que je possédais de lui ! Sur le versant tardif de la soirée, armagnac de Codom aidant, j’avais discrètement essuyé quelques larmes nostalgiques.

Mes amis, tous parisiens, avaient mis ça sur le compte de cette soirée un peu trop arrosée.

Les démons de la chanson

Surtout lui ! Pour la bonne cause, puisqu’il était instituteur. Mais les démons ordinaires de la chanson le possédaient déjà. Poussé par eux et accompagné par Denis Niklaus, un ami mahousse qui faisait l’impresario pour des artistes locaux, il venait de sortir un premier 45 tours.

Tout le monde en parlait dans le Landerneau romand. On était une véritable bande de jeunes d’Émile Gardaz, Claude Blanc, Marcel Kohler , sans oublier mon voisin actuel : Nono Müller.

Je n’étais qu’un scribouillard de contes que je voulais drôles et brefs. Je vivotais de maigres piges en collaborant à un quotidien lausannois et traînait ma grande gueule dans les bistrots de la rue de la Plaine, à Yverdon.

On était jeune

Je revenais de loin, des «plaines de l’ordre», comme il l’écrivit plus tard dans un manuscrit désormais perdu. Dans cette histoire si ma mémoire me reste fidèle, un certain Sobrefils Mange sauvait son pote Wolf Resselking des geôles sises dans ladite plaine, en jetant aux chiens surveillants, les journaux locaux pour les endormir !

C’était Denis Niklaus qui avait provoqué notre rencontre. Je venais de publier mon premier recueil. On se les était dédicacés mutuellement. Je ne me rappelle plus ce que j’avais griffonné à la page de garde des ces «Martiens d’Avril» dont j’étais si fier, mais à l’inverse, les quelques mots que Michel avait écrits sur la fourre de son disque, résonne encore dans ma tête : « Pour faire plaisir aux amis et faire ch… les cons !»

On était jeune. On ne doutait de rien ni de personne.

Chacun sa route, chacun son chemin…

À partir de sa rencontre avec Gilles Vigneault (un jour à Genève dans les studios de RadiGenève – j’y étais !), Michel Bühler prit une envergure nouvelle et des chemins buissonniers.

Il se mit aussi à arpenter la planète. Il faisait provision d’émotion humaines, de sensations nouvelles. De Paris au Québec, de son Jura natal à l’Asie meurtrie et à l’Amérique centrale torturée, il parcourut le monde. Il vit la Palestine souffrir, l’Afrique se dessécher.

Toutes ces impressions, toutes ces émotions, on les retrouve dans ses chansons. Depuis le premier disque, il crie. Depuis longtemps, il s’indigne, à sa façon. La démence de ce monde est la marque de ce poète… l’amour de son Jura natal aussi. Il sait mélanger subtilement, l’amour et la tendresse, l’amitié et la compassion, l’ironie et la poésie.

Des directions différentes

Nos routes avaient pris des directions différentes et, lorsque pour céder à la douce pression de ma fille et de quelques amis fidèles, j’ai enfin accepté de revenir sur ma décision d’exil volontaire, et de reprendre le chemin de la Suisse –malgré mon cri de guerre d’alors : «Au Sud !», une des première personne que je revis dans les rues de Sainte-Croix, ce fut lui.

Depuis, on ne se voit guère, juste on se croise de temps à autre, alors je l’écoute en me passant ces CD’s en boucle entre Brassens ou Barbara, Brel ou Moustaki. Je le lis, aussi, grâce à Bernard Campiche. Il m’accompagne comme tous ces auteurs (poètes, écrivains ou chanteurs) sans lesquels la vie serait quelquefois bien triste, sans couleur, et finalement sans espoir.

swissinfo, Rolf Kesselring

Michel Bühler, ‘On fait des chansons – de 1969 à 2008’, préface de Roger Jaunin, chez Bernard Campiche éditeur.

Cabarete, récit – 1992.
Un Notable, roman, 1995.
La Parole volée, roman, 1987-1988. (Disponible en poche à L’Âge d’Homme, 1998.)
La Plaine à l’Eau Belle, roman, 1999.

Théâtre
Le Retour du Major Davel
La Véritable Histoire de Guillaume Tell, téhatre) 1989.

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