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De nouvelles tours de bureaux toujours plus hautes, mais pour quoi faire?

Tours Roche vues depuis le Rhin
Comme des ailerons de requin sur le Rhin. Les tours Roche ont modifié la ligne d'horizon bâloise. © Ruedi Walti

L'organisation du travail est en pleine mutation et il n'est déjà plus nécessaire de travailler à plein temps depuis les locaux de son entreprise. Alors pourquoi densifier les villes en construisant des gratte-ciels de bureaux, comme Roche l’a fait en Suisse?

Surplombant les toits de Bâle, la tour RocheLien externe de 205 mètres de haut a l’allure d’un gigantesque aileron de requin. La multinationale enchaîne les superlatifs pour la décrire.

«Cette tour de bureau est l’une des plus durables au monde», écrit l’entreprise. Elle est aussi la plus haute, la plus propre et la plus élégante, selon le géant pharmaceutique.

Etonnamment, toutes les communications au public ont mis l’accent sur la durabilité, et non sur le record de hauteur de la construction.

Le bâtiment a coûté 550 millions de francs et offre au personnel de Roche un total de 3200 postes de travail sur 50 étages. Le fait que 205 mètres de haut soit un nouveau jalon helvétique pour un gratte-ciel n’est mentionné qu’en filigrane.

Il est surprenant qu’à une époque où le travail n’est plus effectué qu’en partie dans les locaux de l’entreprise, des tours géantes soient construites pour accueillir des bureaux.

Alors que beaucoup d’employé-es peuvent travailler à distance et en ligne, la question de la durabilité de l’aménagement des postes de travail se pose avec une acuité nouvelle.

Ne serait-il pas plus durable de limiter les venues au bureau à des activités bien définies? Par exemple pour les rares réunions où un face-à-face est préférable à une visioconférence.

Rochetürm, interior
Le célèbre botaniste et architecte paysagiste Patrick Blanc a créé un mur végétal au rez-de-chaussée de la deuxième tour Roche. © Roche

Les spécialistes se demandent depuis longtemps si le travail effectué dans le confort du foyer n’est pas plus productif.

La pandémie de Covid a donné une énorme impulsion au développement de nouveaux concepts. Avec le coronavirus, le travail à domicile sans longs déplacements est devenu du jour au lendemain une réalité quotidienne. Pour beaucoup, cette organisation a même été obligatoire pendant quelque temps.

Lorsque la crise sanitaire a imposé le télétravail, la plupart des gratte-ciels qui accueillent aujourd’hui des bureaux étaient déjà construits. Leurs chantiers de construction spectaculaires, répondant à des normes antérieures à la pandémie, étaient depuis longtemps terminés.

Mais la situation a évolué. Les critères de durabilité du secteur du bâtiment se fondent avant tout sur une technique de construction moderne et un choix de matériaux respectueux de l’environnement.

Or remplacer le béton, omniprésent, par le bois n’a jusqu’à présent que peu séduit. Pourtant l’industrie ne peut plus faire l’économie de tels efforts. Il lui faut utiliser moins de ressources pour la construction et l’entretien des bâtiments.

La cantine avec vue au dernier étage
La cantine avec vue au dernier étage du bâtiment 2. © Roche

La jumelle surpassée

Le «bâtiment 2» de Roche n’est pas le deuxième bâtiment de l’entreprise, mais son deuxième à battre un record de hauteur en Suisse. Il se trouve juste à côté du premier édifice de la firme à détenir ce titre.

Avec sa façade tout aussi blanche et étagée vers le haut, son frère aîné a exactement la même apparence, sauf qu’il est un peu plus court, avec à peine 178 mètres.

En 2016, le «bâtiment 1» avait déjà établi le record suisse, supplantant la Prime Tower de Zurich. Cette dernière, haute de 126 mètres, a conservé le titre de 2011 à 2016.

En Suisse, les immeubles les plus hauts n’excèdent pas 25 mètres dans la plupart des villes. Mais ces dernières années, les tours de prestige n’ont cessé de s’allonger, suscitant l’effervescence générale.

Cependant, après quelques mois d’accoutumance, les esprits se sont vite calmés, comme on a pu l’observer à Zurich et à Bâle.

escalier
Comme dans le bâtiment 1, plusieurs étages du bâtiment 2 sont reliés par des escaliers en spirale. Roche

Qui vient encore au bureau?

Plus que la modification du paysage urbain, c’est la vie à l’intérieur des tours de bureaux qui suscite les interrogations. Ce type de bâtiment semble déjà sur le déclin.

D’un côté, les entreprises veulent économiser des surfaces. De l’autre, les employé-es ne veulent plus venir que de temps en temps, pour bavarder avec les collègues. Tout le reste se fait aussi bien, sinon mieux, depuis chez soi.

Pourquoi aura-t-on encore besoin de bureaux à l’avenir? Selon la proposition de Nora FehlbaumLien externe, CEO de la légendaire entreprise de design Vitra, le bureau du futur ressemble plutôt à un club.

Dans le «Club Office», tout comme dans un club d’échecs, de débat ou de football, il est question d’échanges et d’identification. Dans ses aménagements, l’entreprise différencie des zones calmes ou actives, privées ou collectives.

A l’intérieur des tours Roche, les bureaux ne sont pas conçus comme des espaces aussi silencieux que possible. Les architectes Herzog&de Meuron, signataires des fleurons terrestres de Roche, se sont inspirés pour leur intérieur de l’«activity based working» (ABW).

Développé aux États-Unis il y a plus de 50 ans, ce modèle proposait déjà à l’époque de remplacer l’idée d’un poste de travail fixe par des formes d’organisation plus flexibles.

Bureau
Le bureau ne sert pas seulement au travail individuel, mais aussi et surtout à l’échange. © Robert Rieger

Entre-temps, l’ABW est devenu la référence en matière d’organisation spatiale pour de nombreuses entreprises internationales, y compris Roche, qui opère à l’échelle planétaire.

Personne ne sait si les surfaces de bureaux des nouvelles tours bâloises sont occupées. Le service de presse répond laconiquement: «Nous ne suivons pas l’utilisation effective des postes de travail par département.»

Reste que les postes de travail se comptent par milliers. Dans le bâtiment 1, il y a 74’200 mètres carrés de surface brute de plancher (dont 58’000 sont des bureaux) pour 2000 employé-es.

Dans le bâtiment 2, 83’000 mètres carrés de surface brute de plancher (dont 61’500 pour des bureaux) pour 3200 employé-es. Et dans la vision d’avenir du bâtiment 3, prévue à 221 mètres de hauteur, encore plus de tout.

Roche insiste moins sur le nombre de personnes hébergées dans les tours que sur la cohésion du personnel.

Le rayonnement symbolique de ces gratte-ciels, les plus hauts de la ville, doit renforcer l’identification avec l’entreprise. Le bâtiment 2 est, selon le communiquéLien externe, «l’élément central permettant de rassembler les collaborateurs sur le site».

Les superlatifs sont relatifs

Tour Roche
Selon l’angle de vue, les nouvelles tours de bureaux paraissent plus ou moins hautes. © Ruedi Walti

Nul doute que les superlatifs ont joué un rôle dans la planification de ces constructions. Les tours de bureaux bâloises ne sont toutefois pas les seules à revendiquer des records de durabilité.

L’extension du Kunsthaus de Zurich, inaugurée il y a deux ans, s’est également présentée comme un exemple de durabilité, grâce à d’excellentes solutions techniques pour un grand bâtiment, que d’aucuns auraient souhaité un peu plus modeste.

Le fait que Roche fasse l’éloge de son propre bilan en matière de durabilité sur tous les canaux a suscité un large scepticisme.

La plateforme pour la culture du bâtiment EspaziumLien externe a par exemple objecté que «l’énergie grise injectée dans la structure porteuse en béton d’un tel gratte-ciel et la démolition imminente du parc immobilier environnant» n’avaient pas été prises en compte.

Tours Roche
Les deux ailerons de requin sont visibles depuis le centre-ville. © Ruedi Walti

En définitive, selon les explications de l’ingénieur civil Martin Stumpf, le type de développement de la deuxième tour Roche a permis d’économiser 8% de matériauxLien externe. On attend donc le bâtiment 3. Encore plus grand et plus haut, il débouchera aussi sur un nouveau superlatif en matière de potentiel d’économie.

Il y a toutefois un bémol. Déterminer si un bâtiment peut être qualifié de durable reste une question de méthodes de calcul et de valeurs de référence. Celles-ci pourraient bientôt changer en raison de la pression croissante exercée sur l’industrie du bâtiment pour qu’elle calcule ses écobilans de manière plus prudente.

Du gratte-ciel au club

Le débat sur la durabilité des nouvelles tours Roche soulève la question suivante: que se passera-t-il si les nouvelles formes de travail ne nécessitent plus de tours de bureaux?

Le bureau pensé comme un club, par exemple, pourrait très bien trouver sa place dans l’un des plus petits bâtiments historiques du site de Roche, par exemple dans les locaux des éminents architectes Roland Rohn et Rudolf Salvisberg, voués à la démolition.

vue de l intérieur de la tour Roche
Au 47e étage, la tour de bureaux se divise en niches privées, comme dans un club. Roche

La fondation PWG pour le maintien de logements et de locaux commerciaux à prix modérés de la ville de Zurich démontre qu’il est possible de transformer des tours de bureaux désaffectées.

A la périphérie zurichoise, dans le quartier de Leutschenbach, près de l’arrêt de tramway «Fernsehstudio», une tour de bureaux des années 1960 doit être transformée en appartements l’année prochaine.

La consigne est d’intervenir le moins possible dans la structure du bâtiment, c’est-à-dire de laisser le maximum de matériaux possible sur place. C’est déjà un défi pour les six étages de la construction en béton armé.

Personne ne sait comment se déroulera à l’avenir la transformation de la cinquantaine d’étages des tours Roche. Les changements d’affectation exigent un certain talent de planification.

En contrepartie, ces conversions promettent de bons bilans en termes de durabilité des bâtiments. Les perspectives de nouveaux records ou de superlatifs sont toutefois minces.

Traduction de l’allemand: Mary Vacharidis

Mary Vacharidis

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