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Des films africains conditionnés par l’argent du Nord

SP

Le cinéma africain vit essentiellement grâce aux financements occidentaux. Une dépendance qui influence le choix des sujets abordés par ces films. Ce constat est l'un des thèmes abordés par le 3e Festival Cinémas d'Afrique qui se tient cette fin de semaine à Lausanne.

Encore modeste dans sa taille, le tout jeune Festival Cinémas d’Afrique et Les journées du crocodile déclinent pour cette 3e édition le thème de la ville africaine, un univers peu abordé par les cinéastes africains.

«En Europe, nous continuons d’imaginer une Afrique idéalisée de petits villages, alors qu’une bonne partie, voire la majorité de la population africaine vit en ville. Or, très souvent, le cinéma africain lui-même perpétue cette image rurale du continent», remarque Catherine Morand, l’une des fondatrices de la manifestation lausannoise.

Pour mieux comprendre ce paradoxe, le festival organise un débat sur l’influence de l’argent du Nord dans le choix des histoires racontées par les films africains.

«La plupart des cinéastes africains reçoivent des financements des pays du Nord. Et c’est vrai que les Occidentaux adorent les histoires présentant une Afrique immuable et traditionnelle. De plus, ce sont souvent les agences de coopération qui donnent ces soutiens financiers en privilégiant des sujets liés à l’Afrique traditionnelle ou abordant les questions de développement», explique Catherine Morand, porte-parole de l’ONG Swissaid.

Et cette ancienne correspondante en Afrique pour plusieurs médias suisses et français de poursuivre: «Cette réalité économique rend très difficile les projets de films racontant par exemple une histoire de gangsters à Abidjan.»

Une créativité bridée

Boubacar Samb, coorganisateur du festival, renchérit. «C’est comme si on ne pouvait pas faire de l’art pour l’art. Il faut toujours que le film vise un objectif développementaliste ou traite du rapport tradition-modernité. Or aujourd’hui, la modernité s’affiche même au cœur des campagnes africaines», souligne le comédien d’origine sénégalaise, avant de rappeler que l’influence du producteur sur le thème et le genre du film qu’il finance n’est pas une spécificité africaine.

Cela dit, émerge ici ou là des producteurs africains. Il s’agit pour l’heure essentiellement de réalisateurs africains qui montent leur propre boîte de production. Responsable du festival, Alain Bottarelli cite l’exemple du Mauritanien Abderrahmane Sissako qui a produit le film tchadien «Darratt», sorti en 2006.

«Une production autonome émerge aussi par la télévision. Au Nigéria, comme en Afrique du Sud, elle est déjà bien développée», relève Alain Bottarelli. Ce qui permet à des cinéastes de faire des images et d’acquérir ainsi de l’expérience.

Une chance selon Boubacar Samb. «Sans ressources, les cinéastes tournent de moins en moins et donc peinent à progresser dans leur art», relève le comédien.

Les salles disparaissent

De son côté, Catherine Morand pointe l’épineuse question de la distribution: «Il y a de moins en moins de salles de cinéma dans les villes. A Abidjan, la capitale économique de Côte d’Ivoire, il n’y en a même plus une seule.»

Et les mégapoles qui conservent un circuit de salles sont toujours investie par une production cinématographique venue d’ailleurs, que se soit les grosses productions américaines, indiennes ou égyptiennes.

Pour autant, le festival lausannois n’entend pas versé des larmes de crocodile, bien au contraire.

«Ce festival permet de donner une image de l’Afrique différente de celle qu’on a habituellement de ce continent, dramatique et misérabiliste. Il offre également l’occasion au public africain et suisse qui le fréquente de découvrir des films difficilement visibles autrement», souligne Catherine Morand.

Avant de préciser: «En Suisse romande, voire en Suisse en général, c’est la seule manifestation cinématographique centrée uniquement sur l’Afrique. Lors de la première édition qui était un ballon d’essai, nous nous sommes rendu compte qu’il y avait réellement un public pour ce cinéma. Toutes les séances affichaient complet.»

swissinfo, Frédéric Burnand à Genève

Le 3e Festival Cinémas d’Afrique se tient à Lausanne (canton de Vaud) du 28 au 31 août.

Une trentaine de films sont projetés à la Cinémathèque suisse, au centre culturel Pôle Sud et en plein air sur l’esplanade de Montbenon.

Le festival tourne chaque année autour d’un thème développé par une partie des films et des débats. La 1e édition était consacrée aux processus de réconciliation nationale en Afrique. La 2e à la question des migrations.

Pour sa 3e édition, le thème principal est la ville en Afrique. Le festival évoquera également la figure du Martiniquais Aimé Césaire, mort en avril dernier.

«Come back Africa» (Afrique du Sud-1959) avec Miriam Makeba, qui lança ainsi sa carrière internationale.

«Un Héros» (Angola – 2005) raconte le destin d’un enfant soldat démobilisé.

«Une affaire de nègres» (Cameroun – 2007) est un documentaire sur une sanglante campagne de répression du banditisme dans la région de Douala en 2000.

«L’ultime hommage» (Ghana – 2005) est une comédie sur la vie amoureuse du croque-mort Asante.

«Victoire terminus, Kinshasa» (France, RCD – 2008) est un documentaire racontant la vie d’un groupe de boxeuses dans la capitale de la République démocratique du Congo.

«Ezra» (France, Nigeria, Sierra Leone – 2007) raconte le retour à la vie d’un ancien enfant-soldat.

«L’appel des arènes» (France, Sénégal, Maroc, Burkina Faso – 2006) met en scène deux jeunes Dakarois, l’un riche, l’autre pauvre qui partagent une passion commune : la lutte, sport national du Sénégal.

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