Dessa, ou l’art de la mémoire à Theresienstadt
L'artiste suisse Dessa expose à Terezin, en Tchéquie, ville tristement célèbre pour son passé de camp de concentration - Theresienstadt.
C’est là que Viktor Ullmann composa la musique qui est à l’origine des toiles de Dessa.
Viktor Ullmann est né en 1898 en Silésie. Pianiste, compositeur, professeur, il fut également directeur du Schauspielhaus de Zurich de 1929 à 1931.
En 1942, il est arrêté et déporté à Theresienstadt, une ville transformée en camp de concentration par les Nazis. Il y passe deux ans, avant d’être transféré à Auschwitz, où il sera tué, deux jours après son arrivée.
Mais à Theresienstadt, où étaient enfermés de nombreux artistes, le compositeur juif avait continué de créer. C’est là qu’il composa notamment sa «Sonate pour piano n°7».
L’exposition que présente Dessa dès le 7 novembre à Terezin s’intitule ‘A legacy from Theresienstadt’… «Mémoire de Theresienstadt, traduit-elle. Viktor Ullmann a voulu laisser le message de cette œuvre comme un cadeau, ou comme une force, parce qu’il savait très bien qu’il allait mourir. C’est dans ce sens-là que j’entends le mot ‘legacy’».
Une histoire longue et profonde
Il y a de nombreuses années que Dessa peint en s’inspirant d’œuvres musicales. Gustav Mahler, Olivier Messiaen, Ernest Bloch, Leonard Bernstein, Nino Rota, Bela Bartok, Erich Korngold…
Avec Viktor Ullmann, sa démarche acquiert une dimension supplémentaire, même si elle ne l’a pas perçue tout de suite: «Cette musique évoquait pour moi beaucoup d’images, d’émotions. Mais j’ignorais la puissance de ce que ça allait me faire, personnellement. L’histoire est donc beaucoup plus longue que les quinze mois de travail que cela m’a pris», se souvient Dessa.
L’histoire est beaucoup plus longue, en effet. Si Dessa est née au Zimbabwe, c’est de parents juifs, polonais et hongrois. Et ses propres grands-parents ont péri à Auschwitz. La résonance de la trajectoire d’Ullmann est donc profonde.
De la réflexion personnelle au devoir de mémoire
«Une sorte de thérapie personnelle, constate Dessa. Je me suis rendu compte, à travers cette musique-là, que je ne m’étais jamais posé certaines questions existentielles.»
«Par exemple, la perte de mes grands-parents à Auschwitz, qu’est-ce que ça m’a fait, dans ma personne? Et j’ai réalisé que ça m’a fait beaucoup, sans que j’en sois consciente. La façon que j’ai de ressentir le monde est, d’une certaine façon, imprimée dans l’histoire de mon peuple».
Car au-delà de soi, il y a les autres: «En peignant d’après cette œuvre, je répondais à un besoin intérieur. Mais je ne m’étais pas rendu compte de l’importance que cela pouvait revêtir pour d’autres.»
«J’ai senti que j’avais une responsabilité, pas seulement par rapport à Viktor Ullmann, mais aussi par rapport à mes grands-parents, et à d’autres gens». Et Dessa parle d’informer «à propos de ceux qui ont eu, dans ce camp, le courage et la force de vie de continuer à créer.»
«Une longue chaîne d’amitié»
C’est en 1995 que l’artiste-peintre, qui vit près de Lausanne, découvre l’œuvre de Viktor Ullmann. En 1997, une galerie de Bâle expose son travail. Qui sera ensuite présenté à Genève, à Saarbrücken, pour le centenaire du compositeur, et, plus récemment, au Berliner Dom.
Un livre est également publié, qui présente la démarche de Dessa et le contexte de Theresienstadt. Et c’est ce livre qu’un jour Mark Ludwig découvre aux Etats-Unis. Mark Ludwig, directeur de la Terezin Chamber Music Foundation, basée à Boston, dont le but est de faire connaître les œuvres des compositeurs passés par Theresienstadt.
C’est grâce à lui que l’exposition a été mise sur pied – ainsi que le concert qui l’accompagnera, le 7 novembre. Un événement patronné par l’Ambassade de Suisse, et surtout, largement soutenu par les organisateurs locaux. Malgré les inondations d’il y a deux mois et les dégâts qu’elles ont causés, ceux-ci ont persisté à vouloir monter l’événement.
«Je me rends compte que rien ne se fait au hasard. Je suis un chemin qui est tracé pour moi, mais que je participe aussi à tracer», relève Dessa.
Le fait de présenter son travail à Terezin, là-même où Ullmann composa son concerto, qu’est-ce que cela suscite chez elle? «Cela réunit une longue chaîne d’amitiés, des gens des Etats-Unis, d’Europe, d’Israël et même du Brésil, autour de ce projet. Je n’attends rien de plus que l’affirmation que la musique est encore très vivante, et qu’elle nous réunit toujours. C’est déjà pas mal».
swissinfo/Bernard Léchot
«A legacy from Theresienstadt», au Ghetto Museum de Terezin, du 7 novembre 2002 au 28 janvier 2003.
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