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Eicher, Diane et Loizeau sur leur fil

Un concert total et sans filet pour Emily Loizeau en toute fin de soirée. mjf

Dimanche au Montreux Jazz Festival, on attendait beaucoup de la chanteuse folk Alela Diane. C'est pour finir Stephan Eicher et son associé Finn, puis Emily Loizeau qui ont offert les plus belles émotions. La palme au culot.

C’est une de ces anecdotes qui font la légende de Montreux. Nous sommes aux Grammy Awards à Los Angeles, l’an dernier. On plutôt hors champ des caméras, loin des paillettes.

D’un côté Herbie Hancock, claviériste fondamental pour les jazzfans aux oreilles ouvertes. De l’autre, un pianiste virtuose de la musique classique, le Chinois Lang Lang. Ils improvisent et Claude Nobs, le patron du Montreux Jazz Festival, jamais avare d’une bonne idée, dit son intérêt pour un vrai projet qui les réunirait.

Résultat, une première mondiale, dimanche à l’Auditorium Stravinski, la grande des deux scènes payantes du festival. Herbie Hancock-Lang Lang avec, en appoint de luxe, l’Orchestre national de Lyon sous la baguette de John Axelrod. Du classique et du jazz, pour l’étiquette. Moins relevant peut-être pour la légende de Montreux, beaucoup plus sans doute pour la leur propre, swissinfo.ch a pris le parti des mocassins, des oiseaux dans la tête, du tambour chamanique. Et de déjeuner en paix.

Tout commence sur l’herbe, avant même les premières notes. Il est 19h28 et à Wimbledon, Roger Federer remporte le 5e set (16 : 14!), s’adjugeant la finale. Une victoire historique pour le tennis. Les amateurs de musique explosent, leur joie ébranle un Palais des congrès de Montreux branché sur les bonnes chaînes TV.

La suite est musicale. Depuis son apparition sur la scène folk, la jeune Alela Diane a coupé ses cheveux. Mais sa voix reste habitée. Puissante et douce, ferme dans les aigus, articulée. Avec son père à la guitare, elle entame son set au Miles Davis Hall avec un «Lady divine» toute en retenue. Elle siffle comme un rossignol.

Jamais venue

Dans «Tired feet», Alela Diane évoque cet endroit où jamais elle n’est venue mais où elle a déjà chanté… Les guitares plus folk que nature prennent ensuite la ronde pour «Tatted Lace». Deux boys barbus et chevelus apportent basse et batterie pour une dizaine de titres. Leur pulsion se fait parfois plus funky, mais l’ensemble conserve sa lourdeur terrienne.

Un léger ennui gagne l’auditeur. Manque de surprise? Trop de tiédeur? Très proches des albums de la chanteuse, les interprétations manquent de cette fissure par laquelle la lumière jaillit, comme l’écrivait Leonard Cohen.

Il faut attendre «The Pirate’s Gospel», titre du premier disque de la Californienne, pour voir le concert prendre son envol, le public battre le rythme des mains, les sourires s’élargir. Trop tard, Finn-Eicher sont déjà annoncés.

Et là, pas une trace de routine. Finn et Eicher aiment chacun ce que fait l’autre. Ils ont opté pour une tournée qui mélange leurs chansons, voix, guitares, le français, l’anglais et l’allemand. Le tout en version acoustique, avec contrebasse et violon pour souligner la poésie de la démarche et révéler son potentiel d’émotions.

Joie simple

Finn se lance d’une voix haut perchée qui évoque celle d’Eicher en plus appuyée. Une ballade, que suit «Manteau de gloire». Les voix fusionnent ou se soulignent mutuellement. «Ich möchte ein Eisbär sein» achève de faire fondre le public, définitivement gagné à la démarche intime du Suisse et de l’Allemand. Un concert qui transpire la joie simple et fait la nique aux puristes.

Entre textes, chansons et confidences, Stephan Eicher a offert et vécu (il le dit lui-même) une soirée exceptionnelle avec Philippe Djian, vendredi au Château de Chillon (voir notre article). En écho, voici l’écrivain et parolier qui apparaît au piano puis sur le devant de la scène. Il dit ses chansons, Finn et Eicher reprennent et chantent. Puis Djian adopte lui aussi la mélodie («Dis-moi où», «Pas d’ami (comme toi)» en rappel), Eicher sourit dans sa moustache. Emotion.

Finn et Eicher improvisent ensuite une mise en musique d’un des derniers textes de l’écrivain («Vipère»). Le set s’achève sur un «Déjeuner en paix» repris par la salle. Au rappel, Finn-Eicher (le premier souvent dans l’ombre du second) subliment «My funny Valentine». Sans micro, ils prennent congé avec… Stevie Wonder et son «I just called to say I love you».

Le 3e set de la soirée était réservé à Emily Loizeau, robe noire et pieds nus. La chanteuse Franco-anglaise n’a pas oublié les ficelles de la comédie. «La chanson est une manière de vivre le théâtre sans abandonner la musique», dit-elle. A travers son spectacle total et luxuriant, filé d’humour et privilégiant la prise de risque, elle danse, mime, joue, improvise, minaude parfois, mais s’offre entière. Et le public répond, sifflote, bat le rythme, boit ses divagations.

Filet d’enfant

Sa voix, Emily Loizeau en fait un flux rocailleux ou un filet d’enfant. Elle caresse son piano ou martèle un grand tambour de chaman. Avec elle, une incroyable troupe d’élite musicale à quatre. Valses fracassées, tintamarre de foire et blues ne sont pas les derniers convoqués.

Le répertoire est essentiellement tiré du dernier album. On y rencontre une femme à barbe qui «pisse dans ton caniveau». Il est aussi question d’un crapaud de la Forêt noire que la princesse refuse d’embrasser. «L’autre bout du monde», bien sûr, aussi, en rappel, tout comme Tom Waits («Come on up to the house»).

Emily redescendra ensuite sur terre. Mais pas avant un dernier emprunt, à Eurythmics cette fois. «Sweet dreams (Are made of this)» Indeed…

Pierre-François Besson à Montreux, swissinfo.ch

43ème. Le 43ème Montreux Jazz Festival se tient du 3 au 18 juillet.

Animations. A côté des concerts dans les deux grandes salles du festival (Auditorium Stravinsky et Miles Davis Hall), maintes animations sont au programme, dont les croisières musicales sur le Léman, les multiples concerts gratuits, les workshops instrumentaux, les concours.

Budget. Deux-tiers du programme de festival est gratuit et le budget de cette édition se monte à 20 millions de francs.

Aura. Quelque 200’000 personnes au total devraient fréquenter un événement qui est devenu une importante carte de visite internationale et musicale de la Suisse dans le monde.

Née en 1983 en Californie, après un premier album autoproduit en 2003, elle s’est imposée sur la scène folk en 2007 avec un «The Pirate’s Gospel» sobre et épuré qui a enchanté public et critiques.

Très «famille-amis», autant dans sa formation au chant et à la guitare que, plus tard, dans la production de ses disques et ses tournées, elle a sorti cette année «To Be Still», sur lequel elle creuse son sillon agreste.

Française de mère britannique, cette auteure-compositrice-interprète née en 1975 a étudié la musique classique et le théâtre avant d’opter pour la chanson (en français et anglais) au tournant du siècle.

Après un premier album autoproduit, elle sort «L’Autre Bout Du Monde» qui la fait exploser en 2006. Suit, cette année, «Pays sauvage», cd-monde enregistré entre Paris, l’Ardèche et la Réunion.

Entre low fi et electronica, le songwriter et multi-instrumentiste allemand Patrick Zimmer, alias Finn, est né en 1977. Il a enregistré trois disques dont le dernier s’intitule «The Best Low-Priced Heartbreakers You Can Own».

Avec sa vingtaine de disques, des tournées nombreuses et polymorphes, l’auteur-compositeur-interprète suisse (alémanique, né en 1960) Stephan Eicher n’a plus à être présenté. D’autant qu’il habite maintenant en France…

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