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Fantastique à Neuchâtel, entre gore et respectabilité

Pas facile d'être un Furlong... swissinfo.ch

«The Hideaways» de la Française Agnès Merlet a ouvert vendredi soir la 11e édition du Neuchâtel International Fantastic Film Festival. Pour évoquer cette manifestation à la fois sympathique et sanguinolente, rencontre avec Michel Vust, son directeur technique.

Bienvenue chez les Furlong, étonnante famille au centre de ce film anglophone signé par la Française Agnès Merlet, projeté vendredi soir au Théâtre du Passage à l’occasion de la cérémonie d’ouverture du 11ème NIFFF.

«The Hideaways», ou une histoire d’amour – miraculeux? merveilleux? magique? fantastique? – entre deux recalés de la vie qu’une forêt et le hasard réunissent. Elle est atteinte d’un cancer apparemment incurable. Lui a hérité de pouvoirs étranges et destructeurs. Chez les Furlong, les mâles sont en effet affectés d’étranges symptômes. Ainsi, James, lorsqu’il se sent agressé, devient-il involontairement une arme de destruction massive…

Récit fantastique, conte romantique, «The Hideaways», on l’aura compris, emmêle réalisme et surnaturel. Ouverture logique pour un festival qui, s’il vit sous la bannière du fantastique avec une image de vilain garnement, joue depuis ses débuts à multiplier les angles d’approche…

swissinfo.ch: En 2010, l’Office fédéral de la Culture (OFC) vous a reconduit son soutien, et l’a même augmenté. Qu’est-ce que cela représente pour le festival?

Michel Vust: La part de la Confédération représente un peu moins de 10% du budget, qui lui s’élève à 1,3 – 1,4 million. Ce n’est donc pas une part qui en elle-même est susceptible d’entraîner des changements majeurs, par contre, elle a un effet déclencheur. Le soutien de l’OFC, pour un festival un peu particulier comme le nôtre, qui ne plaît pas nécessairement à tous les publics, nous donne une légitimité culturelle qui nous permet d’aller voir plus facilement le canton, la ville ou d’autres institutions.

swissinfo.ch: Il y a cette année un changement d’orientation à travers l’abandon des projections en plein air, dont vous aviez rêvé pendant longtemps, et l’allongement de la durée du festival à 9 jours. Avec quels objectifs?

M.V.: Nous avons renoncé à l’open air pour des raisons clairement économiques. Et on a décidé, pour ne pas diminuer l’offre, de le remplacer par une nouvelle salle. On vise depuis plusieurs années une diversification, autant dans les genre des films que dans les publics. Du point de vue du cinéma, on essaie de montrer le cinéma fantastique dans toute sa diversité, et les zones de porosité que le fantastique a avec les autres genres – thriller, action, comédie. Programmer davantage de films qui ne sont pas en compétition nous permet de sortir du cadre purement fantastique, avec des choses soit plus grand public, soit vraiment extrêmes, qui ne pourraient pas figurer dans la compétition. On a toujours voulu avoir cette approche «large», et chaque année, on essaie de développer cette approche.

swissinfo.ch: Le fait de consacrer une rétrospective au cinéma gore ne va pas vous attirer que des sympathies!

M.V.: Sur ce coup-là, on s’est dit: tant pis pour les à priori qui pèsent sur le festival. On a pensé que comme le festival était en voie d’institutionnalisation, on pouvait se permettre d’afficher notre indépendance et notre attachement aux racines de ce genre, et à tout ce que ce genre peut avoir de… plus ou moins fréquentable.

swissinfo.ch: Essayez de me convaincre que le cinéma gore est autre chose que de la violence gratuite avec des tonneaux d’hémoglobine…

M.V.: Ce qui m’intéresse dans cette forme de cinéma, c’est cette appréhension de la violence qui va à l’encontre de la banalisation. On pourrait se dire que c’est un genre complaisant, mais c’est un genre qui montre la violence physique, les altérations du corps dans toute leur horreur, et qui est donc aux antipodes de films qui banalisent la violence, où l’on voit des gens qui se tirent dessus et qui tombent comme des mouches sans que cela n’ait aucune importance dans le développement de l’action. Le cinéma gore est un cinéma de l’exhibition de la violence, qui en dénonce certains éléments.

swissinfo.ch: Vraiment? Est-ce qu’on n’y développe pas plutôt un certain goût pour l’immonde?

M.V.: C’est un cinéma qui vise à un certain dégoût. Au-delà, comme pour n’importe quel film, les effets que peut ressentir le public sont complétement imprévisibles.

swissinfo.ch: On peut prendre goût au dégoût…

M.V.: On peut prendre goût au dégoût, comme à la violence, comme à une certaine immoralité dans d’autres films. Les réalisateurs font des expériences et les spectateurs en font d’autres. Mais je ne crois pas qu’il y ait des expériences qui ne doivent pas être faites au cinéma, puisqu’on est justement dans le registre de la fiction.

swissinfo.ch: D’un côté, une rétrospective gore pour maintenir le cap de la provoc, et de l’autre, une démarche assez technique avec le symposium ‘Imaging The Future’, qui en est à sa 6ème édition. A-t-il déjà eu des implications concrètes?

M.V.: Ce symposium qui propose des réflexions, des conférences autour des nouvelles technologies de l’image, est vraiment devenu une espèce de plateforme de rencontre pour les professionnels. Et il y a de plus en plus de public. Certains projets, certaines collaborations, ont même été échafaudés à l’occasion de ce symposium. Ce qui était l’un de nos objectifs dans un secteur où les gens sont très isolés, sans guère de réseau, avec en plus un fossé important entre la Suisse romande et la Suisse alémanique. Grâce en partie au symposium, une association des professionnels de l’infographie est née.

swissinfo.ch: Le symposium dure deux jours et réunit une vingtaine d’invités… c’est manifestement un enjeu important pour le festival.

M.V.: C’est très intéressant de montrer les liens entre le cinéma, les jeux vidéo, d’autres formes de création encore. On a lancé ce projet parce qu’on a tout de suite vu en quoi le fantastique était important dans ce domaine, et comment on pouvait mobiliser les professionnels dans ces secteurs-là. Les professionnels neuchâtelois ont ainsi l’occasion de rencontrer des professionnels suisses ou internationaux, d’où certaines retombées directes ou indirectes possibles, sur un plan créatif ou économique.

swissinfo.ch: La très cérébrale Fondation Pro Helvetia soutient désormais le jeu vidéo et présente une exposition dans le cadre du festival… En dix ans d’existence, pensez-vous que le NIFFF a participé à ‘débloquer’ certaines choses?

M.V.: Difficile à dire: on s’est trouvé dans une mouvance qui se développait. Ce qui est sûr, c’est que la personne qui est responsable du projet ‘Game culture’ à Pro Helvetia est un ancien du Symposium. Il y a donc une circulation des idées, et nous sommes dans ce réseau-là. En Suisse,  il y a un mouvement général de prise de conscience sur l’intérêt de ces domaines, d’un point de vue artistique, mais aussi d’un point de vue strictement économique.

Dates. Le festival se tient du 1er au 9 juillet.

 

Chiffres. Au menu, 136 projections publiques pour 80 longs métrages et 50 courts produits par 19 pays différents, ainsi que 25 rencontres et conférences. 

 

Nouveautés. Si les projections en plein air disparaissent pour raison économique, la manifestation aura durée plus longue (9 jours au lieu de 7), une salle supplémentaire (le Temple du Bas), et deux nouveaux programmes: Films of The Third Kind (films plutôt grand public entre fantastique et thriller) et Ultra Movies (films particulièrement extrêmes).

 

Compétition internationale. En 12 titres issus de 10 pays, un tour d’horizon de la production fantastique actuelle. A noter le retour en force du cinéma de genre américain et pour la première fois au programme, un film colombien et un autre portoricain.

New Cinema from Asia. En 8 films, le reflet des spécificités du cinéma populaire asiatique, avec des films d’auteurs confirmés (Japon, Corée, Thaïlande) et des raretés (Mongolie, Malaisie).

Courts. Le NIFFF propose deux compétitions de courts métrages, suisses et européens.

Rétrospectives.Just a Film! (consacrée au cinéma gore en 29 films) et From Russia with Screams (l’angoisse version russe en 5 films, une série TV et un programme de courts métrages).

Symposium Imaging The Future. Cet événement qui réunit autour de la question de l’image numérique des spécialistes venus du cinéma, de l’art contemporain, du design de jeux vidéo et ou de la communication se tient les 5 et 6 juillet.

Invités. L’Américain Eli Roth (Cabin Fever, Hostel, Hostel II) est l’invité d’honneur de cette édition. Seront aussi de la partie, parmi d’autres, le producteur et réalisateur américain William Lustig (Maniac), l’actrice et réalisatrice française Marina De Van (Dans ma peau, Ne te retourne pas), le pape du cinéma gore Herschell Gordon Lewis ou le romancier américain Jack Ketchum.

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