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Festival d’Avignon: les Suisses au Caire et sur mers

«Radio Muezzin», le dernier spectacle de Stefan Kaegi, est présenté à Avignon cette année. Claudia Wiens

La plus importante manifestation théâtrale européenne s'ouvre le 7 juillet. A l'affiche, des grands noms de la scène internationale, dont Christoph Marthaler, Stefan Kaegi et Jean-Quentin Châtelain... Trois artistes, témoins d'un talent helvétique qui s'exporte très bien.

Stefan Kaegi a les yeux rivés sur les minarets, sur l’appel à la prière, sur une sanctification que recherchent les muezzins des pays musulmans, l’Egypte en tête. C’est au Caire qu’il est allé cette fois chercher le sujet de son dernier spectacle «Radio Muezzin», présenté à Avignon.

Le metteur en scène soleurois, dont le travail théâtral est essentiellement basé sur la recherche documentaire, n’est jamais à court d’idée pour transfigurer le réel, lui donner une aura artistique. Il y réussit fort bien, comme il l’a prouvé dans deux de ses productions «Mnemopark» et «Airport Kids» (swissinfo en a parlé). Il persiste et signe avec «Radio Muezzin», un titre tout ce qu’il y a de plus sérieux, même s’il résonne comme une farce.

Dieu et les nouvelles technologies

En amont de cette «Radio…», donc, le chant des minarets, écouté par un Kaegi subjugué, lors d’un voyage au Proche-Orient. Damas, Amman, Le Caire. Trois capitales arabes où il s’est laissé envoûter par «la sensation acoustique impressionnante» que procure l’appel à la prière. Désaccordé ou, au contraire, synchronisé, selon le pays.

Car même dans la relation à Dieu, les nouvelles technologies interviennent. «A Amman, par exemple, j’ai compris que l’appel était centralisé par une seule radio qui diffusait un seul chant de muezzin dans toutes les mosquées de la ville», explique le metteur en scène dans une note d’intention.

Même processus en cours au Caire où, selon Kaegi toujours, le ministère de la Religion semble vouloir mettre la technique au service du sacré. Avec plus ou moins de réticences de la part des chanteurs.

C’est vers ces derniers que le metteur en scène s’est tourné, cherchant à savoir ce qui reste d’humain dans leur univers bousculé aussi bien par la science que par les autorités publiques.

Sur scène, quatre muezzins cairotes, des vrais, se racontent: «Enfance, formation, famille, itinéraire». Derrière chacun d’eux, un écran sur lequel défilent des images de leur vie, de la mosquée où ils prêchent, de ses environs. Elles ont été réalisées sur place par le Soleurois qui voulait rester «loin du cliché touristique ou médiatique». Histoire de laisser au quotidien sa part de magie et de spiritualité.

L’océan à portée de main

Ce que fait à Avignon, mais dans un tout autre registre, Jean-Quentin Châtelain. Dirigé par le metteur en scène français Claude Régy, le comédien genevois se montre brillant dans «Ode maritime». Un long poème lyrique et épique du Lisboète Fernando Pessoa, qui «regarde vers l’Indéfini». L’océan est ici à portée de main. Sauf que le voyageur Châtelain ne bouge pas de son quai.

Les flots, qui pourtant l’emmènent loin, sont le fruit de son imaginaire: conquêtes portugaises d’autrefois, injustices et violences, mais aussi exploration des abîmes intérieurs. Tourments d’un monde où la souffrance s’élève comme une prière.

L’Europe, une prison

Plus proche de la réalité est Christoph Marthaler. Le metteur en scène bâlois, connu pour son humour abrasif et ses personnages bercés par une douceur inquiétante, s’en prend (et le mot n’est pas fort) à ceux qui bâtissent l’Europe. A ceux qui en ont fait un espace contrôlé par les mêmes aspirations, les mêmes peurs, les mêmes joies, les mêmes déceptions…

Les victimes de cette Europe unifiée, c’est nous, pris entre notre besoin de liberté et la bêtise de croire que nous en sommes les maîtres. Pauvres humains butant toujours contre un monde étouffant qui, selon Marthaler, ressemble de plus en plus à une prison. D’où le titre de son spectacle «Riesenbutzbach. Eine Dauerkolonie» (Riesenbutzbach. Une colonie permanente).

Kaegi, Châtelain, Marthaler. La Cité des Papes tient pour son théâtre trois grands ambassadeurs suisses. Auxquels il faut ajouter un quatrième, sans doute moins bon diplomate, car provocateur irréductible. Il s’agit d’Oskar Gomez Mata et de son spectacle décoiffant «Kaïros, sisyphes et zombies». Nous n’y reviendrons pas, après en avoir rendu compte en mars dernier.

Ghania Adamo, swissinfo.ch

Festival d’Avignon, du 7 au 29 juillet.

Réservations et informations: 00334 90 27 66 50 et www.festival-avignon.com

«Radio Muezzin», de Stefan Kaegi, compagnie Rimini Protokoll. A voir au Cloître des Carmes, du 22 au 28 juillet.

«Reisenbutzbach. Eine Dauerkolonie», de Christoph Marthaler. A voir à Châteaublanc – Parc des expositions, du 23 au 26 juillet.

«Ode maritime» de Fernando Pessoa. Mise en scène Claude Régy. Jeu: Jean-Quentin Châtelain. Salle Montfavet, du 9 au 25 juillet.

«Kaïros, sisyphes et zombies», d’Oskar Gomez Mata. A voir à la Chapelle des Pénitents Blancs, du 14 au 16 juillet.

«Le sang des promesses» et «Ciels», de et par Wajdi Mouawad. A voir respectivement à la Cour d’Honneur du Palais des Papes, du 8 au 12 juillet. Et à Châteaublanc, du 18 au 29 juillet.

«Sad Face/Happy Face», de Jan Lauwers. A voir à Châteaublanc, les 12, 14 et 18 juillet.

«(A)pollonia» de Krzysztof Warlikowski. A voir à la Cour d’Honneur du Palais des Papes, du 16 au 19 juillet.

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