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Gare à l’homme noir!

Hasselloef Steiner, un ramoneur suédois, de passage à Sonogno! Keystone

Perle du Val Verzasca tessinois, le petit village de Sonogno a accueilli récemment 400 ramoneurs venus du monde entier pour leur congrès annuel.

Plus beaux et parés les uns que les autres, coiffés de hauts de forme ou bérets de cuir, les hommes noirs ont envahi les ruelles pavées, à l’ombre des vieilles maisons aux toits d’ardoise.

Ils sont venus de toute l’Europe. De Suisse et d’Italie surtout mais aussi de France, d’Allemagne, d’Autriche, de Hollande, de Scandinavie, d’Espagne et même des Etats-Unis.

Au lendemain de leur 27ème congrès annuel organisé à Santa Maria Maggiore, dans le Val Vigezzo italien tout proche, les 400 hommes noirs et leurs familles ont fait halte au Tessin.

La balade de la mémoire

Une émouvante balade de la mémoire. Un hommage rendu aux petits ramoneurs tessinois qui, à cheval entre les 19ème et 20ème siècles, étaient cédés aux maîtres-ramoneurs italiens qui passaient dans la région.

Parce que, dans les montagnes du sud des Alpes, la misère était plus noire que la suie. Agés de 8 à 15 ans, graciles pour mieux se faufiler à l’intérieur des cheminées, les enfants ramoneurs provenaient surtout de Sonogno et d’Intragna, dans les Centovalli.

A Milan, à Pavie, à Mantoue ou dans d’autres villes de Lombardie et du Piémont, ils travaillaient et vivaient dans des conditions épouvantables, de quasi-esclavage. Et souvent ils mouraient à la tâche. Ils succombaient à des bronchites pas soignées, au froid ou à la faim.

Leur tragique odyssée, cette sombre page de l’histoire de l’émigration tessinoise, a été racontée, dans les années 40, par l’écrivain allemand Lisa Tetzner. Son livre, «Giorgio, le petit Tessinois» («Die Schwarzen Brüder», dans la version originale), est devenu l’ouvrage-culte des hommes noirs. Il a été traduit en de nombreuses langues, a été lu dans les écoles, a été porté à l’écran et est devenu une comédie musicale à succès.

Accueil musical du clown Dimitri

La promenade tessinoise des ramoneurs du monde entier a été organisée par Elisabeth Wenger, écrivain alémanique établie au Tessin et présidente de l’Association «Verdingkinder» (enfants placés). «Je voulais que les maîtres-ramoneurs d’aujourd’hui se souviennent de leurs frères moins fortunés, qu’ils leur rendent hommage, explique-t-elle. Et ils ne pouvaient pas mieux le faire qu’en venant à Intragna et Sonogno».

En provenance de Santa Maria Maggiore, considérée comme le berceau mondial des ramoneurs, les hommes noirs ont fait une première halte à Intragna. Ils y ont été reçus par le clown Dimitri et l’acteur et présentateur tessinois Yor Milano, qui les a salués dans une dizaine de langues. Accompagné du cabarettiste Roberto Moggini, Dimitri leur a chanté l’épopée des petits ramoneurs.

L’arrivée des ramoneurs à Sonogno a créé la sensation parmi les touristes, qui affluent quotidiennement dans ce village typique. Sur la petite place du village, les cuisiniers locaux ont préparé le risotto et les saucisses pour tous. «Nous avons cuisiné environ 800 portions, il y a beaucoup de femmes et d’enfants qui ont fait le voyage», explique l’un d’eux.

De si beaux ramoneurs…

Ouvert par une dizaine de figurants représentant les enfants-ramoneurs, les participants ont défilé sous les applaudissements. Vêtus de leurs costumes noirs (et en kilts pour les deux Ecossais présents), décorés de médailles et cocardes et portant leurs outils de travail, les ramoneurs – dont quelques femmes – ont pris d’assaut la place du village.

Hélés par les passants qui voulaient les toucher – porte-bonheur oblige – ou les photographier, les hommes noirs ont suscité l’enthousiasme. «C’est merveilleux!» s’exclame une Valaisanne de passage, qui ajoute: «Je n’ai jamais vu de si beaux ramoneurs!»

Installés coude à coude sous un soleil estival, devant un boccalino de merlot, les ramoneurs et leurs familles ont sympathisé. Tous âges, toutes langues et toutes nationalités confondues.

Venu tout exprès de Boston (USA) avec sa femme et leurs deux garçons de 6 et 8 ans, habillés de pied en cap, Charles Koubeck s’est réjoui de cette expérience, «une sensation unique, inoubliable» lance-t-il. Le vétéran des ramoneurs américains, le Californien Charlie Dunn renchérit: «Je n’aurais raté ces retrouvailles pour rien au monde» affirme-t-il.

Hommage au plus vieux des petits ramoneurs

En face d’eux, la famille – trois générations – du Hollandais d’origine tessinoise Ambrogio Delea, 67 ans. Qui, malgré son nom, ne parle pas un mot d’italien. «Au début du siècle dernier, mon grand-père était parti de Minusio, près de Locarno, et s’était établi dans la Frise hollandaise. Là il a appris le métier de ramoneur avec les Italiens arrivés avant lui. Il a ensuite ouvert son entreprise et nous sommes allés de l’avant, jusqu’à la troisième génération», raconte-t-il.

Ambrogio Delea est un habitué des rencontres annuelles de Santa Maria Maggiore où il est venu à plusieurs reprises.

Sonogno a aussi rendu hommage au plus vieux des «petits ramoneurs» encore vivants. L’Italien Gentile Di Pietro, 90 ans, de Ré dans le Val Vigezzo a été acclamé par ses confrères. L’association «Verdingkinder» l’a remercié au nom des milliers d’enfants italiens et tessinois dont il avait partagé le sort. Dans une autre vie.

swissinfo, Gemma d’Urso à Sonogno

Pour la première fois, la Rencontre internationale des ramoneurs organisée annuellement à Santa Maria Maggiore (I), s’est déplacée au Tessin.
400 ramoneurs et leurs familles provenant de 14 nations dont les USA ont afflué lundi 5 septembre à Intragna (Centovalli) et Sonogno (Val Verzasca) pour une journée du souvenir consacrée aux petits ramoneurs tessinois.

– L’Association suisse «Verdingkinder» présidée par Elisabeth Wenger, écrivain alémanique installée au Tessin, a organisé la journée du souvenir.

– Elle a rendu hommage à la mémoire des écrivains allemands Lisa Tetzner et Kurt Held qui ont décrit les conditions de vie des petits ramoneurs suisses. («Giorgio, le petit Tessinois»).

– En Italie, la localité de Santa Maria Maggiore dans le Val Vigezzo, juste de l’autre côté de la frontière tessinoise, a fourni le plus grand nombre de petits ramoneurs.

– Au Tessin, la plupart des enfants ramoneurs provenaient des villages d’Intragna et de Sonogno. Ils ont été placés en Italie dès la seconde moitié du 19ème siècle et jusqu’aux années 50 du siècle dernier.

– Les Tessinois étaient placés en service en Lombardie et au Piémont, les petits Grisonnais allaient travailler en Autriche et en Hongrie.

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