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Hallyday à Genève – une vie, nos vies

Un homme et cinquante années de scène... Keystone

Le Stade de Genève figurait, ce 4 juillet, sur la carte du «Tour 66» de Johnny Hallyday. Après le passage de Christophe Maé, Johnny Hallyday a su, malgré le gigantisme de sa production, toucher chacun. Ses chansons... notre mémoire.

Pour son «Tour 66», Johnny Hallyday s’est payé la Rolls de ses rêves. Ou plutôt la Cadillac, question de cohérence. Un show que ne dédaigneraient ni les Stones, ni Madonna. Fête foraine futuriste. Explosion d’images, de lumières (le toujours formidable Jacques Rouveyrollis), sonorisation brutale et époustouflante à la fois.

Pour Hallyday, le point final – si c’en est vraiment un – de toutes les démesures. Pour son public, l’adieu au dieu vivant, qui quitte la scène en réussissant une sortie parfaite, donnant en trois heures de spectacle, sans aucune baisse de régime, une relecture clinquante et imparable de ses cinquante ans de carrière.

Quoi ma gueule?

Lorsque vous dites à votre entourage que vous allez écouter Johnny, il arrive qu’on vous regarde d’un drôle d’air, entre incrédulité, ironie et compassion. Johnny et ses multiples transfigurations, Johnny et ses spectacles mégalo, Johnny «ah que», Johnny et son chalet de Gstaad, Johnny qui n’a jamais rien inventé et qui aura néanmoins connu une vie de surmédiatisation… Bien sûr, il y a de quoi être lassé.

Bien sûr. Et pourtant, Hallyday, si vous n’êtes pas né au cours des douze derniers mois, aura d’une manière ou l’autre, à un moment ou à un autre, laissé une empreinte dans votre vie. Et quand ce sont 36.000 personnes qui se rassemblent, comme cette nuit à Genève, ce sont autant de vécus qui vibrent au phénomène de la madeleine rock n’roll de Johnny Proust.

Une première preuve? Lorsque le «Patron» ouvre son show par «Ma gueule», tendu comme un arc et fixant le public en silence, moi, je me souviens de la pochette bleue, Johnny encasquetté façon voyou, qui habillait le 45 Tours: oui, les mômes, un truc rond et noir en vinyle qu’on achetait avec de l’argent dans des magasins…

Vous raconter l’efficacité de «Joue pas de rock ‘n’roll pour moi», bonifié par quarante années d’électricité? A quoi bon, cela ne convaincrait que les déjà convaincus. Vous dire l’émotion qui surgit de ce «Diego» somptueux? Idem. Dans Johnny, chacun projette ce qu’il a à projeter. Avec son cœur ou son cerveau. Parfois même les deux.

Gabrielle ou Johanna?

Distorsion flamboyante. «Que je t’aime» et son lyrisme de tous les excès. Elle s’appelait Johanna. J’étais au lycée (on disait «gymnase», en Suisse, à l’époque) et elle à l’école secondaire. C’était une vraie fan de Johnny, avec les posters dans sa chambre, et tout et tout. Moi, j’écoutais Dylan ou les Stones et, sûr de mon bon goût, me moquait gentiment de ce Johnny rocker de pacotille. N’empêche… aujourd’hui, Johnny chante «Que je t’aime» et la voici qui traverse ma tête, ses yeux bruns, son parfum, Johanna…

Parmi les 36.000 cœurs qui battent sur ce «Que je t’aime» titanesque, lequel n’a pas sa Johanna ou son Johann dans un coin de sa mémoire? Ou sa «Gabrielle», comme celle que chante Hallyday en faisant toujours semblant d’y croire?

Pénible «Unchained Melody», hurlé en duo avec Amy Keys. Le groupe qui s’éclate sur «Born to Be Wild» : la légende, toujours respecter la légende. «Allumer le feu» tout de rouge, «Requiem pour un fou», tout de bleu, dans une mise en image de jeu vidéo à la fois sombre et psychédélique…

Des chœurs aériens lancent «Le pénitencier», pendant que des scènes mobiles fendent la foule, suivant un Mississipi imaginaire. Dans ma tête, il y a la télévision du samedi soir, les émissions de variété façon Guy Lux ou Maritie & Gilbert Carpentier, ressuscitées il y a peu par Bénabar. Mes parents qui trouvaient que tout de même, ce Johnny transpirait beaucoup.

C’est aussi les premières boum. Et les doigts qui font mal quand on enchaîne des accords de guitare balbutiants, la mineur, do, ré, et puis le fa, ce barré qui paraît impossible. Un autre souvenir télévisuel, fort: ce soir de juin 1974, quand Hallyday chante «Le pénitencier» dans les murs de la prison de Bochuz (la France avait refusé son projet), face à un public de détenus qui ne sont sans doute pas encore revenus de ce qu’ils ont vécu ce jour-là.

Jusqu’à minuit

Medley rock. Et medley rhythm & blues. Attention, pas R&B, on ne va pas mélanger la sueur et la guimauve numérisée. «Les Coups», «Noir c’est noir», «Seul», «Jusqu’a minuit». Ces titres américains, noirs et furieux, intransposables en français et que pourtant Johnny transposa avec plus ou moins de bonheur.

Un autre souvenir déboule. Paris, fin 1983. Ce soir-là, je vais dans une boîte écouter un concert du «Chance Orchestra», le bébé tout neuf d’un copain musicien, Patrick Lannes, fondu de rhythm & blues. Je suis assis sur le bord de la scène. Et soudain Johnny déboule pour «taper le bœuf» avec Patrick et ses potes, la crème des musiciens parisiens. Me voici donc à deux mètres de l’idole dans tous ses états. Paris, show-biz, rock ‘n’ roll, tout cela. Depuis, Patrick est parti jammer au ciel. Avec Michel Berger peut-être, que Johnny salue ce soir à travers un beau et sobre «Tennessee»?

Cette fois, la nuit est vraiment tombée. Black and blue… «Toute la musique que j’aime». Ridicule, ce frenchy qui chante le delta du Missisipi? Oui. Et non. On a peut-être des racines là où l’on est né, mais personne ne peut interdire à qui que ce soit de s’en faire pousser ailleurs, des racines. Mêmes rêvées. Une autre image me traverse, récente celle-là. Mes enfants écoutent, les yeux rivés sur les somptueuses roches navajo, la voix de Johnny leur dire que «Ici la terre est rouge de tout le sang versé». Pour eux, la bande son de Monument Valley, c’est Hallyday.

Et maintenant

Après «L’Envie», Johnny et son groupe (ne se présente-t-il pas comme «le chanteur du groupe»?) quittent la scène. Puis reviennent pour la chanson des adieux, «Ça ne finira jamais», solide. Le spectacle peut alors se terminer par «Et maintenant», immense Bécaud, comme d’autres spectacles de Johnny se sont terminés par des hymnes de Bref, Piaf, Ferré, Aznavour, histoire d’inscrire un peu plus Hallyday le rocker parmi les géants de la chanson française, même s’il n’a pratiquement jamais écrit la moindre chanson.

Une fois les lumières du stade rallumées, un peu sonné, chacun rentrera chez soi, des décibels plein la tête, et autant de souvenirs. Les nouveaux, forgés pendant le concert, et les autres, ceux que le concert aura ressuscité. Les tiens, les miens, qui ne sont pas les mêmes et qui ont pourtant un dénominateur commun surnommé Johnny Hallyday.

Bernard Léchot, Genève, swissinfo.ch

1943: Naissance à Paris (15 juin).

1959: Première télévision et signature chez Vogue.

1969: Le single «Que je t’aime» fait passer le chanteur du statut de yé-yé à celui de rocker romantique.

1985: «Rock’n’roll attitudes», album signé Michel Berger et «Détective», film de Jean-Luc Godard. Changement d’image.

2006: Johnny et sa famille s’installent à Gstaad, chalet «Concordia». Il vivra désormais entre la station bernoise, Los Angeles et Paris.

2009: «Tour 66», la tournée des adieux… ou en tout cas des au revoir. Hallyday continuera à enregistrer des disques et n’exclut pas de remonter sur scène un jour.

66. Le «Tour 66» a été ainsi baptisé en référence à la mythique Route 66 aux Etats-Unis et au fait que Johnny Hallyday a eu 66 ans cette année.

Stades. Cette ultime tournée a commencé le 8 mai à Saint-Etienne (France). A fin-mai, elle a fait escale au Stade de France, à Paris (diffusion en direct le 30 mai sur TF1). Après Genève, elle passera par Béziers (8.7), Marseille (11.7). Puis quittera les stades pour rejoindre les salles.

Salles. Elle était censée s’achever à Monte-Carlo (18, 19, 21, 22 et 23.7). Mais de nombreuses autres dates sont déjà planifiées jusqu’à la fin de l’année, y compris deux concerts à Genève, les 27 et 28 octobre 2009 à l’Arena.

60 mètres, c’est la longueur de la scène.

30 mètres, la hauteur des éléments du décor (aussi hauts que les structures du stade).

80 semi-remorques circulent sur la route pour acheminer le matériel.

1200 tonnes de matériel sont nécessaires à la construction de l’édifice.

400 personnes font partie du staff de Johnny Hallyday sur la tournée.

10 kilomètres de câbles traversent le stade pour alimenter le show en électricité.

Historique. La U.S. Route 66 (entièrement revêtue dès 1937) reliait Chicago à Los Angeles (Santa Monica). Si elle n’a plus de réelle existence aujourd’hui, on peut toutefois en longer moult tronçons.

Vaste. Longue de 2448 miles (environ 4000 km), elle traverse huit Etats: Illinois, Missouri, Kansas, Oklahoma, Texas, Nouveau-Mexique, Arizona, Californie.

Artistique. Elle est devenue célèbre à travers la littérature (John Steinbeck) mais aussi grâce à la musique: la chanson «Route 66» de Bobby Troup est devenu un tube planétaire grâce aux interprétations de Nat King Cole, des Rolling Stones et surtout de Chuck Berry.

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