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Jacques Vergès, une carrière sublimée

Quand la scène devient prétoire. Dunnara Meas

Après Genève et Morges, le célèbre avocat français se produit à Vevey. En tournée romande, il joue «Serial Plaideur», un texte qu'il a lui-même écrit et qui est adapté à la scène par Louis-Charles Sirjacq.

Pour les spectateurs, transformés l’instant d’un soir en jurés, Jacques Vergès est un sacré client. Faut-il le condamner ou le gracier? Les sourcilleux comme nous, qui fréquentent assidument les théâtres, le critiqueront pour sa prestation de comédien, plutôt très moyenne. Ils loueront en revanche sa culture immense, sa capacité à montrer la parenté formelle entre l’œuvre judiciaire et l’œuvre littéraire.

«Un dossier de justice est toujours le début d’un roman ou d’une tragédie», annonce d’entrée de jeu Jacques Vergès, debout derrière un bureau encombré de dossiers, et face à un public qui l’applaudit déjà.

C’est que les premiers mots de l’acteur-avocat promettent une traversée passionnante de l’histoire littéraire à travers ses célèbres accusés, que Vergès va tantôt comparer aux accusés non moins célèbres qu’il a défendus.

Sur la scène, lieu du crime, sont donc convoqués Sophocle et son «Antigone», George Bernard Shaw et sa «Jeanne d’Arc», Shakespeare et son «Coriolan». Et bien d’autres héros encore, légendaires, qui ont mis en cause les lois d’une institution, d’une ville, d’un pays.

Un cri

Leur procès illustre le conflit entre la raison d’Etat et la morale individuelle. Les juges qui les entendent ne veulent pas voir que le crime qu’on leur impute est un cri de liberté.

C’est ce cri-là que Vergès dit avoir voulu faire résonner au fil de sa carrière, sur laquelle il revient ici dans un mélange de nostalgie et de grandiloquence. De la littérature universelle on glisse alors vers l’histoire personnelle, vers le one-man-show qui frise l’autocélébration.

Vergès plaideur incontournable. Qui défend-il au juste? Lui-même, entendez ses prises de position sur des dossiers judiciaires épineux, complexes, graves. Avec toujours, en toile de fond, son rejet viscéral du colonialisme.

«L’avocat de la terreur», qui prit autrefois la défense d’activistes algériens du FLN et de beaucoup d’autres trublions de la scène internationale, dits «terroristes», se soumet-il donc à un examen de conscience? Peut-être. En tout cas ses confesseurs sont gentils, ils savent le soulager. Primo Levi lui sert de vigoureux tranquillisant. L’avocat cite l’écrivain victime du régime nazi: «Nos bourreaux étaient des hommes comme nous».

Vergès a défendu Klaus Barbie, on le sait. L’avocat le rappelle sur scène. Il dit même qu’on le lui a reproché. Mais il ajoute que s’il l’a fait c’est parce qu’il respecte «toute parcelle d’humanité qu’il y a forcément chez chaque individu».

Ghania Adamo, swissinfo.ch

«Serial Plaideur», de et par Jacques Vergès. Adaptation théâtrale: Louis-Charles Sirjacq. Au Théâtre de Vevey, le 6 novembre.

Thaïlande. Jacques Vergès est né en 1925 à Ubon Ratchathani, au Siam (actuelle Thaïlande). Il est le fils d’un médecin réunionnais et d’une institutrice vietnamienne.

Résistant. Il quitte la Réunion à 17 ans pour s’engager dans les Forces Françaises Libres. À Paris en 1945, il adhère au Parti communiste puis effectue entre 1950 et 1954 un séjour à Prague.

Algérie. Il termine ensuite son droit et devient un défenseur acharné des activistes algériens du FLN. Il fonde à Alger la revue Révolution africaine.

Disparition. Entre 1970 et 1978, il disparaît de la circulation et entretient encore aujourd’hui le mystère sur cette disparition.

Amitiés dérangeantes. Il est soupçonné d’amitié avec certains dictateurs de la planète, notamment avec les dirigeants khmers rouges.

«Avocat du diable». Surnommé «l’avocat du diable», il plaide pour les causes les plus controversées. Son nom est associé à de nombreux procès sulfureux: Klaus Barbie, Georges Ibrahim Abdallah, Moussa Traoré, Carlos, et plus récemment Slobodan Milosevic et Sadam Hussein.

Auteur. Il est l’auteur de très nombreux ouvrages. Citons les plus récents: «Crimes contre l’humanité: massacres en Côte d’Ivoire», «Que mes guerres étaient belles!» et «Journal: la passion de défendre».

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