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L’alliance entre séduction et religion

La chair, sensuelle et spirituelle à la fois? Jean-Paul Lozouet

Avec 'El Don Juan', au Forum Meyrin, Omar Porras redessine avec brio les traits du plus grand séducteur de tous les temps.

S’appuyant sur la célèbre oeuvre de Tirso de Molina qui inspira, entre autres, Molière et Mozart, le metteur en scène colombien, établi en Suisse romande, enchante le public.

Il les lâche d’un geste, Sganarello: des strass, des confettis scintillants se mettent alors à tournoyer dans le ciel illuminé du théâtre. Le valet de Don Juan vient ainsi de libérer des milliers de paillettes, symbole affriolant des conquêtes féminines de son maître Don Juan.

On n’est pas loin ici du catalogue dressé par Leporello, ce même valet que Mozart réinventa pour son célèbre opéra «Don Giovanni». «Mille e tre» dit Leporello, signifiant le nombre de femmes abusées par le plus grand séducteur de tous les temps.

Héros mythique, Don Juan ((Philippe Gouin) occupe ces jours-ci la scène du Forum Meyrin (près de Genève). Et c’est à lui qu’Omar Porras donne la réplique. Le metteur en scène colombien, établi en Suisse romande, joue donc Sganarello dans un spectacle qu’il signe lui-même avec le brio, la féerie et l’intelligence qu’on lui connaît.

Quatre siècles d’histoire littéraire

Pour monter «El Don Juan», Porras a traversé quatre siècles d’histoire littéraire, recherchant çà et là les traits tant séduisants que rébarbatifs d’un libertin qui fascina bon nombre d’auteurs. Molière et Mozart bien sûr; mais aussi Thomas Shadwell, Deschamps de Villiers, Roger Vaillant et beaucoup d’autres.

En amont de son travail, Porras a placé néanmoins Tirso de Molina, l’écrivain espagnol, moine de son état, créateur de Don Juan. C’est cet homme supposé ascète qui, curieusement, donna naissance en 1620 à cette grande figure de la tentation charnelle.

Alliant avec éclat séduction et religion, Molina écrit alors une pièce laissée comme un testament: «El Burlador de Sevilla, y Convidado de piedra» («Le Trompeur de Séville et le Convive de pierre»).

Et c’est bien ce mélange explosif de l’enfer et de l’au-delà qu’Omar Porras réussit de manière troublante dans son spectacle, aidé en cela par des acteurs irréprochables et par un scénographe enchanteur: Fredy Porras.

Spiritualité et sensualité

On aimerait vanter ici les mérites d’une mise en scène bien pensée, qui en appelle à l’auto sacramental (oeuvre dramatique allégorique, en vogue dans l’Espagne du 17e siècle) pour dire l’échauffement de la chair divine et humaine. Et ce, dans un même élan de souffrances jouissives.

Porras n’hésite pas à mêler mythe et mystère de la foi, Don Juan et Jésus, prêtant à l’un les paroles de l’autre. Comme dans cette scène où le séducteur entouré de ses admiratrices (Femmes Saintes!) leur lance dans une posture de crucifixion: «Voici mon corps, prenez-le et partagez-le».

Tout le spectacle est placé sous le signe d’une rédemption sans cesse sollicitée. Mais il ne faut pas y voir pour autant une mise en scène austère de la pièce. Bien au contraire.

Véritable magicien, Omar Porras sait ravir son public, mêlant cirque, commedia dell’arte, théâtre de tréteaux, danse et musique. Le tout étant donné dans un décor de conte féerique où la peinture apporte ses couleurs les plus vives.

On pense ici à Velasquez et à Picasso. Le premier étant convoqué pour ses personnages de nains de Cour. Le second, pour son célèbre portrait de clown. Les deux peintres semblent avoir inspiré les costumiers de ce spectacle qu’on ne saurait assez recommander.

Les programmateurs français ne s’y sont pas trompés, qui prévoient dans l’Hexagone une tournée impressionnante de cette création, jusqu’en juillet prochain. Dans l’intervalle, «El Don Juan» sera présenté au Théâtre de Vidy-Lausanne du 7 au 26 juin.

swissinfo, Ghania Adamo

«El Don Juan», au Forum Meyrin, Genève, jusqu’au 16 avril.
Puis au Théâtre de Vidy-Lausanne du 7 au 26 juin.
Ensuite, tournée française jusqu’en juillet.

– El Don Juan, d’après Tirso de Molina, dans une mise en scène d’Omar Porras.

– Production: Teatro Malandro en coproduction avec le Théâtre de la Croix-Rousse (Lyon), Le Théâtre ForuMeyrin (près de Genève), Théâtre de Vidy-Lausanne, et le Théâtre de la Ville (Paris).

– Avec Philippe Faure, Stéphanie Gagneux, Philippe Gouin, Fabiana Medina, Omar Porras, Hélène Seretti etc.

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