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La force tranquille de la poésie

Francis Cabrel sur la Grande Scène du 34e Paleo. Keystone

Tracy Chapman, Francis Cabrel. A part d'être passés samedi soir sur la grande scène du Paléo, quels points communs entre ces deux artistes ? Peut-être un certain sens de la poésie et de la mélodie efficace. Et aussi une sincérité non feinte.

Avant, il y avait eu Ayo, révélation folk-soul de 2006, que l’on compare justement à Tracy Chapman…. Le genre de concert dont les dix dernières minutes vous font regretter de ne pas être parti plus tôt, ou de n’avoir pas pris les transports publics pour éviter les bouchons. Mais bon, c’est bien connu, au Paléo, on ne peut pas tout voir.

Tracy Chapman donc. Depuis des années, mon autre moitié, qui a appris l’anglais avec cette chanteuse «belle sous tous rapports» me vante son engagement, sa sincérité, sa poésie.

En 2006, elle avait déjà triomphé – à sa manière, modeste et fervente – à Montreux et au Paléo. Et là, cette artiste que l’on dit si réservée avait tellement aimé les «bonnes vibes» du public qu’elle était descendue se promener sur le terrain, ce qu’elle ne fait jamais, assure-t-on.

C’est avec un grand sourire qu’elle évoque cette première rencontre en retrouvant une foule qui la remercie d’être de retour. Fidélité, un mot-clé dans la relation que Tracy Chapman entretient avec son public.

«Concerned»

Promue icône du «protest song» le jour de 1987, où elle est venue, seule à la guitare «parler d’une révolution» au Stade de Wembley pour le concert en hommage à Nelson Mandela, la chanteuse a récemment rappelé au quotidien Le Temps que «l’ensemble de la musique afro-américaine est un art contestataire, du blues au funk en passant par la disco».

Authentiquement «concerned» comme on dit là-bas, Tracy Chapman dénonce au fil des albums tout ce qui peut rendre la vie injuste et inacceptable – des Bush aux violences conjugales. Et rappelle sa croyance en Our bright future (titre de son dernier album) et son amour, pour les hommes et pour Jésus «qui va nous sauver tous, les pêcheurs aussi».

Sur scène, tout semble évident pour cette force tranquille, habitée par sa musique, aussi efficace qu’elle est simple. Une base folk-rock, une voix de gospel – assez musclée pour chanter a capella -, trois acolytes impeccables, une alternance de picking acoustique et d’envolées électriques et quelques moments de hard blues qui balancent comme on sait le faire là-bas.

Et en finale, cette grande dame nous offre la reprise de Proud Mary, clin d’œil à John Fogerty, qui était il y a dix jours à Montreux. Magnifique, émouvant. Un moment de pur bonheur !

Tellement de perles

Francis Cabrel, c’est encore une bien plus vieille histoire. Quand j’ai entendu Carte postale pour la première fois, j’y ai vu un archétype de la chanson parfaite: une musique poignante pour un texte qui veut dire quelque chose. Elle n’est plus au répertoire, mais il y a eu tellement d’autres perles depuis.

Bien sûr, il est de bon ton de se gausser (non, il ne fait pas La cabane au fond du jardin). Mais les chansons de Cabrel nous ont tous accompagné à un moment ou à un autre.

Et aujourd’hui qu’il n’a plus rien à prouver, le père Francis, «très honoré de jouer pour la première fois dans ce magnifique festival», se la joue décontracté, espiègle et communicatif.

«Vous voulez des chansons d’amour ? J’en ai des centaines». Petite Marie par exemple. Ou Je t’aimais, je t’aime et je t’aimerai, ou encore L’encre de tes yeux.

Mais il y a aussi du musclé: (La cabane… du pêcheur), ou la reprise de Born on the bayou de John Fogerty – encore lui, de l’engagé (Des hommes pareils), et du métaphysique (le magnifique Chêne liège, qui s’interroge crûment sur la pertinence des religions sans fâcher personne).

Et aussi de ces choses qui ont fait dire à d’aucuns que la poésie de Cabrel est bizarre, comme La robe et l’échelle, délire céleste sur un coup d’œil jeté d’en-dessous tandis qu’une fille grimpe dans un cerisier.

Et puis, il y a cette magnifique et entêtante Corrida, introduite ici à l’accordéon flamenco. Traiter le matador de «danseuse ridicule» quand on vient de ce Sud-Ouest où «l’Espagne pousse un peu sa corne», il fallait oser.

Heureux

A voir les gens tanguer, chanter et taper des mains, on se rend vite compte que Cabrel n’enthousiasme pas qu’une génération. A se demander même s’il n’est pas au programme scolaire, tant sont jeunes ceux qui réclament en chœur «moi je n’étais rien, et voilà qu’aujourd’hui, je suis le gardien du sommeil de ses nuits…»

Mais oui, il la fera, en fin de rappel. Mais avant, le puissant band à deux guitares solo nous offre le quart d’heure rock n’roll, enchaînant des versions bien speedées d’Encore et encore, Sarbacane et La dame du Haute-Savoie.

C’est Samedi soir sur la Terre, le ciel est clair, l’air est frais, le public heureux et les musiciens aussi. Alors tant pis pour celui qui agite sa pancarte marquée «Francis, rends-nous ta moustache», Je l’aime à mourir, seul au yukulélé, c’est aussi une sorte d’archétype de la chanson parfaite.

Marc-André Miserez, swissinfo.ch au Paléo

Abd Al Malik, Raphael, Benabar, Cœur de pirate, Anis, Zaza Fournier, Beat Torrent, Caravan Palace, Oxmo Puccino, La Gale et Rynox, Trip In, Tweek

Concerto n°5 pour piano dit «L’Empereur» de Beethoven, Piano: Peter Roesel
Feu d’artifice

Village du Monde (Inde):
Milón Méla, Masaladosa, Musafir – Gypsies of Rajasthan

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