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La percée américaine au Maghreb

"Cyber Cafe - Haut Débit" (Algérie), un peu d'anglais un peu de français. AFP

Le français est bien vivant au Maghreb. Mais fait face à une offensive politico-économico-linguistique américaine de plus en plus marquée. La récente tournée d’Elias Zerhouni, envoyé scientifique des Etats-Unis, concrétisait cette stratégie.

Initialement programmée comme une visite d’information permettant d’identifier les domaines de coopération et de transfert de savoir-faire technologique et scientifique des Etats-Unis vers les pays du Maghreb, la tournée d’Elias Zerhouni dans la région, au mois de mars dernier, a été ressentie comme la plus grande percée de l’anglais dans une zone traditionnellement francophone.

Nommé envoyé scientifique des Etats-Unis pour les pays du Golfe et les pays du Maghreb en 2009, Elias Zerhouni a beaucoup insisté tout au long de son périple sur la volonté des Etats-Unis de développer la coopération technologique et scientifique avec les pays de l’Afrique du nord.

Six axes de coopération ont été déjà proposés – projets dans le domaine de la sécurité alimentaire (zones arides), de l’eau, des énergies renouvelables, ou de la santé.

Ponts virtuels

La dimension culturelle et linguistique de cette offensive s’est particulièrement révélée dans les rencontres qu’Elias Zerhouni a eues avec les ministres de l’Education et de l’Enseignement supérieur, où l’idée de créer des ponts virtuels entre les communautés scientifiques maghrébine et américaine a été creusée.

Pour Elias Zerhouni, «on parle encore de fuite de cerveaux alors qu’on a, aujourd’hui, la possibilité d’assurer la circulation des cerveaux notamment avec la nouvelle technologie et face à un monde sans frontières».

C’est ainsi qu’il a par exemple été envisagé d’établir des rapports directs avec la communauté des 13’000 Algériens enregistrés à l’ambassade d’Algérie aux Etats-Unis, dont le tiers sont des professionnels et des diplômés de l’enseignement supérieur. Sur ce tiers, 2000 sont des doctorants et 1000 sont des professeurs agréés. Un chiffre qui selon Elias Zerhouni, serait en réalité «beaucoup plus important».

A noter que cette tournée a mis à profit le récent conflit entre la France et les pays maghrébins (notamment l’Algérie et la Tunisie), qui exigent toujours des excuses pour les exactions commises durant la période coloniale. Des tensions qui se sont notamment traduites par des appels exhortant les élites locales à réduire la dépendance au français et à la remplacer graduellement par l’anglais.

Offensive économique

Vingt jours avant la tournée d’Elias Zerhouni, une délégation d’hommes d’affaires représentant vingt-quatre sociétés américaines spécialisés dans les technologies de pointe et l’aérospatial (parmi lesquelles Boeing, Electrolux, Harley Davidson, Motorola, Protec, etc.) a effectué des visites au Maroc, en Tunisie, en Algérie et en Libye afin de prospecter les opportunités de mise en place de projets de partenariat. L’une des rares visites au Maghreb réservées aux projets d’investissement hors hydrocarbures.

Les Américains espèrent booster les échanges commerciaux avec les pays de la région et lancer des projets en joint venture avec des groupes locaux. Cette délégation ciblait l’Algérie en premier lieu, leur premier client dans la région et le deuxième dans le monde arabe.
Et dans la continuation de la mission entreprise par Zerhouni, l’Américain Dan Clune, secrétaire principal adjoint au Bureau des Océans et des Affaires internationales environnementales et scientifiques, s’est rendu en Tunisie, un mois après, pour «concrétiser les nouvelles orientations exprimées par le président Obama dans son discours du Caire» et «assurer le suivi de ce qui a été déjà entrepris (avec Zerhouni)», affirme-t-il.

En effet, dans le cadre de la consolidation des relations entre les Etats-Unis et le monde musulman, Barack Obama a élaboré dans son fameux discours du Caire (4 juin 2009) une vision appelant les Arabes à un nouveau partenariat stratégique.

La question militaire

Ce partenariat est réparti sur plusieurs axes convergeant dans la volonté d’accroître l’influence américaine dans une région jusque là considérée comme une chasse gardée de l’Europe. En effet, les missions économiques et les tournées des scientifiques américains se sont conjugués avec des signes forts de l’élargissement de la coopération militaire.

C’est ainsi que le chef de l’«Africa Command» ou «Africom», le général W.E Ward, a effectué plusieurs visites aux pays du Maghreb, sous prétexte de faire face à la menace d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi).

Rappel des faits: alors que l’Amérique avait été attaquée le 11 septembre 2001, c’est le 6 février 2007 que le président Bush annonçait que les Etats-Unis allaient créer un nouveau commandement militaire pour l’Afrique, sous le nom de «Africa Command».
Outil complétant le Commandement Européen (Europe), le Commandement Central (Egypte, Corne de l’Afrique, Moyen-Orient et Asie Centrale) et le Commandement du Pacifique, l’Africom exprimait la préoccupation des Américains, qui avaient déclaré la «guerre mondiale au terrorisme» et voulaient, dans cette perspective, surveiller la région du Sahel. «Les activités terroristes et criminelles dans le Maghreb et la région du Sahel continuent d’être une menace pour toute la région et au-delà», a affirmé le général Ward, à Alger, tout en agitant la traditionnelle carotte de l’assistance à l’armée algérienne.

Jusqu’à la création de ce commandement, l’Afrique était perçue aux Etats-Unis comme une zone annexe aux relations Etats-Unis/Europe. La situation a changé quand l’administration Bush a déclaré que l’accès au pétrole africain serait dorénavant défini comme un «intérêt national stratégique». A l’inverse des autres commandements évoqués, l’Africom n’a pas le contrôle de grandes unités militaires, mais est une structure hybride civile et militaire.

Cette situation cadre, en apparence, avec les efforts qui visent à réduire le coût induit par la présence de troupes hors du territoire américain, mais démontre en revanche que l’Africom n’est qu’un paravent dont la mission officielle est la surveillance militaire du Sahel mais qui est, en réalité, chargé de barrer la route aux Chinois qui prennent trop d’envergure et dont les capacités de pénétration ont mis à nu les faiblesses des Européens à défendre leurs terrains de chasse de prédilection, les anciennes colonies.

Rachid Khechana, Tunis, swissinfo.ch

Les Etats-Unis ont amorcé une réelle avancée avec les pays maghrébins dans tous les domaines y compris les échanges commerciaux qui ont triplé durant les trois dernières années, de 10,3 à 29 milliards de dollars.

La Libye, dont les échanges commerciaux avec les Etats-Unis se sont multipliés par treize, a été le premier bénéficiaire de cette évolution. Cela faisait suite à l’ouverture de son marché aux produits américains après vingt années de rupture (de 1982 à 2003), aggravées par sept ans d’embargo.

En dépit de cette évolution rapide, l’écart demeure grand entre les Européens et les Américains: les échanges avec le Maghreb n’excèdent pas 1% du commerce international américain.

Et les échanges avec les Etats-Unis ne représentent que 10% des rapports commerciaux maghrébins avec le monde extérieur.

Alger. Né en Algérie, Elias Zerjhouni est diplômé de la Faculté de médecine d’Alger en 1975.

Baltimore. Il émigre à l’âge de 24 ans aux Etats-Unis pour poursuivre ses études à l’Université Johns-Hopkins de Baltimore (Maryland), où il progresse rapidement dans la hiérarchie hospitalo-universitaire.

1996: il est nommé directeur des recherches de la faculté de médecine.

2002: il est nommé par le président George W. Bush directeur général des instituts Nationaux de la Santé (NIH) qui comprennent 27 instituts et centres de recherche et de financement de la recherche (27’000 employés).

2008: il reçoit les insignes de la légion d’honneur de la part du président de la république française Nicolas Sarkozy.

2009: la secrétaire d’État Hillary Clinton annonce la création d’un corps d’ambassadeurs spéciaux pour la promotion des liens scientifiques et technologiques avec le monde musulman suite au discours du Caire du Président Obama.

Le Dr Zerhouni est nommé par le Président Obama, au poste d’envoyé spécial des États Unis pour la Science et la Technologie.

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