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La poule, au-delà du chicken nugget

Adam et Eve, version poule. Le coq bankiva des forêts d'Asie est à l'origine de toutes les races domestiques actuelles. MHN, Alain Germond

A l'heure de la grippe aviaire, le Musée d'histoire naturelle de Neuchâtel consacre sa nouvelle exposition à ce gallinacé méconnu... si ce n'est de notre estomac.

De l’œuf dur en tube à l’œuf symbole de renaissance, du pied de poule au coq de clocher, le MHN met en scène ces volailles qui cohabitent avec nous depuis cinq mille ans.

Tranches panées, émincé asiatique, cubes de bouillon, œuf dur au mètre, bien régulier, parts égales de jaune et de blanc… L’exposition débute au rayon du supermarché. «Parce que notre rencontre avec la poule se fait actuellement surtout dans l’assiette», souligne le conservateur du MHN.

«En Suisse, nous mangeons chacun 13 kilos et demi de poulet en moyenne par année et nous consommons environ 200 œufs, précise Christophe Dufour. C’est vraiment devenu un aliment universel, à l’échelle mondiale.»

Un couloir éclairé au néon nous confronte ensuite à la chaîne de l’abattoir. «Electrocuté, vidé, déplumé, lavé, conditionné, labellisé… Le poulet», dit la chanson, en parfaite adéquation avec les images qui s’étalent sur plusieurs écrans. C’est l’histoire du poulet numéro 728’120.

A rebrousse plume

Le musée a voulu en quelque sorte «prendre la poule à rebrousse plume», explique Christophe Dufour. Au fil de la visite, elle va donc passer du statut de viande à celui d’animal.

Après la séquence de l’abattoir, la vie lui est rendue, tandis que l’éclairage devient de plus en plus naturel, et le visiteur peut alors découvrir la richesse des comportements de cet oiseau.

Première découverte: la poule est sociable. «Elle établit immédiatement des contacts avec ses congénères», explique Blaise Mulhauser, conservateur adjoint et spécialiste ‘oiseaux’ du MHN.

«Et qui dit société, dit système de hiérarchie, poursuit le biologiste. En principe, la vieille poule domine et la nouvelle arrivante doit se faire une place. Elle gravira ensuite les échelons en fonction de sa capacité d’adaptation.»

Pour illustrer ce propos, un film raconte avec humour l’histoire de Pauline, Nina, Blanche et Nestor, le coq. Pauline est l’individu alpha (dominant) et Blanche l’individu oméga (dominé). Face à Pauline, Blanche a bien du mal à se faire sa place dans le poulailler.

«Blanche baisse la tête face à Pauline, mais en plus elle marche à reculons. Un comportement de soumission que nous n’avions jamais observé. Nous avons donc adapté le scénario durant le tournage en fonction des surprises que nous réservaient les poules», raconte – amusé et un rien admiratif – Blaise Mulhauser.

Parlez-vous Poule?

Deuxième découverte sur le parcours de l’exposition: la poule parle. Pour les novices, le musée propose d’ailleurs un dictionnaire Poule – Français. On apprend ainsi que le fameux «cot cot codeh» signifie non seulement «j’ai pondu mon œuf», mais aussi – selon les spécialistes – «je suis prête pour le suivant». C’est donc un appel au coq…

«Les éthologues ont recensé jusqu’à 40 sons différents et je pense qu’on est loin de la réalité, observe Blaise Mulhauser. Ce vocabulaire va du simple cocorico du coq qui veut éloigner tout rival au cri du poussin dans la coquille qui établit son premier contact avec le monde extérieur.»

Le visiteur peut même tester ses propres connaissances en ‘langage volaillé’. Un langage retranscrit différemment en fonction de notre origine… Cocorico, chicchirichi ou cock-a-doodle-doo, selon que l’on vient de France, d’Italie ou de Grande-Bretagne.

Un espace de l’exposition illustre précisément les traces qu’ont laissées dans notre imaginaire et notre culture les cinq mille ans de cohabitation avec les poules.

Cocorico français

Christophe Dufour cite le coq de clocher: «Arrivé sur nos églises à l’époque des premiers chrétiens qui se réunissaient pour prier au chant du coq, il est aujourd’hui l’animal qui fait la transition entre la nuit et le jour.» Il y a aussi la poule noire, alliée de Satan, et le coq de combat.

Et bien sûr, le célèbre cocorico français. «Lors du dernier match de football entre la Suisse et la France, se souvient Christophe Dufour, les supporters français sont arrivés avec un coq vivant qu’ils brandissaient, tandis que les Suisses chantaient ‘le coq est mort, le coq est mort’!»

La force de ce symbole expliquerait peut-être, selon le conservateur, pourquoi nos voisins français n’ont pas adopté les mêmes mesures que nous en matière de grippe aviaire. «Imaginez, le cocorico français ne peut pas tomber malade!»

A l’heure de la grippe aviaire

Il y a un peu plus d’un an, lorsque l’équipe du MHN a choisi son nouveau thème d’exposition, on parlait encore peu de la grippe aviaire. Depuis, le sujet est devenu d’une actualité brûlante. «On ne pensait pas que les poules seraient interdites de sortie la semaine même de l’inauguration de l’exposition», ajoute Christophe Dufour.

Une coïncidence à la fois agréable d’un point de vue marketing, mais désagréable d’un point de vue pratique. «Nous avons prévu de présenter l’éclosion des poussins et ensuite de les rendre aux éleveurs en échange d’œufs fécondés. Pour l’instant, c’est exclu, puisqu’on ne peut plus voyager avec une poule et mettre en contact différents élevages.»

L’équipe du Musée d’histoire naturelle a aussi dû adapter l’exposition face aux nombreuses questions que se posent les visiteurs. Le secteur grippe aviaire est désormais beaucoup plus important que prévu. Et il continuera de s’enrichir de nouvelles informations, jour après jour.

Quant à Christophe Dufour, il reste pour l’heure très prudent sur la question. «Psychose ou pandémie? L’avenir nous le dira. Une chose est certaine à mon avis: La peur est comme l’amour: exclusive et aveugle. Elle se concentre sur un seul sujet à la fois. Alors, avons-nous vraiment identifié le bon risque? Je ne sais pas.»

swissinfo, Alexandra Richard

«Poules…»: du 23 octobre 2005 au 15 octobre 2006 au Muséum d’histoire naturelle de Neuchâtel (MHN)

Quelques chiffres:

– Il existe plus de 200 races différentes de poules à travers le monde

– En Suisse, on recense environ 3’000 éleveurs

– Les éleveurs suisses ont jusqu’à 5’000 poules dans le même poulailler

– En Asie, il y a jusqu’à 50’000 poules dans le même poulailler

– 21 jours: durée d’incubation avant la naissance d’un poussin

– 40 jours: durée de vie habituelle d’un poulet (élevage traditionnel)

– 80 jours: durée de vie habituelle d’un poulet (élevage biologique)

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