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La Suisse sauvera-t-elle sa loterie d’utilité publique?

Les chanceux qui cochent les six numéros gagnants et le complémentaire ne sont pas les seuls à profiter de l'argent des loteries. Keystone

Le marché helvétique des jeux de hasard suscite les convoitises. Alors que Bruxelles fait pression pour libéraliser ce secteur, les loteries suisses ont lancé une initiative pour ancrer le principe de l'utilité publique dans la Constitution.

Un handicapé à qui l’on ôte son fauteuil. Un orchestre dont un musicien disparaît. Des enfants qui se retrouvent sans ballon. C’est avec des images parlantes qu’a été lancée ce printemps l’initiative populaire «Pour des jeux d’argent au service du bien commun».

En Suisse, les deux opérateurs nationaux – Swisslos pour la Suisse alémanique et le Tessin et la Loterie romande – redistribuent en effet près d’un demi-milliard de francs chaque année sous forme de projets d’utilité publique.

Ils font ainsi figure d’acteurs clés en matière de soutien à la culture, au social, au sport ou encore à l’environnement.

La plupart des pays européens connaissent un système similaire. Or, comme dans d’autres domaines, la tendance est à la libéralisation: plus question pour Bruxelles de voir ce secteur lucratif verrouillé par les Etats.

La France par exemple a annoncé récemment une ouverture contrôlée de son marché des jeux d’argent. D’ici 2009 ou 2010, elle prévoit de mettre au concours un nombre limité de licences destinées entre autres aux paris sportifs.

Opacité des paris sur Internet

En Suisse, c’est un scénario similaire que les initiants aimeraient éviter. Parmi eux, de nombreux artistes qui s’expriment sur le site de l’association CultureEnJeu, des sportifs comme l’entraîneur-adjoint de l’équipe suisse de foot Michel Pont et beaucoup de responsables cantonaux.

Car les cantons sont partie prenante de la bataille. Depuis 1923, la loi fédérale sur les loteries et les paris professionnels leur octroie la compétence de créer et d’exploiter les loteries d’utilité publique. Ils disposent donc d’un monopole, aujourd’hui menacé.

«Des pressions toujours plus fortes se manifestent pour privatiser les bénéfices des jeux d’argent», a ainsi souligné l’ancienne ministre de la Santé du canton de Fribourg Ruth Lüthi lors du lancement de l’initiative.

L’ancien ministre jurassien, Jean-Pierre Beuret, président de la Loterie romande, montre lui du doigt les jeux d’argent et les paris sur internet exploités depuis des paradis fiscaux tels que Malte ou Gibraltar. Selon lui, ils draineraient des centaines de millions de francs par an en Suisse.

«C’est un marché très opaque qui échappe à tout contrôle, notamment au niveau des impôts», renchérit Jean-Luc Moner-Banet, directeur général de la Loterie romande. «Pour le joueur, c’est alléchant. Par contre la société à tout à y perdre car elle peut avoir à prendre en charge des gens qui se seraient ruinés en jouant sans avoir pu prélever de l’argent sur cette activité pour financer son action sociale.»

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Initiative populaire

Ce contenu a été publié sur L’initiative populaire permet à des citoyens de proposer une modification de la Constitution. Pour être valable, elle doit être signée par 100’000 citoyens dans un délai de 18 mois. Le Parlement peut directement accepter l’initiative. Il peut aussi la refuser ou lui opposer un contre-projet. Dans tous les cas, un vote populaire a lieu. L’adoption…

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Impliquer les casinos

Autre concurrent direct des loteries d’utilité publique – mieux surveillés toutefois – les casinos. Autorisés en 1998, ils ont commencé à se développer dans les années 2000. La Suisse en compte aujourd’hui 19. En 2007, ils ont reversé 544 millions de francs à la Confédération et aux cantons.

Une contribution que les promoteurs de l’initiative aimeraient voir augmenter en les contraignant à fonctionner selon l’exigence d’utilité publique. «Alors que la loi prévoit que les casinos puissent être imposés jusqu’à concurrence de 80% sur le produit brut des jeux, ils n’ont dû débourser que quelque 52% à ce titre en 2006», déplore Jean-Pierre Beuret.

Pour sa part, la Fédération suisse des casinos a déjà fait connaître sa réaction négative quant à l’initiative. Selon elle, il ne s’agit que de «renforcer une position de monopole et de prévenir l’intervention d’offres de jeu privées».

A couteaux tirés

A l’heure où les loteries s’internationalisent et les possibilités offertes par internet se multiplient, la Suisse parviendra-t-elle à sauver le principe d’utilité publique ? Auteure d’un travail sur cette question à l’Institut de hautes études en administration publique (Idheap), Léonor Perréard estime en tout cas que «le cadre juridique suisse n’est plus adapté».

Mais aucune amélioration n’est à prévoir prochainement puisque le Conseil fédéral a gelé jusqu’en 2011 la révision de la loi sur les loteries. Prévoyant une libéralisation restreinte, celle-ci s’est heurtée à l’opposition décidée des cantons.

Depuis, leurs relations avec la Confédération se sont tendues. Et l’affaire du Tactilo, pendante devant les tribunaux, n’a rien arrangé. Exploité par la Loterie romande, ce jeu a été interdit début 2007 par la Commission fédérale des maisons de jeu (CFMJ). Comme les casinos, elle l’a jugé assimilable aux machines à sous.

Autre point de friction, la manne des jeux de loterie que certains souhaiteraient pouvoir récupérer pour la caisse fédérale.

Dans ce contexte, l’initiative arrive à point, estime Jean-Luc Moner-Banet. Car elle demande aussi que les compétences des cantons et de la Confédération soient clarifiées. «Avec ce texte, nous voulons que le débat sur l’avenir des jeux de loterie, qui se joue actuellement devant les tribunaux, ait lieu sur la place publique afin d’inciter les politiciens à se saisir de ce dossier», explique Jean-Luc Moner-Banet.

Pour l’heure, le texte a déjà recueilli plusieurs milliers de signatures. Les initiants ont bon espoir de dépasser les 100’000 paraphes requis d’ici au 22 octobre 2009.

swissinfo, Carole Wälti

Le marché helvétique des jeux de hasard est estimé à 3 milliards de francs.
Le produit brut des jeux (différence entre les mises des joueurs et les gains qui leur sont versés) a été de 900 millions pour les loteries en 2007 (-4,5%).
Il s’est élevé à 1 milliard pour les casinos (+ 6,8%).
Les Suisses jouent en moyenne annuelle plus de 350 francs par personne.
Pour chaque franc joué par exemple chez Swisslos, 53,6 centimes sont reversés aux joueurs, 30,6 centimes vont aux projets d’utilité publique et 9,1 centimes couvrent les provisions des détaillants. Les frais d’exploitation de Swisslos s’élèvent à 6,7 centimes.

En Suisse, les loteries d’utilité publique ont été créées dans les années 30.

Le modèle de redistribution des produits des jeux d’argent à l’Etat ou à la collectivité s’est alors imposé dans la plupart des pays européens.

Aujourd’hui, deux sociétés – Swisslos en Suisse alémanique et au Tessin et la Loterie romande – redistribuent leurs bénéfices via les cantons ou des commissions de répartition.

Près de 16’000 institutions bénéficient de la manne issue des activités de loterie.

En 2007, Swisslos et la Loterie romande ont versé plus de 520 millions aux organes de répartition.

De leur côté, les casinos ne sont pas astreints au principe d’utilité publique.

Ils doivent néanmoins verser une partie de leurs revenus à l’assurance-vieillesse (AVS) et aux cantons.

En 2007, ils ont donc reversés 544 millions de francs à ces instances.

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