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Le «Solo du banc»: Elzingre nous a quittés

Jean-Marc Elzingre par lui-même.

Jean-Marc Elzingre, caricaturiste neuchâtelois, est décédé à l'âge de 59 ans. Typographe de formation, il s'était lancé dans le dessin de presse, notamment pour «L'Impartial», puis «L'Express».

Rolf Kesselring, complice et ami de la première heure, lui rend hommage.

Il y a des jours où l’on ne devrait pas ouvrir les yeux, ne rien écouter et se terrer dans le néant de l’absence. Il y a des jours où la tristesse et les regrets te prennent et t’oppressent. Un ami disparaît, trop jeune, et toute la mémoire te revient. Et moi qui, depuis mon retour au pays, me promettais de faire la tournée de tous ces copains que je n’avais plus vus depuis des années!…

Au retour d’un périple, j’apprends qu’Elzingre est mort. Jean-Marc Elzingre! «Zinzin» comme on le nommait familièrement avec les copains de «La Pomme», journal satirique des années 69-70.

Un drôle de typographe

Je l’avais rencontré chez Maître Cornaz, imprimeur à Yverdon-les-Bains. J’étais là en train de préparer un livre de Gilles Vigneault, de Richard Æschlimann ou de… Sacrés neurones qui me trahissent de plus en plus souvent!

Mais je me souviens bien de l’odeur de papier et d’encre de l’atelier situé entre Rue du Milieu et Rue du Four. Une Heidelberg à platine battait des en-têtes de lettres ou des cartes de visite. On venait d’installer une presse offset. La modernité atteignait le lieu et moi, jeune éditeur inconscient, je me saoulais d’odeurs, de cliquetis de machines et d’espoirs littéraires.

Il était venu me voir avec un Bordelais qui travaillait avec lui. Tous deux devinrent des collaborateurs de «La Pomme», quelques mois plus tard. L’un signait Elzingre et l’autre Bobac. Elzingre dessinait avec aisance, l’autre ne faisait que des ronds… et pas dans l’eau.

Déjà la xénophobie

À l’époque, Blocher s’appelait Schwarzenbach. Comme le premier, ce dernier préférait savoir les étrangers… à l’étranger. Le premier numéro de notre journal était forcément consacré aux initiatives (déjà populaires!) de notre xénophobe de service. Le titre, en gros caractère et au 2e degré, affirmait: «Étrangers go home».

Elzingre, corrosif et serein, avait fait la «der» avec un dessin pleine page: un drapeau suisse, fond rouge et croix blanche avec, sur la croix, un travailleur étranger crucifié à l’instar du Christ…

Premier numéro, premier scandale! Les ventes atteignirent 14’000 exemplaires! Elzingre, Richard Æschlimann et moi décidâmes de poursuivre l’aventure.

L.A. P.O.M.M.E.

Les numéros suivants furent consacrés à la pornographie, à l’armée, à la police, à l’écologie. Elzingre s’y multipliait avec Æschlimann. La pipe fumante et l’œil malicieux Elzingre donnait le meilleur de lui-même. D’autres nous rejoignaient: Brandu, Popof, Mummol, et, surtout le grand Leiter.

L’autre presse nous faisait la part belle. Les cuistres Il a fallu courir les routes, vendre à la criée et sous le manteau.

Pour contourner les interdictions, Brandu imagina de nous constituer en association politique: la «Libre Association pour la Protection de l’Opinion Mondiale Mal Eclairée», c’est-à-dire L.A. P.O.M.M.E.

Il suffisait d’y penser! En vertu de la Constitution et de l’article sur la liberté d’expression et d’opinion, plus aucun faux-cul politique ne pouvait, alors, nous interdire de publier.

La mort est un scandale!

Et puis, comme la vie va, Jean-Marc Elzingre retourna dans son cher canton de Neuchâtel. Il se maria avec Ariane et «L’Impartial» et continua à faire ce qu’il savait faire le mieux: esquisser, dessiner, croquer, crobarder, c’est-à-dire observer ses semblables, mine de rien.

La vie des autres, il la résuma à un banc du village d’Auvernier qui avait la réputation d’accueillir les anciens qui s’y prélassaient. Cela donna son fameux «Duo du banc»…

La vie d’Elzingre, c’était aussi ce fichu vélo qu’il enfourchait tout le temps et dont je me moquais, moi qui préfère, et de loin, la marche à pied. Je me demande pourquoi les gens que j’aime bien, surtout chez les humoristes, grimpent toujours sur ces engins, vélos ou motos…

Toujours est-il que, pour nous quitter, Jean-Marc Elzingre grimpa encore une fois, la dernière, sur son engin… Quelle injustice! Maintenant, j’occupe le banc en solitaire et je me souviens. Et comme disait Jean-Claude Forest, le dessinateur de Barbarella: « La mort est un scandale!»

swissinfo, Rolf Kesselring

Le dessinateur de presse et caricaturiste neuchâtelois est décédé brusquement le 20 juillet à l’âge de 59 ans, des suites d’un malaise cardiaque.

Typographe de formation, il a débuté très tôt dans le monde du dessin de presse en collaborant entre autre avec l’éditeur Rolf Kesselring.

En 1976, il entre à «L’Impartial» et, en 1996, il rejoint «L’Express».

Il a notamment publié «L’humour dans les prisons», textes de Jules Bahut & dessins d’Elzingre (épuisé). Et «Duo du banc…», divers tomes, par Jean-Marc Elzingre, L’Impartial

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