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Le bruit des bombes à Genève

Dans «Distortion», le théâtre mêle vie privée et chaos politique. Image tirée du film Distortion

Une large partie de la programmation du 11e festival «Cinéma tout écran», à Genève, se veut ancrée dans le réel, politique et social.

Dans la compétition en particulier, l’impact du terrorisme sur ceux qui en réchappent est évoqué à travers deux films, dont le magnifique «Distortion».

L’actualité politique très récente est présente à Genève, hors compétition, avec «The Government Inspector», en français «L’affaire David Kelly, le prix de la vérité». Un film du britannique Peter Kosminsky qui, sous forme de fiction, retrace le parcours de David Kelly, expert en armes de destruction massive, accusé en 2003 d’avoir révélé des informations à la BBC, qui se suicidera par la suite.

Peter Kosminsky participera d’ailleurs ce samedi au colloque international du festival consacré justement, cette année, au film politique. Le cinéaste suisse alémanique Samir y prendra part également, ainsi que le réalisateur israélien Amos Gitaï, dont le nouveau film, «Free Zone», sera projeté en avant-première lors de la soirée de clôture.

«En prenant le film politique pour thème de son colloque international, le festival ouvre un débat essentiel sur le sens et la portée du cinéma aujourd’hui. La question d’un repositionnement du cinéma, en particulier dans le contexte politique actuel, mérite certainement d’être posée, comme mérite aussi d’être posée celle de la pertinence d’un cinéma qui n’aurait d’autre objet que le divertissement», écrit Patrice Mugny, chargé des Affaires culturelles de la ville de Genève, dans le programme de la manifestation.

Et comme «Cinéma tout écran» ne fait pas de différence entre film de cinéma et film de télévision, c’est aussi le rôle du petit écran qui est ainsi, de fait, pointé du doigt.

Explosions

Parmi les films en compétition dans la sélection officielle 2005, deux œuvres évoquent, chacune à sa façon, les conséquences d’un attentat à la bombe.

Le premier est «The Mystery of the Sardine», du néerlandais Erik van Zuylen. L’histoire d’un professeur qui, découvrant devant sa porte un chien portant une boîte de sardine accrochée à son collier, se retrouve, cul-de-jatte, en fauteuil roulant. La boîte était une bombe.

Pourquoi lui? Qu’a-t-il fait? Que n’a-t-il pas fait? Immobilisé, le professeur a désormais tout le loisir de se poser un certain nombre de questions existentielles sur les notions de destin et de causalité en faisant appel à Darwin, à Descartes, ainsi qu’à une relecture inquiétante et drôle à la fois de la pensée chrétienne, en s’interrogeant sur le fait que la punition puisse précéder le péché…

Conte philosophique, «The mystery of the Sardine» se veut aussi oeuvre surréaliste à travers une galerie de personnages et d’actions apparemment sans queue (de sardine) ni tête, avec, à l’arrivée, pour le spectateur, le sentiment de n’avoir saisi que des bribes de pensées.

Un exercice de style philosophique et surréaliste peut-être, mais maladroit aussi. A mille lieues de la vraie réussite que signe l’Israélien Haïm Bouzaglo avec «Distortion».

Quel est le score?

Sur une terrasse de café, un homme et une femme font connaissance, timidement. Ils ont les yeux pleins d’espoirs. Mais soudain, attirés par quelque chose qui échappe au spectateur, leurs regards se figent. La terreur s’y dessine. L’explosion est terrible.

Le personnage central du récit, Haïm, était dans le bistrot en question deux minutes avant. «Quand je suis sorti, j’ai dit au revoir à tout le monde», martèle-t-il alors que les visages encore vivants des victimes défilent dans sa tête. Haïm est effondré. Brisé. Usé. Les images se télescopent dans son cerveau.

Et pourtant la vie va reprendre le dessus. Haïm (joué par le réalisateur Haïm Bouzaglo) est metteur en scène. Parce qu’il suspecte sa femme de le tromper, il va lancer un détective privé sur ses pas. Et tirer de cette enquête la matière pour son prochain spectacle, devenant ainsi le metteur en scène d’une pièce qui s’écrit au fil des pages de son propre quotidien.

Dès ce moment, on va suivre les progrès de l’enquête et l’avancée de la pièce. Faire la connaissance des acteurs, de leurs fragilités. Assister aux égarements de l’épouse de Haïm, qui, conforme aux soupçons (aux attentes?) du metteur en scène, va le tromper.

Dans la cité israélienne, on vit, on travaille, on baise, la vie continue… Mais cela dans un climat pesant, comme l’illustre cette séquence où un couple fait l’amour devant un poste de télévision allumé, qui évoque un nouvel attentat à Jérusalem. «Quel est le score?» dit l’amant, cynique, parce que dans un tel contexte, la distanciation est une forme de survie.

La société que l’on découvre vit entre jouissance et désespoir.

Poupées russes

Le montage de «Distortion» est brillant et saccadé, virtuose et touffu. Il parvient à mêler l’action et les traumatismes qui viennent la perturber, comme il parvient à mêler le présent et le passé, notamment à travers l’image du terroriste bardé d’explosifs, qui trimballe son beau visage serein à travers les rues de la ville.

Le film, avant un ultime flash-back sur l’explosion du début, se conclura par la première représentation de la pièce montée par Haïm. Une pièce qui lui permet de régler ses comptes avec sa femme, alors même qu’un des comédiens prend la salle en otage sous la menace d’un revolver. Même sur scène, l’horreur et le quotidien sont enchevêtrés.

Le film «Distortion», signé Haïm Bouzaglo aussi bien pour le scénario que pour la réalisation, raconte donc la création d’une pièce qui s’appelle «Distortion», signée par le même Haïm Bouzaglo, qui elle-même raconte les démêlés privés de Haïm – celui de la fiction. Difficile de s’impliquer davantage dans une œuvre.

Au-delà de la force inhérente au récit, il y a l’exercice de style. Parfaitement réussi, celui-là.

swissinfo, Bernard Léchot à Genève

Le 11ème festival «Cinéma tout écran» se tient à Genève jusqu’au 6 novembre, à la Maison des Arts du Grütli et dans diverses autres salles de cinéma.
Avec une programmation axée sur des films souvent politiques, la manifestation continue de construire un pont entre production télévisuelle et cinématographique.
Le festival dispose d’un budget de 1,4 million de francs.

Coup de projecteur sur deux films:

«The mystery of the Sardine» d’Erik van Zuylen (Pays-Bas)
Avec Victor Löw, Renée Fokker, Elske Rotteveel

«Distortion» de Haïm Bouzaglo (Israël-France)
Avec Haïm Bouzaglo, Smadar Kilchinski, Amos Lavie, Tzufit Grant

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