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Le Darfour au coeur du débat

Au Darfour, la pénurie de vivres nécessite un puissant engagement des ONG. CICR/Thierry Gassmann

Le Festival International du film sur les droits humains – qui prend fin samedi à Genève – cherche avant tout à provoquer la discussion sur des sujets difficiles.

Un objectif atteint, comme en témoigne une soirée consacrée à la crise du Darfour, au Soudan, et aux interventions humanitaires.

Il y avait foule jeudi soir pour assister à la projection du documentaire «Urgence au Darfour» et au débat qui a suivi. Les 200 places de la salle de cinéma de la Maison des arts du Grütli n’ont donc pas suffi à accueillir une foule cosmopolite et majoritairement jeune.

Occupant tout l’espace disponible, le public plonge d’abord au cœur du conflit qui déchire le Darfour (à l’ouest du Soudan) depuis 2003. Dans son documentaire, le réalisateur français Alain Chabot parcourt le vaste camp de réfugiés de Kalma (140’000 personnes) calciné par le soleil, montre la désolation de ces milliers de villageois déracinés, les humanitaires qui tentent de faire face et qui témoignent parfois d’un certain désarroi.

Le film évoque ensuite les belligérants en suivant un groupe de rebelles à dos de chameau, la Kalachnikov en bandoulière, des guerriers qui combattent les forces gouvernementales et les milices arabes jenjawids, responsables de massacres et de viols des tribus africaines qui peuplent le Darfour.

Le film terminé, les intervenants du débat soulignent que le conflit perdure, s’aggrave même. «Aujourd’hui, 2 millions de personnes ont fui les combats», affirme Leslie Lefkow, de l’ONG Human Rights Watch.

Tsunami vs Darfour

Remarquant le peu d’attention porté à ce conflit, le journaliste Eric Burnand, animateur du débat, pointe la mobilisation sans précédant qui a suivit le tsunami de décembre dernier en Asie et rappelle le pavé dans la mare jeté à l’époque par Médecin Sans Frontière (MSF). L’ONG avait en effet appelé les donateurs à cesser leurs contributions surabondantes.

Rony Brauman, fondateur de MSF, en rajoute une couche sur le suivisme des rédactions: «Nous avons assisté à une brejnevisation vertueuse des médias. Et Genève est devenue la capitale mondiale des bobards».

L’humanitaire fait allusion aux agences de l’ONU établies à Genève et aux risques d’épidémies brandies par certaines d’entre elles. Il rappelle également les rumeurs sur les enlèvements d’enfants orphelins par des réseaux pédophiles.

Commence alors un début de polémique avec Jacky Mamou, ancien président de Médecins du Monde qui reproche à nouveau à MSF d’avoir appelé à l’arrêt des dons du public: «Les fonds privés assurent l’indépendance des organisations humanitaires.»

Une ambiance électrique

«Basta!», tonne un spectateur. Le public veut prendre la parole et n’a que faire de ces questions d’argent. Le modérateur insiste en soulignant que ce thème est important.

Rony Brauman, lui, lâche une petite bombe: «Contrairement à ce qu’on a dit, les grosses sommes engagées en faveur des victimes du Tsunami prétéritent les interventions en faveur d’autres crises humanitaires.»

Les orateurs reviennent ensuite sur le Darfour. Jacques de Maio affirme: «Le pire est à venir». Et le chef des opérations du CICR pour la corne de l’Afrique d’ajouter: «Plus de 80 ONG sont présentes au Darfour. Mais la plupart sont cantonnées dans les villes, alors que nombre de personnes déplacées errent dans des zones peu accessibles».

Le public, lui, continue de manifester son impatiente. Une quinquagénaire obtient finalement la parole: «Les médias ne doivent-ils pas parler davantage du conflit soudanais?»

«Il n’est pas sûr qu’une telle exposition médiatique suffirait à changer le cours du conflit. Les ONG, par contre, ont besoin des médias pour se profiler», répond Rony Brauman.

Le sort des victimes

Jacques de Maio se demande, lui, de quoi ont vraiment besoin les victimes de ce conflit : faut-il plus d’aide internationale, plus de résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU?

Un jeune de l’assistance prend la balle au bond: «Les humanitaires sont la bonne conscience des Nations Unies impuissantes, elles, à résoudre le conflit».

Une spectatrice enchaîne: «Comme l’a fait MSF lors d’autres crises, les ONG ne devraient-elles pas partir du Darfour et exercer ainsi une pression sur la communauté internationale?»

Le fondateur de MSF corrige: «Nous avons stoppé notre action en Corée du Nord pour ne pas devenir un instrument au service du régime de Kim Jong Il. Il ne s’agissait pas de faire pression.»

De son coté, Jacky Mamou (Médecins du Monde) souligne les effets pervers d’une dénonciation médiatique : «En faisant campagne, les ONG risquent de se faire expulser. Elles peuvent également mettre en danger les humanitaires sur le terrain».

Question du public: «Suffirait-il de désarmer les milices jenjawids pour mettre un terme au conflit du Darfour?»

Une réalité complexe

Soulignant la pertinence de la question, Jacques de Maio met en garde contre une vision trop unilatérale de cette guerre. «Nous ne sommes pas une organisation pacifiste. Nous tentons de convaincre les belligérants de respecter un certain nombre de règles», reconnaît le responsable du CICR.

Pas de certitudes donc à l’issue de ces échanges et beaucoup de questions en suspens pour les intervenants, comme pour les spectateurs. Mais n’est-ce pas la vertu cardinale du débat ?

swissinfo, Frédéric Burnand à Genève

– Le FIFDH se termine vendredi soir avec la projection de «L’accord», un film réalisé par Nicolas Wadimoff et Béatrice Guelpa.

– Présenté en première mondiale, ce film suisse a pour cadre l’Initiative de Genève, ce plan de paix non officiel entre Israéliens et Palestiniens.

– La projection est suivie d’un débat avec le Genevois Alexis Keller, le Palestinien Kadura Farès, l’Israélien Shaul Arieli et Nicolas Lang, ambassadeur itinérant pour le Proche-Orient du DFAE.

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