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Le visage par-delà les apparences

The Face of 2000: une superposition de 2000 visages. Chris Dorley-Brown

Interroger les représentations du visage dans la photographie contemporaine, telle est l’ambition de la nouvelle exposition du Musée de l’Elysée.

«Je t’envisage. La disparition du portrait» sera présentée en deux volets successifs à Lausanne avant de s’envoler vers Londres.

Faire face, garder la face, perdre la face, sauver la face, changer de face, autant d’angles de vue captés par une centaine de photographes de toutes nationalités pour sonder le nouveau visage de la photographie contemporaine.

Au total, 350 clichés subversifs contestent la valeur du portrait traditionnel: celui qui, durant plus d’un siècle et demi, a été considéré comme le reflet de l’âme et de l’identité de l’individu. La nouvelle exposition du musée de L’Elysée est ambitieuse. Tant par le flot d’images qu’elle déverse que par la réflexion qu’elle entend susciter.

Quelle crédibilité peut-on accorder à l’image, à l’heure où la technologie et la science permettent toutes sortes de manipulation? Qui du photographe, du modèle ou du spectateur impose les règles du jeu? Autant de doutes et d’interrogations qui s’expriment au travers de la pellicule.

Face à Face

«Les masques tombent. Le photographe ne cherche pas à embellir le sujet mais à le montrer sous un jour réaliste…», prévient d’emblée un texte affiché à l’entrée de la première salle.

Sur un pan de mur, une série de gros plans dévoilent les grimaces d’un nouveau-né encore empêtré dans le placenta. De part et d’autre de ces clichés, le visage de la mère avant et après l’accouchement.

«Aujourd’hui, les photographes préfèrent multiplier les prises, commente William A. Ewing, directeur du Musée de l’Elysée. Ils ne considèrent plus qu’un seul visage puisse exprimer la complexité d’un être, par essence en constante transformation.»

Dans la même salle, des visages à la peau ravagée par la maladie racontent le rapport de confiance établi entre le photographe et son sujet. Plus loin, des clichés pris dans un centre ophtalmologique témoignent à bout portant de la souffrance humaine.

«Les photographes n’ont jamais porté un intérêt aussi obsessionnel au visage, remarque Jean-Christophe Blaser, conservateur adjoint au Musée de l’Elysée. Mais la nouvelle génération refuse les images telles qu’elles sont véhiculées par les médias et la publicité. Elle conteste les icônes de la beauté, de la mode et tente de mettre le médium au défi de lire une autre réalité.»

Le règne de la manipulation

Les images s’interrogent aussi sur les rapports de pouvoir qui s’établissent entre photographe et sujet. Derrière l’objectif, l’œil se heurte à la résistance du modèle. Les expressions se font arrogantes, agressives et le spectateur devient lui-même l’objet d’une tentative d’intimidation de la part du sujet photographié.

Le visage sert aussi de support à toute une série d’expériences. Il est déformé, découpé, reconstitué, transformé. Les techniques sont mises à l’épreuve. La pellicule est triturée, superposée, retouchée. L’image est numérisée, détournée, maquillée. Elle révèle sa part d’ombre et interpelle la confiance du visiteur.

Sous les toits du musée de l’Elysée trônent des visages d’hommes d’Etats larmoyants. A coups de pinceaux et de traitements informatiques, l’artiste a manipulé des images diffusées par les agences de presse pour les transformer en visages compatissants.

Un défi à la science

Les photographes apostrophent aussi la science. Le portrait en apparence le plus classique de l’exposition – une mère et son enfant – est aussi l’un des plus novateurs d’un point de vue technique.

«Les artistes sont partis du principe que la chlorophylle, au même titre que les sels d’argent traditionnellement utilisés dans la photographie, était sensible à la lumière, explique Jean-Christophe Blaser. Avec l’aide de biologistes et de généticiens, ils ont utilisé cette propriété pour imprimer leur photographie sur du gazon.» L’expérience brise le rapport de l’image au temps. La photographie végétale s’autodétruira un bout une année.

Pour clore la visite, l’exposition entraîne le visiteur dans une valse de visages flous. «C’est un lieu insolite, confie William A. Ewing. Ici l’image échappe au carcan de la précision pour rechercher non pas l’âme, mais l’essence de l’être humain.» Le directeur du Musée de l’Elysée évoque alors le monde de la science…

«Les chercheurs ont découvert qu’une partie de notre cerveau était entraînée à lire les contours des visages alors qu’une autre se contentait de décrypter sont message. Et, contre toute attente, c’est dans cette zone de flou que le cerveau va chercher l’information qui lui permettra de détecter rapidement un risque de danger.»

Et William A.Ewing de conclure: «Aujourd’hui, toute une génération de photographes sonde le flou pour y chercher du sens. A mes yeux, elle fait preuve d’un savoir intuitif qui précède la science et démontre, une fois de plus, que les artistes sont les antennes de la race humaine.»

swissinfo, Vanda Janka

L’exposition «Je t’envisage» est coproduite par le centre d’art ‘Cultugest’ de Lisbonne, où elle a été montrée l’automne dernier.
Présentée en deux volets à Lausanne, du 5 février au 28 mars et du 2 avril au 23 mars, elle s’envolera ensuite pour Londres.
Elle propose une centaine de photographes et mêle nouveaux talents et signatures consacrées (Lee Friedländer, Gilbert & George, Douglas Gordon, Martin Parr, etc.)

– Le premier volet de l’exposition se divise en trois sections: Face à Face / Garder la face / Façonner.

– Le second volet comprendra quatre sections:

– Fasciner, qui portera sur la manière dont le maquillage aide à séduire les autres autant qu’à protéger.

– Perdre la face, qui prendra acte de l’influence des idéaux de beautés dictés par la société.

– Sauver la face, qui sondera les reflets des visages offerts par les miroirs et ses dérivés.

– Changer de face, qui abordera la question de la chirurgie plastique et de la métamorphose de l’identité.

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