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Les tribulations d’un émigrant suisse au Brésil

Photos et articles de journaux dans une exposition
Marcher le long de Copacabana, mais à Bâle... Marina Wentzel

Traverser l’Atlantique sans savoir si l’on reviendra chez soi. C’est l’expérience vécue par Walter Wüthrich, un Bâlois qui a fait fortune à Rio de Janeiro. Une exposition met en scène l’aventure de la migration.  

Walter Wüthrich était un commerçant de Bâle qui, en 1939, a quitté le port d’Anvers en Belgique pour se rendre à Rio de Janeiro, à l’âge de 21 ans. Le jeune entrepreneur est devenu par la suite une figure centrale des liens commerciaux et culturels entre la Suisse et le Brésil. Cet homme est aussi le narrateur de l’exposition «Between two homelands», «Entre deux patries», qui aborde la question universelle de la migration, à travers le regard du Bâlois.

Photo d une homme des années 1940 fumant la pipe.
Walter Wüthrich Marina Wentzel

Accompagné de son ami Gustav Baumann et secrètement armé, Walter Wüthrich est parti en quête de liberté, pour se réinventer. En arrivant au Brésil, il a pour premier réflexe de se baisser pour embrasser le sol et fait accidentellement glisser le pistolet de sa poche. Le jeune homme est aussitôt arrêté et passe ses premières nuits tropicales en prison.

Dans son journal, Walter Wüthrich écrit, le 12 septembre 1939: «Gusti avait raison. J’aurais vraiment dû jeter ce satané pistolet à la mer. Ébloui par la vue de Rio, infiniment soulagé d’avoir échappé à la guerre, très impatient de ce qui allait suivre, je me suis immédiatement agenouillé pour embrasser le sol béni du Brésil. C’est alors qu’il est tombé de la poche de mon manteau. Je n’ai même pas eu le temps de le ramasser sur le sol. Deux policiers des douanes étaient déjà là et me criaient dessus en portugais en me tirant les bras derrière le dos pour me passer les menottes. Gusti a juré de me faire sortir de prison après deux jours. Aussitôt dit, aussitôt fait. On peut faire confiance à Gusti! Et maintenant? Maintenant, on se repose. On dort dans un lit à la Pension suisse et puis, enfin, l’aventure va commencer.»

Le migrant

En dépit des déboires initiaux, le jeune Wüthrich connaît la réussite dans le Nouveau Monde. Il devient très riche grâce au commerce qu’il encourage entre la Suisse et le Brésil. Son entreprise la plus prospère était une représentation des machines à tisser de Sulzer. Dans la fièvre de l’industrialisation brésilienne, l’entrepreneur et d’autres pionniers ont créé un réseau de contacts qui a contribué de manière importante aux relations commerciales bilatérales.

Actuellement, le flux commercial entre la Suisse et le Brésil s’élève à plus de 3,5 milliards de francs (3,7 milliards de dollars) par an. La Confédération exporte pour 2,1 milliards de francs et importe pour 1,4 milliard, selon les chiffres du ministère suisse des Affaires étrangères publiés en 2020. Plus de 13’700 Suisses vivent au Brésil et 81’000 Brésiliens vivent en Suisse.

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Après la mort de Walter Wüthrich en 2002, la richesse qu’il a accumulée au sud de l’équateur a permis la création de la fondation Brasilea, à Bâle, pour abriter la collection de plus de 500 œuvres de son ami, le peintre autrichien Franz Josef Widmar. L’institution fait aussi la promotion de l’art et de la culture brésilienne en Suisse. C’est là que l’on peut voir l’exposition «Entre Duas Pátrias», «Entre deux patries», qui met en scène le vaste contexte de la migration helvético-brésilienne à travers l’histoire personnelle du mécène Walter Wüthrich.

Cette exposition est la première d’une série de quatre, dont chacune portera sur une facette particulière du personnage de Wüthrich. «Le marchand», «L’ami» et «Le collectionneur» ouvriront leurs portes en 2023, 2024 et 2025. L’exposition actuelle, intitulée «Le migrant», a débuté en février dernier et se poursuit jusqu’au 20 décembre.

Immersion dans le voyage

Pour les visiteurs, «Entre deux patries» est une immersion interactive et sensorielle. Ils sont accueillis par Walter lui-même, dans ce qui serait le salon de la famille à Bâle. À côté des valises et des passeports, il y a une armoire avec une photo de son père, professeur de lycée, et de sa mère, décédée prématurément en raison de la tuberculose. Sa famille ne comprenait pas les envies d’aventure du jeune Wüthrich et s’opposait à sa décision d’émigrer.

Le visiteur découvre ensuite des vidéos et des photos de l’époque du départ. En 1939, la Suisse résiste aux pressions extérieures et a besoin d’unité. Des images montrent l’exposition nationale, Landi 39, avec les drapeaux des villages suisses. Cette fête était une réponse identitaire à la menace nazie. Pour Walter Wüthrich, cependant, la réponse au nazisme n’est pas de chercher des forces à l’intérieur du pays, mais de porter le regard vers l’extérieur. L’Amérique du Sud, exotique et inconnue, attise sa curiosité. Le Brésil présente un visage extraordinaire. Représenté par les images typiques de la grandeur nationaliste de l’«Estado Novo» dirigé par Getúlio Vargas, le pays est évoqué par les danses de la pop star Carmen Miranda et le personnage de dessin animé Zé Carioca.

À ce stade, les visiteurs sont invités à interagir avec l’exposition, en réfléchissant à la signification réelle de la décision de partir. Ils peuvent jouer des rôles, discuter des raisons qui déclenchent les mouvements migratoires, interpréter des dialogues et des arguments sur le pour et le contre de la décision de partir. «Il est très utile de faire cet exercice avec les enfants pour réfléchir aux causes qui poussent un individu à quitter sa patrie. Le jeu s’est révélé particulièrement pertinent avec les classes d’écoles où des réfugiés d’Ukraine ont eu l’occasion de parler à leurs camarades de la migration involontaire qu’ils ont subie», explique Tatiana Andrade Vieira, directrice exécutive de la fondation et commissaire de l’exposition.

Professeur de pédagogie interculturelle à la Fachhochschule Nordschweiz, Letícia Venâncio a visité l’exposition et a été enchantée par ce qu’elle a vu. Elle souligne que dans un pays comme la Suisse, où près de quatre personnes sur dix sont d’origine étrangère, il est indispensable de parler de la migration de manière concrète dans le contexte scolaire.  

Un Rio bourdonnant

En parcourant l’exposition, on suit une ligne temporelle égrenant les principaux documents des cinq siècles d’histoire migratoire des Suisses vers le Brésil. L’accent est mis sur les familles du canton de Fribourg qui, en 1819, ont émigré dans l’État de Rio de Janeiro, où elles ont fondé la ville de Nova Friburgo. Ensuite, les visiteurs de tous âges peuvent entrer dans une cabine sombre qui évoque celle du navire MS Copacabana. A la sortie de cette pièce lugubre, le voyageur arrive dans un Rio bourdonnant, où l’attend la célèbre promenade de Copacabana. 

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Le Brésil euphorique des années 1940 et 1950 est immortalisé dans la dernière section de l’exposition, illustrée par les photographies de Kurt Klagsbrunn, un Autrichien d’origine juive. Médecin de formation, il part de Vienne à peu près au moment où Walter Wüthrich quitte Bâle. Fuyant les nazis, tous deux ont trouvé leur avenir dans les sables de Rio. C’est un Brésil merveilleux qui apparaît à travers l’objectif de Kurt Klagsbrunn. C’est ce même Brésil qui a accueilli Walter Wüthrich et lui a permis d’atteindre la prospérité. Un Brésil sous son meilleur jour, avant qu’il ne tombe dans la noirceur du coup d’État militaire de 1964. 

À la fin de l’exposition, le visiteur est intrigué, désireux d’en savoir plus sur les conséquences qu’une simple décision personnelle peut avoir sur le cours des choses. Le parcours individuel de Walter Wüthrich constitue en lui-même un jalon marquant dans l’histoire helvético-brésilienne. Comment un jeune qui quitte la Suisse au hasard finit-il par avoir un impact sur les relations économiques et culturelles entre deux pays, sur des générations? 

«C’est de cela qu’il s’agit : débattre et inciter à la réflexion», souligne la commissaire Tatiana Andrade Vieira. «C’est une exposition qui permet de nombreuses interprétations et l’intention est précisément de la laisser ouverte. L’idée est d’inclure toutes les identités possibles qui sont nées là, avec Walter Wüthrich, et qui perdurent jusqu’à aujourd’hui.»

Relu et vérifié par Balz Rigendinger

Traduit de l’anglais par Mary Vacharidis

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