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Marguerite Duras, désir nu et vertige

Mario Del Curto

L'écrivaine française occupe en cette rentrée l'affiche romande. Deux de ses pièces se jouent à Genève et à Lausanne. L'amour les anime. Indémodable!

L’amour encore et toujours. Chez Marguerite Duras, le sujet ne s’épuise jamais. Il est observé à la loupe, conté avec bonheur ou douleur, pétri et remanié au fil de ses textes qui traversent le temps sans jamais vaciller. C’est que l’écriture est ici solide. Les secousses sentimentales, aussi vigoureuses soient-elles, ne sont jamais assez fortes pour l’auteure de «L’Amant» qui maîtrise le vertige des cœurs avec une dextérité inégalée.

On la dit «maniérée». Mais dans sa manière, il y a l’obsession du juste. De la vilenie juste, de la lâcheté juste, de l’abandon juste, du sourire juste, du cri juste… Toutes choses qui composent la figure incorrigible de l’amour.

C’est sans doute la raison pour laquelle, Duras, depuis sa disparition il y a 13 ans, n’a jamais quitté le devant de la scène. Pas une saison, sans une pièce de Duras en francophonie. De Bruxelles à Genève en passant par Paris, les spectateurs tiennent leur Marguerite: il m’aime, un peu, beaucoup, à la folie, à la mort… Une chanson inscrite en filigrane dans l’écriture de la grande dame, dans cet effeuillage osé qui consiste à mettre à nu le désir.

Sans ménagement

Pour déployer cette mécanique toujours bien huilée chez Duras, deux pièces de l’écrivain française. Les deux sont présentées en même temps à Lausanne et Genève. Dans l’une, «Hiroshima mon amour» (jouée au Théâtre de Vidy), le désir explose sur fond de guerre et de bombe atomique. Dans l’autre, «La Musica deuxième», la guerre est celle des sexes, drapés ici d’une épaisse et étouffante couche de mélo.

Ici, c’est le Théâtre Alchimic où l’on écoute en sourdine cette «Musica», mise en scène par le Belge Philippe Sireuil. Voix à peine audibles des deux comédiens suisses, Michel Voïta et Anne Martinet. Lui est architecte, elle, interprète. Ils ont été mariés. Séparés depuis trois ans, ils se retrouvent dans un hôtel la veille de leur divorce.

Haine et regrets, rejet et complicité, pulsions autrefois meurtrières, aujourd’hui envie de résurrection. Dans l’intervalle, beaucoup d’eau a coulé sous le pont. «Le temps se perd», dit la femme. Et le drame se profile dans l’obscurité d’un couloir dont l’issue ne mène nulle part. Forcément. Les histoires d’amour finissent mal en général, sauf si elles sont couchées dans un roman de Barbara Cartland. Rien de tel chez Duras qui dépiaute sans ménagement les couples.

Le cœur se conquiert

Nus sont les deux comédiens de «Hiroshima mon amour». Excellents Hiroshi Ota et Valérie Lang, livrés ici à la tyrannie de leurs sentiments. Deux corps qui, dans le noir du plateau, couvent des feux. Leur flamme se consume sur fond de brûlures, celles-là physiques, provoquées par la bombe atomique lâchée sur Hiroshima en 1945.

En toile de fond donc, des images d’archives, avec la ville japonaise et ses habitants qui se meurent. Sur le devant de la scène, deux êtres en chair et en os scellent dans un lit leur union qui s’éteindra 24 heures plus tard.

Car lui, l’homme, ne veut pas quitter son Japon natal où il exerce le métier d’architecte. Elle, la femme, est Française, actrice de profession. Elle est de passage au Japon. Elle y est venue pour le tournage d’un film, sur Hiroshima précisément. Nous sommes en 1958. Le film s’achève, la souffrance qui l’accompagne perdure.

La guerre et son lot de plaies glissent ici sur le terrain de l’amour. Jadis, dans les années 1940, la Française a aimé à Nevers un officier allemand. Elle fut tondue. Pour autant, Duras ne donne pas dans les jérémiades. Jamais. Son propos n’est pas là. Il est dans la difficulté d’accepter l’autre. De là naissent les guerres, toutes, quelles qu’elles soient. «J’aimerais enseigner à mes enfants l’amour et l’intelligence de la patrie des autres», dit l’actrice française.

Le cœur est aussi une patrie. Il se conquiert. C’est ce que dit «Hiroshima…», avec amour. C’est ce que dit avec force le spectacle de Christine Letailleur.

Ghania Adamo, swissinfo.ch

«Hiroshima mon amour»

Mise en scène Christine Letailleur.

Avec Valérie Lang et Hiroshi Ota.

A voir au Théâtre de Vidy-Lausanne, jusqu’au 11 octobre.

«La Musica deuxième»

Mise en scène Philippe Sireuil.

Avec Michel Voïta et Anne Martinet.

A voir au Théâtre Alchimic, Genève, jusqu’au 18 octobre.

Puis au Théâtre Vidy-Lausanne, du 29 octobre au 22 novembre.

Donadieu. Pseudonyme de Marguerite Donadieu, née en Indochine en 1914.

Saigon. Ses parents étaient des enseignants partis vivre dans les colonies françaises. Elle est élevée en pension à Saigon avant de rentrer en France.

Etudes. En 1932, elle s’installe à Paris et entreprend des études de droit, de mathématiques et de sciences politiques.

Amours. Elle épouse Robert Antelme en 1939, puis rencontre en 1942 Dyonis Mascolo dont elle aura un fils, qui mourra.

Nouveau roman. Son œuvre se distingue par la diversité de sa palette. Elle renouvelle le genre romanesque et bouscule les conventions théâtrales et cinématographiques.

Notoriété. D’abord connue d’un cercle restreint d’intellectuels, elle accède à la notoriété avec son roman «L’Amant» qui obtient le Prix Goncourt en 1984. Le livre est porté à l’écran par Claude Berri et J.J Annaud.

Parmi ses nombreux ouvrages, citons: «Un barrage contre le Pacifique», «India Song», «L’Amante anglaise», «La Maladie de la mort», «La Douleur»…

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