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Nougaro, résurrection tardive…

Nougaro, le génie des mots, mais aussi une voix et une présence difficilement remplaçables. Keystone

Le 40ème Montreux Jazz Festival semble être celui des hommages. Lundi soir au Casino, c'est Claude Nougaro que l'on saluait.

Mais il aura fallu très longtemps pour que le résultat soit à la hauteur de l’intention. Merci à Arthur H., Bernard Lavilliers et Angélique Kidjo d’avoir sauvé la soirée…

Au fil des ans, le Montreux Jazz Festival a pris l’habitude, avec le soutien de la SACEM, de rendre régulièrement hommage à un «grand» de la chanson française. Après Trenet, Aznavour, Gainsbourg, Piaf, c’est donc Claude Nougaro, tristement parti swinguer ailleurs en 2004, qui a reçu cette année les honneurs de Montreux.

«Nougaro n’a malheureusement jamais joué à Montreux. Il était prévu une année, il est tombé malade et il n’a pas pu venir… Je l’ai rencontré plusieurs fois, on a souvent parlé du projet Montreux, il adorait d’ailleurs le festival, tout son côté jazz», confiait Claude Nobs, patron du festival, à swissinfo.

Nougaro n’est pas venu à Montreux. Alors Montreux vient à lui, en frappant à la porte des nuages pour lui rappeler que la scène – l’arène – ne l’a pas oublié. Hélène, sa dernière femme et la muse de nombreuses chansons, est dans la salle. On espère le meilleur. Mais on va attendre un moment.

Cherchez la voix

Annoncé sur scène par Claude Nobs et Quincy Jones himself, Michel Legrand arrive escorté de pointures du jazz: le guitariste Bireli Lagrène, le batteur André Ceccarelli, l’organiste Emmanuel Bex, le bassiste Rémi Vignolo.

En ce qui concerne Legrand, le répertoire est déjà en place: le Valaisan d’adoption a publié en 2005 un album intitulé ‘Legrand Nougaro’, où l’on trouve nombre des chansons qu’il a composées pour le Toulousain dans les années 50 et 60.

L’orchestre sonne d’ailleurs précisément comme le Nougaro d’alors, résolument jazz. Un seul problème: Nougaro n’est pas là. Et Michel Legrand, vissé à son piano, ne parviendra à aucun instant à faire oublier l’original. Il n’a ni la voix, ni la présence pour cela.

Malgré la virtuosité pianistique de Legrand, «Sur l’écran noir de mes nuits blanches» devient une chansonnette, «Le Paradis» s’effiloche, et «Mon dernier concert», composé sur un texte que Nougaro a écrit peu avant le grand départ, n’apporte pas l’émotion que la force des mots et du contexte devrait susciter.

Au secours!

Après l’entracte, il faudrait du costaud pour qu’on y croie. Mais durant un long moment encore, la soirée va paraître diluée, mal fagotée. Est-ce à cause de la défection de Victoria Abril qu’il a fallu rapiécer le tout?

Le batteur et compositeur italien Aldo Romano (à qui Nougaro doit le magnifique «Rimes», notamment) et quelques-uns des musiciens se lancent dans un interlude instrumental, avec des thèmes jazzy que Nougaro a transformés en chansons, dont «Round Midnight» de Thelonious Monk, avec de remarquables interventions de Bireli Lagrène.

Puis chante plusieurs titres qu’il a composés, dont «Rue de Douai», ou la version originale de «Un été», «Estate». Romano est éminemment sympathique, remarquable batteur et compositeur, mais…

Le pire arrive avec la jeune Agnès Bihl, qui nous la joue frêle Bardot autant dans les tics vocaux que dans la fausseté des notes. «Vie, violence», cette superbe chanson, est un cauchemar. Sans doute autant pour elle que pour nous. Elle est sauvée du gouffre par l’arrivée d’Arthur H. Et du même coup, la soirée aussi.

Enfin…

Avec la gueule de Gainsbourg et la voix de Tom Waits, le fils Higelin fait immédiatement sien le répertoire de Nougaro. Les chansons semblent avoir écrites pour lui, et «Dansez sur moi» a les relents de whisky qui conviennent. Trois chansons et puis s’en va, trop vite.

Bernard Lavilliers prend le relais. D’une douceur immense, magnifique, sur «Cécile ma fille». Lavilliers qui, ensuite, le nez collé sur les textes (comme Arthur H.), se plantera avec une insistance rare sur «Une petite fille», avant de remporter le combat en reprenant avec vigueur, évidemment, «Quatre boules de cuir».

La Béninoise Angélique Kidjo prendra le relais avec «Sing Sing Song». Mais c’est paradoxalement sur «Toulouse», la chanson peut-être la plus intime, la plus personnelle de Nougaro, qu’elle nous offrira un vrai moment de bonheur. Accompagnée par le seul piano de Baptiste Trotignon, directeur musical de la soirée, c’est ses propres racines qu’elle semble chanter à travers les racines de Nougaro. Beauté et frisson.

Elle interprétera encore «L’amour sorcier» avec Idrissa Diop, avant que toute l’équipe ne les rejoigne pour un «Armstrong» final sympathique.

Frustration. Pourquoi cette soirée à la construction boiteuse? Pourquoi une telle dilution? Pourquoi des artistes qui lisent leurs textes comme une bande d’amateurs en goguette?

Les pépites étaient là, mais rares. Nougaro méritait mieux.

swissinfo, Bernard Léchot

Le 40e Montreux Jazz Festival a lieu jusqu’au 15 juillet.
Il se déroule au Centre des congrès (Auditorium Stravinsky et Miles Davis Hall), mais aussi au Casino Barrière pour les concerts plus spécifiquement jazz et sur les quais pour le festival off, gratuit.
Parallèlement aux concerts proprement dits, des concours instrumentaux et des workshops ont lieu chaque année.
En novembre sortira «Montreux Jazz Festival, 40th», un ouvrage de 1200 pages signé Perry Richardson, qui évoquera l’ensemble de l’épopée montreusienne.

Naissance à Toulouse en 1929 d’un père baryton et d’une mère professeur et pianiste. Il grandit entre la musique classique de ses parents, la chanson française à la mode (Trenet, Piaf) et le jazz à la radio.

Il se rend à Paris en 1950, écrit pour quelques artistes, mais ce n’est qu’à partir de 1955 qu’il se met à chanter lui-même. Il chante au Lapin Agile et publie son 1er disque en 1959.

Le succès vient en 1962 avec «Une petite fille». Dès ce moment, et en passant par le filtre de plusieurs musiques – jazz bien sûr, mais aussi brésilienne, africaine – les tubes et les concerts vont s’enchaîner. «A bout de souffle», «Sing sing song», «Toulouse, Paris mai», «Quatre boules de cuir», «Tu verras», «Rimes»…

Au cours des années 80, le succès fléchissant, sa maison de disque, Barclay, va le licencier sans état d’âme. Nougaro s’enfuit à New York et rebondit avec «Nougayork», énorme carton.

Le statut de «grand» du petit Claude ne fléchira pas jusqu’à sa mort, après une ‘longue maladie’, en mars 2004.

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