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«On est devenu plus sensible au patrimoine»

La Convention de la Haye pour la protection du patrimoine culturel en cas de conflit armé vise à tirer les leçons du passé et empêcher les destructions.

François Guex est président du Comité suisse pour la protection des biens culturels. Entretien.

swissinfo: Quand on voit les souffrances des populations victimes des conflits, et que c’est la vie des gens qui est en jeu, n’est-il pas un peu dérisoire de se préoccuper des monuments?

François Guex: Absolument, la vie a la priorité. Et c’est pour ça que les Conventions internationales imposent aux militaires de respecter certaines règles envers les civils et les prisonniers. Mais aussi envers les biens culturels, qui sont souvent des repères identitaires pour les populations.

En cinquante ans, les guerres classiques entre deux armées ont changé. Ce n’est plus si simple. On a donc ajouté deux protocoles à la Convention de La Haye pour empêcher des dégâts inutiles visant un simple avantage militaire.

Vous avez, raison, c’est un peu dérisoire mais, en même temps, c’est porteur d’espoir: aucun code pénal ne permet d’éviter les meurtres ou les vols, mais on se donne une ligne directrice et on sanctionne si quelqu’un ne la respecte pas.

swissinfo: Qu’est-ce qui a pu être sauvé grâce à la Convention de la Haye?

F. G: Malheureusement, l’histoire a montré des exemples inverses… Les choses se sont aggravées lors du conflit yougoslave. Les parties en guerre ont délibérément visé le patrimoine de l’adversaire, avec une certaine perversité parfois: la cible n’était pas l’armée de l’autre mais ses églises, mosquées ou vieilles villes, c’est-à-dire son identité culturelle et ses croyances.

Par exemple, après le bombardement de Dubrovnik, un Croate m’a raconté que les monuments marqués de l’écusson de la protection des biens culturels étaient les premiers visés.

swissinfo: Mais visés par qui?

F. G.: Ce ne sont pas toujours des armées régulières, mais des bandes échappant à tout contrôle. Mais, dorénavant, les Etats sont responsables et doivent poursuivre les coupables, par exemple un responsable militaire qui ne fait pas son possible pour éviter des dégâts ou démolit sciemment un bien: des voies légales sont prévues pour cela.

Cette prise de conscience est vitale: tout Etat qui veut jouer dans la cour des grands doit aussi se donner les moyens d’informer et de former ses troupes. Certains ont pris des mesures préventives, notamment pour l’inventaire de leurs biens, l’organisation de la protection, la formation des militaires.

Et puis on essaie de devancer les effets prévisibles d’un conflit: incendies, écroulement de bâtiments, vols d’œuvres d’art. Si les partenaires se donnent les moyens d’inventorier, de protéger et de prévoir l’évacuation de collections, c’est déjà un grand pas. Egalement en vue de toute catastrophe qui pourrait toucher un pays.

swissinfo: Il y a donc une prise de conscience?

F. G.: Oui, c’est surtout la mentalité qui a changé: on est plus sensible à certaines pertes. Souvenez-vous, dans les années 60, l’inondation de Florence a bouleversé le monde entier.

En Suisse, lors des inondations en Valais en 2000, le canton, soutenu par la Confédération et l’armée, a pu réagir rapidement. Ce qui est déterminant, c’est d’avoir sous la main du personnel formé, qui sache comment réagir si des archives sont inondées, ou s’il faut évacuer des tableaux, ou qu’en faire quand ils ont eu trop chaud.

Le pompier ne peut pas savoir comment réagir et il faut donc l’encadrer, lui apprendre les bons gestes au bon moment pour sauver un bien culturel. Ces détails peuvent être déterminants.

La Suisse a les moyens financiers pour organiser la prévention. Elle se doit d’informer la population et les militaires en incorporant les dispositions dans les législations et règlements militaires pour que les comportements changent. Sinon, la Convention de La Haye est un vulgaire parchemin, une charte qui reste lettre morte.

Interview swissinfo: Isabelle Eichenberger

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