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Paris célèbre la musique de Paul Klee

Paul Klee, artiste multiforme, qui aurait tout aussi bien pu vivre de sa musique. wikipedia

Après 26 ans d'absence, Paul Klee fait son grand retour à Paris. La Cité de la Musique met en scène, dans une exposition passionnante, les liens de l'artiste suisse (1879-1940) avec la musique, qu'il pratiquait assidûment.

L’expo «Paul Klee Polyphonies» vaut le détour, ne serait-ce que pour admirer les œuvres du peintre dans une atmosphère plus conviviale que le majestueux mais un peu clinique Paul Klee Zentrum de Berne. Écouteurs aux oreilles, le visiteur défilera devant ses toiles, de la Vue sur le port d’Hammamet (1914) au Cavalier (1940), en écoutant les œuvres musicales qui constituaient son environnement sonore: Bach, Mozart, Brahms, mais aussi des artistes contemporains comme Schönberg, Hindemith ou Bartók.

Une promenade musicale? «Pas seulement, remarque le directeur du Musée de la Musique Éric de Visscher. Klee pratiquait le violon puis l’alto tous les jours, jusqu’à la fin de sa vie. Écoutait-il ses musiciens de prédilection tout en peignant? Difficile de l’affirmer clairement, les témoignages manquent.» Le gramophone moderne ne se répand que dans les années 1900-1910.

Deux arts indissociables

Mais dans le milieu qu’il fréquente, à Berne puis à Munich, peinture et musique sont presque indissociables. En 1915, Klee raconte dans son journal la dernière visite que lui fait son ami Franz Marc, l’expressionniste allemand, peu de temps avant sa mort à Verdun. Il écoute le couple Klee jouer du Bach, tout en regardant des Variations peintes par Jawlensky. «C’était là tout à fait dans sa manière de contempler les tableaux en écoutant de la musique. Plus d’une fois, je l’avais vu peindre dans son carnet d’esquisses, lors de l’exécution musicale.»

La musique d’abord. Chez les Klee, pas moyen d’y échapper. Son père est professeur de musique et sa mère cantatrice et pianiste. Le jeune Paul joue du violon dès l’âge de sept ans et assiste à son premier opéra, Il Trovatore de Verdi, à dix ans. «Il n’y a guère qu’en musique que je n’ai jamais connu d’hésitations», écrit-il dans son journal.

Très bon violoniste, il participe à l’orchestre de Berne. Et commente pour la revue Berner Fremdenblatt und Verkehrszeitung, en critique musical redouté, les concerts des futurs grands noms du XXe siècle, de Pablo Casals à Arthur Schnabel.

Il aurait pu devenir un bon instrumentiste. Mais Klee sera peintre, au grand désespoir de sa mère. Pire: un peintre qui s’écarte des sentiers battus, de la tradition. Dans un parcours chronologique, la Cité de la Musique retrace l’itinéraire de Paul Klee, où se croisent sans cesse musique et peinture. Des premiers pas à l’Académie de Munich jusqu’à son enseignement au Bauhaus et à Düsseldorf. Avant son retour forcé à Berne.

Musique omniprésente

La musique ? Omniprésente. Qui aime bien châtie bien: Klee portraiture sans fard ses amis musiciens, tel ténor qui crache son aria ou ce vieux «Pianiste en détresse» tout nu, assis sur son pot de chambre.

Dès 1910 et sa période plus abstraite, la musique exerce une influence plus décisive encore sur Klee et ses contemporains du Blaue Reiter (Cavalier Bleu) que sont Vassily Kandinsky, August Macke et Franz Marc. Comme si ces avant-gardistes en quête de repères cherchaient dans les partitions musicales un modèle de maturité artistique, quasi-scientifique.

Jean-Sébastien Bach d’abord. Un «Dieu». La référence absolue, avec Mozart. Ça n’est pas le moindre mérite de Klee que de ressusciter Bach à une époque où il sortait tout juste de l’oubli. L’artiste suisse «est intrigué par les procédés musicaux «abstraits» de la fugue, si éloignés des effets pittoresques appréciés de compositeurs romantiques comme Liszt et Wagner», note le professeur d’histoire de l’art Peter Vergo.

Dans sa célèbre toile Fugue en rouge, Klee essaye de mettre la fugue sur papier: transparence des couleurs, chevauchement des formes. Le thème initial s’atténue progressivement sans s’effacer. «La simultanéité de plusieurs thèmes indépendants constitue une réalité qui n’existe pas uniquement en musique», souligne le Bernois en 1922.

Jusqu’à la fin

Dans ses cours au Bauhaus, Klee pousse plus loin encore l’analyse des principes structurants les œuvres musicales. Il transpose graphiquement les mesures d’une sonate de Bach, qu’il connaît parfaitement pour l’avoir jouée au violon. Résultat ? Un peu réducteur, on s’en doute. Mais Klee sait parfaitement les limites de cette approche théorique: si elle permet d’apprendre les «formes sous-jacentes», la «préhistoire du visible», «il y manque quelque chose, remarque le peintre: on ne saurait malgré tout remplacer entièrement l’intuition».

Démis de ses fonctions et renvoyé par les nazis en 1933, Paul Klee rentre à Berne. Ses dessins épurés reflètent la noirceur ambiante. Malade, on lui interdit la pratique du violon. Quelques semaines avant sa mort, il dessine encore des musiciens déclinants: un «ex-harpiste» au corps brisé par l’instrument, un «ex-timbalier» à genoux, le regard tourné vers le ciel.

Paul Klee Polyphonies est à voir jusqu’au 15 janvier 2012 à la Cité de la Musique, 221 avenue Jean Jaurès à Paris.

 

L’atelier Klee en mains permet aux enfants à partir de 4 ans, mais également aux enfants avec leurs parents ainsi qu’aux groupes scolaires de découvrir l’œuvre de l’artiste suisse.

D’abord en visitant l’exposition avec un audio guide conçu pour eux. Puis en explorant un espace spécifique de 220 m² dans lequel une quinzaine de modules pédagogiques leur permettent d’appréhender l’univers poétique et artistique du peintre avec les mains, les pieds, les yeux et les oreilles, mais aussi avec de l’imagination.

Enfin, une équipe de guides-conférenciers et de médiateurs se chargera de les guider dans l’exploration du monde de Paul Klee.

Les mercredis, samedis et dimanches et tous les jours des vacances scolaires, de 14h à 18h.

1879 Naissance le 18 décembre à Münchenbuchsee, près de Berne, fils du professeur de musique Hans Klee et de la chanteuse Ida Klee-Frick

1898 Maturité à Berne

 

1898–1900 Beaux-Arts à Munich

 

1906 Mariage avec la pianiste munichoise Lily Stumpf

 

1912 Participe à la 2e exposition du Blaue Reiter [Cavalier bleu] à Munich

 

1914 Voyage en Tunisie avec ses amis artistes August Macke et Louis Moillet. Klee découvre la couleur

 

1920–1931 Enseigne et travaille au Bauhaus à Weimar et à Dessau

 

1930 Le Museum of Modern Art à New York présente une grande exposition de Klee

 

1931–1933 Enseigne la peinture à l’Académie d’Etat des Beaux-Arts de Düsseldorf

 

1933 Paul Klee est diffamé par les nazis en tant «qu’artiste décadent» et émigre avec sa femme de Düsseldorf à Berne. Son fils Felix Klee (né en 1907) reste en Allemagne pour y travailler en tant que metteur en scène de théâtre et d’opéra avec sa femme Euphrosine Klee-Grejowa.

 

1940 Le peintre meurt le 29 juin 1940 à l’hôpital Sant‘ Agnese à Orselina près de Locarno-Muralto. Il aura vécu au total 33 ans, soit plus de la moitié de sa vie, à Berne.

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