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Pierre Byland, clown et croque-mort sur scène

Pour la pièce de Pierre Byland, le Théâtre de Carouge prend l'aspect d'un cirque. Abdoul Aziz Soulayma

Le comédien et metteur en scène argovien présente à Genève «Sorry!», un spectacle musical et théâtral qui réunit noceurs et rabat-joie. Rencontre avec un homme qui s’amuse à marier les extrêmes.

Lecteurs chauvins, passez votre chemin. Mieux vaut vous avertir: Pierre Byland forme avec la Suisse un couple étrange. Contraire ou complémentaire? Les deux sans doute. Il aime et rejette en même temps ce pays.

Pas étonnant chez cet acteur argovien, clown et tragédien, qui cultive l’absurde avec un grand art. Au point d’en faire le pivot de ses spectacles, applaudis pour leur capacité à dérider les plus sourcilleux.

Voici donc Sorry! sa dernière création, coréalisée avec l’Anglais Paddy Hayter et jouée (jusqu’au 17 octobre) au Théâtre de Carouge (Genève), qui pour l’occasion a posé son plateau sous chapiteau.

Cirque anarchiste

Piste ronde donc pour ce Sorry! aux accents très british (on y parle anglais, en partie) et aux allures de cirque anarchiste qui allie avec humour les extrêmes, un peu comme Pierre Byland affectionne les contraires.

Pour ce spectacle qui tourne en Europe depuis une année avec succès, le comédien argovien a donc convoqué un mariage et un enterrement. La mort et son étrange opposé, l’érotisme. Autrement dit, Eros et Thanatos, approchés ici avec un faux air de «ne-pas-y-toucher» qui caractérise Pierre Byland. Lequel joue dans Sorry! le rôle du clown et du croque-mort.

Un couple que certains jugeraient mal assorti, mais dont l’acteur s’accommode parfaitement, lui qui avoue découvrir tous les jours au fond de lui «un être ridicule qu’il accepte avec distance et développe avec humour au théâtre».

Confidence accordée à la fin du spectacle, maintenant que le public est parti et que Byland peut commencer un autre rôle, celui du mécontent qui a quitté la Suisse à l’âge de 20 ans pour suivre une formation de comédien à Paris. Il y est resté 30 ans durant, avant de revenir vivre au Tessin.

Pourquoi le Tessin? «Parce que c’est proche de l’Italie, c’est chaotique, sale et chaleureux, donc on y étouffe moins que partout ailleurs en Suisse», dit celui qui croit qu’un jour il mourra de claustrophobie dans ce pays. Lui, l’homme au rire détonnant, admirateur de Max Frisch, a du mal à comprendre ses compatriotes, toujours paralysés par la peur de l’autre.

Les Suisses sont comme des insulaires

«Les Suisses sont comme les insulaires, sauf qu’à la place de l’eau, ils ont les montagnes, et pour eux chaque montagne cache forcément un ennemi», lâche Pierre Byland, regard ironique accentué par son maquillage de clown qui fond. Sur la piste aux étoiles, il s’était démené tout à l’heure pour trouver un modus vivendi entre les deux parties opposées du spectacle: les noceurs et les fossoyeurs.

D’un côté, un cercueil, celui d’un grand musicien mort accidentellement, auquel rendent hommage, au fil d’une veillée funèbre, proches et amis. Il y a là un orchestre classique, un ténor à la voix perçante, une chauve souris, un coq, un chat, deux lapins… Le cercueil pisse de l’eau, le mort parle. La situation est des plus insolites.

De l’autre côté, un tracteur gros comme une maison, décoré comme une voiture de mariée. Sur la piste aux étoiles, il avance en klaxonnant, annonce l’arrivée de la noce avant de s’arrêter face au cercueil. Que fait-il là, chez les morts? Quiproquo. La piste a été louée en même temps pour le mariage et l’enterrement.

Disputes entre les deux camps, les optimistes et les pessimistes, ceux qui voient le verre à moitié plein et ceux qui le voient à moitié vide. Pierre Byland réussit à réconcilier les deux parties à la faveur d’un final potache. Rideau.

Et puis non! Encore une dernière question au metteur en scène, histoire de pousser un peu plus loin le jeu de l’interview: dans quel camp mettez-vous les Suisses Monsieur Byland? «Dans le camp de ceux qui voient le verre à moitié plein. Car après tout, le Suisse est têtu, persévérant. C’est une immense qualité», lâche notre interlocuteur, avant de disparaître dans les loges.

Figure tutélaire du clown moderne, acteur, metteur en scène et pédagogue suisse, né à Buchs (Argovie) en 1938.

Il suit une formation de comédien à l’école Jacques Lecoq, à Paris, où il enseignera par la suite pendant 12 ans.

En 1981, il fonde avec sa femme, Mareike Schnitker, la Compagnie Les Fusains.

Ensemble, ils mènent une recherche sur le burlesque et l’absurde et poursuivent aujourd’hui un travail de mise en scène pour de nombreuses compagnies suisses, italiennes, allemandes et françaises.

En tant qu’acteur, il joue sous la direction des plus grandes figures européennes, comme Antoine Vitez, Benno Besson, Claude Stratz, Jérôme Savary…

Il est par ailleurs coauteur et metteur en scène d’une vingtaine de spectacles dont Le Concert, L’Homme à la valise, Autour d’une porte, Une belle journée
Son spectacle «Sorry!», créé en collaboration avec l’Anglais Paddy Hayter, en 2009, et coproduit par le Théâtre de Carouge, Genève, tourne en Europe depuis une année, avec beaucoup de succès.

Sorry!, écrit et mis en scène par Pierre Byland, en collaboration avec Paddy Hayter.

A voir au Théâtre de Carouge, Genève, jusqu’au 17 octobre. Spectacle joué par des acteurs du Footsbarn Theatre, du Cirque Werdyn et de la Compagnie Les Fusains.

Production: Footsbarn Theatre.

Coproduction: Théâtre de Carouge, Genève. Théâtre Garonne, Toulouse.

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