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Poésie mouillée

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L'eau helvétique a été évoquée sous ses multiples formes par moult artistes d'ici et d'ailleurs. Balade (publiée en 2003, Année de l'eau) aux pays des mots mouillés, qu'ils soient ceux de Byron, de Lamartine, de Bernard Comment ou de Deep Purple.

Il est vrai qu’ici, l’eau filtre de partout. Glaciers, ruisseaux, marais, rivières, lacs, fleuves. Sans parler de la pluie, qui parfois, semble tout particulièrement affectionner la Suisse. L’eau source de vie, de drames parfois, et toujours d’exaltation quand les artistes s’en emparent.

Caillasse éclatée, à-pics vertigineux, cascades tonitruantes, glaciers monumentaux. Les paysages alpins coïncident avec l’imaginaire romantique. «Les montagnes, les vagues, les cieux ne sont-ils pas une partie de mon âme, comme moi une partie d’eux?» écrit Lord Byron, qui séjourne en Suisse en 1816.

Et Shelley de répondre en écho: «Les glaciers rampent comme des serpents qui épient leur proie, roulant lentement de leurs sources lointaines…»

Nature rebelle

Lamartine, qui s’y connaissait en lacs, a craqué pour celui des Quatre-Cantons: «Un orage me vient heureusement assaillir. Nous abordons dans une crique, à quelques pas de la chapelle de Tell: c’est toujours le même Dieu qui soulève les vents, et la même confiance dans ce Dieu qui rassure les hommes. Comme autrefois, en traversant l’Océan, les lacs de l’Amérique, les mers de la Grèce, de la Syrie, j’écris sur un papier inondé.»

Et d’ajouter: «Les nuages, les flots, les roulements de la foudre s’allient mieux au souvenir de l’antique liberté des Alpes que la voix de cette nature efféminée et dégénérée que mon siècle a placée malgré moi dans mon sein».

Victor Hugo, à qui l’on doit un très lyrique «Dicté en présence du Glacier du Rhône», s’est extasié en 1845 devant les chutes du Rhin, près de Schaffhouse: «La cascade fait un rugissement de tigre. Bruit effrayant, rapidité terrible. Poussière d’eau, tout à la fois fumée et pluie».

Même émotion que pour Lamartine en 1830, Hölderlin en 1801, ou le Britannique William Coxe en 1779: «Une mer d’écume précipitée avec un fracas de tonnerre, une nuée d’eau réduite en poussière…»

De la Venoge au Léman

Certains cours d’eau ont leurs odes. «Un fleuve? En tout cas c’est de l’eau, Qui coule à joli niveau» écrivait Jean Villard-Gilles à propos de sa chère Venoge, ruisseau vaudois devenu – presque – internationalement célèbre grâce à l’auteur des «Trois cloches».

«Bien sûr, c’est pas le fleuve Jaune, Mais c’est à nous, c’est tout vaudois, Tandis que ces bons Genevois N’ont qu’un tout petit bout du Rhône», ajoutait-il gentiment vachard.

Le Rhône, qui inspira tant le Valaisan Maurice Chappaz, le Rhône, qui entre Genève et Villeneuve, se mue en lac Léman. Et celui-là, ils ont été innombrables à le décrire, hier comme aujourd’hui. Les poètes romantiques, encore eux, mais également Ramuz, aussi fasciné par ses montagnes que par son lac, ou Jacques Chessex, bien sûr.

Moins connu, Gilbert Salem: «En fait, l’orbe lémanique, et ses millions de chevaux d’écume, sa mer toujours recommencée, a investi le contour de ma petite cervelle, il la ceint tel un diadème de nacre, c’est le bord d’écailles de mes lunettes. Tout ce que je vois, tout ce que je regarde est circonscrit par lui.» («Le Miel du Lac», Ed. Bernard Campiche).

Le Léman, ils sont plusieurs à l’avoir également chanté: ainsi le Français William Sheller, qui rêve d’ «un concert au bord de l’île Rousseau», ou Sarclo, qui en raconte «Les Mouettes» – pas les oiseaux, les bateaux.

Dans un registre moins délicat, on peut se souvenir que le Lac Léman a participé à fonder cet art aussi électrique que viril nommé le hard-rock: «Smoke on the water – fire in the sky». L’eau en question, c’était la sienne, sous la fumée du Casino de Montreux en flammes et les regards aussi britanniques qu’ébahis des musiciens de Deep Purple, le 4 décembre 1971.

La «Région des Trois-Lacs»

C’est un autre lac, pourtant, dont bien auparavant, un citoyen genevois avait décidé de louer les vertus romantiques et introspectives: «De toutes les habitations où j’ai demeuré (et j’en ai eu de charmantes), aucune ne m’a rendu si véritablement heureux et ne m’a laissé de si tendres regrets que l’île de Saint-Pierre au milieu du lac de Bienne», écrivit Rousseau en ouverture de sa «Cinquième Promenade»

«Les rives du lac de Bienne sont plus sauvages et romantiques que celles du lac de Genève, parce que les rochers et les bois y bordent l’eau de plus près, mais elles ne sont pas moins riantes», ajoutait-il, lui qui justement n’était pas d’un naturel foncièrement rieur. Quoi qu’il en fut, son séjour à l’Ile Saint-Pierre, du 12 septembre au 25 octobre 1765, semble lui avoir laissé un souvenir lumineux.

Et c’est encore un autre lac que le Bernois Friedrich Dürrenmatt avait élu comme compagnon quotidien, celui de Neuchâtel: «Au-dessous de notre jardin, le terrain tombe en pente très raide; l’autre côté du vallon est couvert par la forêt, mais, par-dessus, la vue sur le lac n’est pas masquée. Au-delà du lac s’étend la campagne vaudoise et fribourgeoise, des collines boisées qui s’amoncellent jusqu’aux Alpes».

De la nature à la civilisation…

L’eau des rivières, l’eau des lacs: l’eau de la nature. On aurait pu également évoquer celle qui a été domptée par l’homme, celle des barrages et des conduites, ou, plus modestement, celle de nos salles de bains.

C’est ce que fit un voyageur vénitien célèbre, un certain Giovanni Giacomo Girolamo di Seingalt, plus connu sous le nom de Chevalier de Casanova. De passage à Berne en 1760, il se dirige vers un espace qui contient «trente ou quarante cabinets, qui ne pouvaient être que des loges pour des gens qui voulaient prendre des bains».

«Un homme à mine honnête» lui propose alors un lot de soubrettes. Casanova en choisit une. «Elle ferme la porte en dedans, elle me met en pantoufles, et boudant, ne me regardant jamais au visage, elle met mes cheveux et mon catogan sous un bonnet de coton, elle me déshabille; et quand elle me voit dans le bain, elle se déshabille aussi, et elle y entre sans m’en demander la permission…» Histoires d’eau, toujours des histoires d’eau.

Les dangers du château d’eau

La Suisse, «château d’eau de l’Europe»… Combien de fois n’a-t-on pas entendu cette expression, rabâchée par les manuels scolaires comme par les enseignants? Impossible de ne pas l’associer à cette forme agaçante de l’esprit helvétique, le fameux «y en a point comme nous»… Nous n’appartenons pas à l’Europe, mais que ferait l’Europe sans nous, mmh?

«Château d’eau», c’est le titre d’une nouvelle de l’écrivain jurassien Bernard Comment. Une fable politique où l’on voit le gouvernement suisse décider de ‘couper les vannes’, c’est-à-dire de retenir l’eau des Alpes à l’intérieur des frontières helvétiques métamorphosées en imperméables murailles.

Dans son récit, l’Europe se desséchera, bien sûr… Mais la Suisse s’engloutira elle-même, noyée dans son or bleu, noyée dans sa paradoxale insularité. Jolie métaphore. Claire comme de l’eau de roche.

swissinfo, Bernard Léchot

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