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Tchao patins !

Une couverture éloquente!

Paillettes et triple axel par devant, violence et magouille par derrière... Avec le roman «Lame fatale», Bernard Heimo et Félix Clément donnent une image peu banale du patinage artistique.

Rolf Kesselring s’est plongé dans ce polar noir, blanc et… rouge.

Il existe des spectacles, des sports, qui me sont totalement étrangers. Je dirai même plus: je ne comprends pas que d’autres puissent s’y intéresser ! C’est le cas du patinage dit «artistique». Pour moi, téléspectateur, pourtant complaisant et curieux, ces démonstrations s’apparentent plus au monde merveilleux, politiquement plus que correct, de Walt Disney qu’à l’univers roboratif, impertinent et jubilatoire, de Tex Avery.

À chaque fois, qu’à la télévision, je zappais et tombais sur une retransmission consacrée à ce… spectacle, sidéré, stupéfait, les neurones en berne, j’étais incapable d’appuyer sur le bouton et de rechercher le documentaire génial, le film captivant, ou, plus bêtement, une émission politique. Scotché devant l’écran, je détaillais les jupettes pailletées taillées en biseau, les perruques en choucroutes cascadantes, les corsages ouvragés et décorés façon général mexicain de l’époque Zapata.

Les hommes ? C’était pire ! Chemises à jabot, fesses moulées à la toréador ou à la manière danseur de flamenco. Gestuelle maniérée, port de menton altier, tendance aristo sur le retour, les deux partenaires virevoltaient, sautaient, pirouettaient à en perdre le souffle.

C’est pourquoi lorsque je vis, dans les annonces récentes des Éditions Mon Village un ouvrage s’intitulant: «Lames fatales», je passais à la nouveauté suivante. Pourtant, un détail me titilla le bulbe: l’ouvrage était qualifié de roman policier. Or quand on me dit polar, à chaque fois, je craque !

Du micro à la plume

Il faut aussi avouer que les Éditions Mon Village, qui s’étaient bâti une solide réputation de romans du terroir, ne nous avaient pas habitués à la publication de bouquins de ce tonneau-là.

Et c’est comme ça, qu’intrigué et curieux, je mis le nez dans ce «Lames fatales» écrit en tandem par Bernard Heimo, ancien journaliste sportif à la Télévision Suisse Romande, spécialisé dans les sports de glace, et son compère Félix Clément lui aussi journaliste.

Avec ce titre singulier, je m’étais d’abord dit qu’il s’agissait d’un roman sur la mer et ses fatalités, pensez «Lame fatale». Je voyais des tsunamis ravageurs, des vagues scélérates, des lames de fond mangeuses d’homme et je m’interrogeais pourquoi, ces deux passionnés de spectacles sur glace, ces amateurs éclairés de patinoires clinquantes, avaient écrit un roman au grand large. Quelque chose ne collait pas…

Quelle fut pas ma surprise en découvrant qu’il s’agissait d’une sorte de roman noir et gelé se passant dans le milieu apparemment lissé et policé du patinage. Une histoire terrible de misère et de gloire, de médailles olympiques, titre suprême, et coup de bas.

Sous les sourires éclatants, les corsages en lamé et les paillettes, l’horreur et les faux-semblants. Remarquez, qu’intuitivement, je m’en doutais un peu et que mon manque d’intérêt pour ces spectacles trop apprêtés provenait du pressentiment de la face cachée et sombre de ces exhibitions trop réglées, trop lisses, trop artificielles. Le maniérisme sous toutes ses formes m’a toujours rebuté.

Cadavre moscovite

L’histoire débute à Moscou. Elle est celle d’Irina, une championne retrouvée morte dans les toilettes d’une boîte à la mode. À partir de cette macabre découverte, l’histoire de cette femme qui avait été extrêmement célèbre, quelques années auparavant, se déroule sous les yeux du lecteur. De ses débuts difficiles et misérables jusqu’à ce vedettariat magistral qui l’avait fait devenir une star mondiale, l’existence de cette femme hors du commun nous est révélée par un journaliste qui l’avait bien connue et, surtout, suivie tout au long de sa carrière.

C’est là, et nous pouvons faire confiance aux deux auteurs qui connaissent très bien l’envers du décor, qu’on s’aperçoit de la noirceur de l’âme de cette sportive. Mais pas seulement! D’après les auteurs — est-ce vraiment une invention romanesque? — on apprend que sous les brillances des projecteurs, bercé par ces musiques sirupeuses qui sont, la plupart du temps, des choix faits par les patineurs, sourd la haine, la violence, les ambitions les plus malsaines.

Toute entreprise humaine comporte une intention cachée, souvent très sombre, mais là, on touche à l’enfer. Un enfer qui peut aller jusqu’à la destruction et au meurtre. Malgré l’envie qui me prend d’en dire plus et de m’en prendre encore à ce sport corrodé, corrompu — comme d’autres, d’ailleurs — ne comptez pas sur moi pour vous révéler le final de l’intrigue.

Ce polar à deux mains doit être lu, même si l’écriture est relativement «incertaine». Comme dans les bonnes séries noires, que proposait, et propose encore, Gallimard, par le biais du roman policier, on apprend énormément de choses sur un milieu, un métier, un quartier, une ville ou un pays. Dans l’ouvrage transparent concocté par Bernard Heimo et Félix Clément, on finit par en savoir plus, beaucoup plus, sur un univers impitoyable.

Après l’avoir lu, comme moi, peut-être direz-vous, vous aussi: Tchao patins ! Écoeurés.

swissinfo, Rolf Kesselring

«Lames fatales» par Bernard Heimo et Félix Clément, aux Éditions Mon Village à Vuillens, tél. 021 903 13 63

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