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Un hôtel particulier entre art et histoire

L'extérieur du bâtiment est orné de magnifiques jardins. dupeyrou.ch

Le plus bel édifice de Neuchâtel, l'Hôtel DuPeyrou, est raconté dans un volume illustré. L'ouvrage entraîne le lecteur à la découverte de cette somptueuse propriété du 18e siècle et lui fait connaître celui qui l'a érigée, le sulfureux Pierre-Alexandre DuPeyrou, un richissime colon, libre-penseur et ami de Jean-Jacques Rousseau.

«L’idée de consacrer un ouvrage au Palais DuPeyrou m’est venue en raison de l’importance architecturale et historique de cette demeure de maître explique l’éditeur Emmanuel Vandelle. Il s’agit sans conteste de la plus belle bâtisse de la ville de Neuchâtel si ce n’est de tout le canton.»

Partant de l’idée qu’aucun volume spécifique n’avait encore été écrit sur cet hôtel, Emmanuel Vandelle a mis au point son projet rédactionnel en collaboration avec l’historien Jean-Pierre Jelmini, spécialiste de l’histoire neuchâteloise du 18e siècle, l’historienne de l’art Anne-Laure Juillerat et l’historienne du patrimoine Claire Piguet, toutes deux collaboratrices de l’Office cantonal de la protection des monuments et des sites (OPMS).

«Je n’étais pas seulement intrigué par l’hôtel, mais aussi par celui qui l’avait fait bâtir, Pierre-Alexandre DuPeyrou, dont la famille avait fait fortune dans les plantations du Surinam (Guyane hollandaise)», souligne Emmanuel Vandelle. Une fortune également basée sur la traite des esclaves, précise l’éditeur franco-suisse.

«Le livre nous a coûté deux ans et demi de travail, indique-t-il. Il contient des photos actuelles ainsi que des clichés et des documents provenant des archives de la ville de Neuchâtel notamment.»

 

Presque entièrement détruite par un incendie qui, le 20 octobre 1450, n’épargne que treize maisons, la ville de Neuchâtel doit être reconstruite. Avec la Maison des Halles, érigée à la fin du 16e siècle, le Palais DuPeyrou, bâti 160 ans plus tard environ, représente le joyau architectural de la cité nouvelle.

Un cadre digne d’une immense fortune

On le doit au désir du richissime Pierre-Alexandre DuPeyrou de vivre dans un cadre à la mesure de son immense fortune. Pierre-Alexandre naît à Paramaribo (capitale du Surinam) en 1723 dans une famille française de confession protestante.

Son père Pierre est conseiller à la Cour de justice du Surinam, au service de la Hollande, pays où il s’est réfugié après la révocation de l’édit de Nantes. La famille possède en outre des plantations de café, canne à sucre, cacao et coton.

Pierre DuPeyrou meurt à l’âge de 40 ans et sa veuve, de quatre ans sa cadette, se remarie rapidement avec le nouveau commandant militaire de la Guyane hollandaise, le Neuchâtelois Pierre-Philippe Le Chambrier, qui perdra sa fonction à la fin de l’année 1746. Le couple quittera le Surinam quelques semaines plus tard au beau milieu d’une révolte d’esclaves.

Au printemps 1747, les Chambrier s’installent à Neuchâtel. Pierre-Alexandre DuPeyrou accompagne sa mère et son beau-père. Il a dix-huit ans. Alors déjà, grâce aux revenus des plantations paternelles, le jeune Alexandre est richissime. Il est rapidement introduit dans la haute société neuchâteloise où il ne tardera pas à afficher ses idées de franc-maçon et libre-penseur.

L’ami de Rousseau

Fervent adepte de l’illuminisme, il devient vite la cible des pasteurs neuchâtelois et de leurs ouailles. Mais, comme l’indique Jean-Pierre Jelmini dans la présentation du personnage, c’est l’amitié avec l’écrivain et philosophe genevois Jean-Jacques Rousseau qui «va faire sortir DuPeyrou de l’anonymat de sa jeunesse dorée».

Jean-Jacques Rousseau, qui vécut à Môtiers de 1762 à 1765, est présenté à Pierre-Alexandre DuPeyrou par Abram Pury, Neuchâtelois de vieille souche. Pierre-Alexandre portera à Jean-Jacques Rousseau, «une amitié sincère et désintéressée et éditera ses premières œuvres complètes», en 1788, après la mort de l’écrivain.

En 1764, cinq ans avant de se marier avec Henriette-Dorothée de Pury, de 21 ans sa cadette, fille de son ami Abram et de Julie-Régine Chambrier de Travanet qui fut sans doute «son seul grand amour», Pierre-Alexandre acquiert la vaste propriété de l’Isérable qui s’étend jusqu’aux rives du lac. Il y fait édifier son hôtel particulier selon les plans de l’architecte bernois Erasme Ritter. La construction de la fastueuse demeure s’achève en 1771-72. Le couple DuPeyrou, qui y mène une existence dorée, n’aura pas d’enfants.

François Mitterrand et la fée verte

Devenu sourd et goûteux avant l’âge, Pierre-Alexandre DuPeyrou meurt en 1794. Il a 65 ans et, peu de mois avant son décès, se décrit lui-même comme «un vieillard isolé de tous.» Sa veuve Henriette n’hérite pas de l’hôtel particulier. Elle préfère une rente à vie qui lui permettra de mener une existence confortable jusqu’à sa mort en 1822.

Le bâtiment est vendu en 1799 à Frédéric de Pourtalès. Après plusieurs passages de propriété, la ville rachète l’hôtel en 1858 et la fait restaurer.

Aujourd’hui le Palais DuPeyrou abrite un restaurant gastronomique au rez-de-chaussée. Là même, pour la petite histoire, où le Président de la République française François Mitterrand, en visite en Suisse en 1983, avait dégusté un «soufflé à la fée verte», soit à l’absinthe, alcool alors interdit et qui avait valu un procès au chef de cuisine, Daniel Aymone. Aux étages, se trouvent le Centre international d’études du sport ainsi que des salons loués à des sociétés privées telles que le Rotary Club.

DuPeyrou, un homme et son hôtel, paru le 22 novembre dernier aux «Editions du Belvédère» (Pontarlier (France) / Fleurier (Neuchâtel)

Auteurs: Jean-Pierre Jelmini, Anne-Laure Juillerat et Claire Piguet

160 pages en couleurs

Prix en librairie 59 francs

Construit de 1764 à 1771-72 par Pierre-Alexandre DuPeyrou, ce joyau architectural en pierres jaunes d’Hauterive (NE), a été dessiné par l’architecte bernois Erasme Ritter.

Doté d’une cour d’honneur, d’annexes, de dépendances et d’un somptueux jardin à la française, l’Hôtel DuPeyrou est disposé sur un rez-de-chaussée et deux étages. Il compte d’innombrables chambres, boudoirs, bibliothèques, salles de bain et galeries. Sa pièce maîtresse est le grand salon, considéré comme l’un des plus remarquables objets patrimoniaux des arts décoratifs en Suisse.

Les jardins, caractérisés par des parterres à l’anglaise, de nombreuses pièces d’eau et des sphinges égyptiens, sont aussi connus pour les quatre orangeries – serres – qui abritent, outre les plantes habituelles, des orangers, des citronniers, des grenadiers, des myrtes, des oliviers et des lauriers.

De 1799, année de son rachat par Frédéric de Pourtalès à 1858 lorsque la ville de Neuchâtel l’acquiert, l’Hôtel DuPeyrou change fréquemment de propriétaire. Au fil des ans, il subit rénovations et transformations de toutes sortes et est même rebaptisé «Palais Rougemont» par le banquier Denis de Rougemont qui en fait l’acquisition en 1816. Un des fils de Denis, Alfred, le vend à la ville de Neuchâtel en 1858, pour la somme de 450’000 francs. Il est rebaptisé Hôtel DuPeyrou.

De 1968 à 1973, l’Hôtel est entièrement restructuré. Reconnu monument d’intérêt national, le bâtiment se veut le symbole de la cité des bords du Seyon.

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