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Un tableau hagard d’une Amérique d’aujourd’hui

Ames sensibles s’abstenir. Linsey Botswick

Invitée par le Festival de la Bâtie, la troupe new-yorkaise Big Art Group présente son spectacle à Genève.

Une performance multimédia qui exalte l’artifice et fait du théâtre un joujou.

Edition après édition, La Bâtie festival de Genève s’ouvre à l’étranger. La plus importante manifestation pluridisciplinaire romande multiplie les coproductions avec certaines institutions européennes et tente l’expérimentation avec la création ou l’accueil de spectacles (d)étonnants.

Une place de choix est ainsi accordée à la performance. Laquelle rassemble, en théâtre aussi bien qu’en danse, un large public avide de sensations nouvelles et de représentations high-tech.

On pourra donc voir, au cours de l’édition 2003, trois solos revigorants du Néerlandais Yan Duyvendak. Mais aussi «Le paradis cloné» d’Olivier Cadiot dont un texte («Retour définitif et durable de l’être aimé») est monté par le Français Ludovic Lagarde.

En attendant, l’attention se pose sur «Flicker», spectacle de la troupe new-yorkaise Big Art Group qui se produit off Broadway. Et qui est devenue le chouchou des programmateurs européens.

Démons des temps modernes

«Flicker», qui a ouvert le festival de la Bâtie, est l’œuvre de deux survoltés de la scène américaine, Caden Manson et Jemma Nelson qui en signent le texte, la mise en scène et le décor.

Mais peut-on vraiment parler de texte dans un spectacle où les dialogues sont parasités par la musique, le bruitage et l’image? Surtout l’image, assise de ce spectacle qui en appelle au cinéma et à la télévision américaines, deux grands démons des temps modernes.

Démons, parce que ces deux médias sont sollicités pour leur capacité à divertir, tout autant qu’à pervertir, le regard du spectateur. «Flicker» (Clignotement), c’est justement une affaire de regard. Regard à orienter, à éduquer.

Que voit-on donc sur scène? Des téléviseurs. Des caméras fixes qui captent en direct le jeu des acteurs et le projettent sur un écran en trois panneaux. Des caméscopes, aussi, manipulés à vue par les acteurs qui se filment et se renvoient sur l’écran leurs propres figures.

Les images qui s’imbriquent ainsi dans un charivari joyeux, mêlent deux récits et deux dimensions.

Place à l’image!

Les récits d’abord. Celui d’une bande de copains qui sont à la fois les réalisateurs et les acteurs d’un film d’épouvante, tourné et joué en temps réel. Sujet: l’assassinat d’une poignée de campeurs par un serial killer. Le deuxième récit raconte une névrose domestique. Point focal: le triangle amoureux.

Les dimensions, ensuite, que l’on peut appeler humaines puisqu’elles touchent à l’éclatement de l’individu. Entendez à la volonté d’être soi et un autre à la fois. Deux états qui dressent un tableau hagard de l’Amérique d’aujourd’hui.

«Flicker» peut en effet se lire comme la métaphore d’un monde où l’humain a cédé la place à l’image et à ses effets de mirage. Au pays du cinéma et de MTV, le théâtre cherche donc à reconstruire le propos du petit et du grand écran.

Big Art Group en témoigne dans son spectacle qui efface les limites entre image projetée et image vivante. Performance exemplaire où seules comptent néanmoins les prouesses techniques: éclairage, sonorisation des voix, interactivité électronique…

Autant de procédés qui exaltent l’artifice et réduisent le théâtre à un joujou. Un mérite toutefois: «Flicker» aura fait découvrir au spectateur la paresse de son regard qui se pose systématiquement sur l’écran, laissant souvent hors champ le reste de l’action scénique.

Preuve, hélas, que l’on préfère l’image artificielle des acteurs, plus facile à consommer que celle vivante de leurs corps en jeu.

swissinfo, Ghania Adamo

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