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Urs Widmer primé à Genève

Pour Urs Widmer, être publié chez Gallimard a longtemps été un rêve. swissinfo.ch

Le 16e Prix des auditeurs de la RSR a été remis mercredi à l'écrivain alémanique pour son roman, «L'homme que ma mère a aimé», paru en traduction chez Gallimard.

Urs Widmer semble heureux. Heureux parce qu’un auteur apprécie toujours d’être primé par les lecteurs, peut-être plus encore que par les critiques: «ce qu’on cherche, ce sont les lecteurs, n’est-ce pas?», constate Widmer.

Heureux aussi parce que «L’homme que ma mère a aimé», son 6e ouvrage traduit en français, a paru chez Gallimard, la fameuse couverture blanche… «C’est un rêve de jeune homme. A 20 – 22 ans, je vivais à Paris et bien sûr, la NRF chez Gallimard représentait un but inaccessible… et aujourd’hui, ça me réchauffe le cœur de voir ma couverture. C’est ridicule, mais ça représente quelque chose».

L’amour fou et l’absence

«Aujourd’hui est mort l’homme que ma mère a aimé», ainsi débute «Der Geliebte der Mutter», paru chez Diogenes-Verlag en 2000, et devenu «L’homme que ma mère a aimé», en 2001. On pense immédiatement à la première phrase de «L’Etranger» de Camus. Regard surpris d’Urs Widmer, qui n’avait pas fait le rapprochement: «c’est un hasard. Mais tant mieux, c’est un grand collègue!»

C’est une histoire profondément intime que raconte Urs Widmer. L’histoire de Clara, «la mère», et de l’amour total, ravageur, qu’elle a porté à un homme, Edwin, un chef d’orchestre qu’elle soutiendra à ses débuts et qui se dépêchera de l’oublier une fois la gloire venue.

Mais l’oubli ne sera pas réciproque: Clara approchera la folie, et le narrateur, son fils, ne pourra que constater – et narrer – les dégâts. «L’histoire est racontée», conclut-il page 121, avec une sobriété qui illustre l’intensité du soulagement.

Soulagement du narrateur. Et de l’auteur. Car avec ce roman, Urs Widmer a travaillé sur un no man’s land très étroit entre fiction et autobiographie. «J’ai dû réinventer cette mère, car un fils ne connaît pas à ce point-là la vie de sa mère», explique l’auteur qui ne nie pas pour autant un lien très étroit entre cette mère et sa propre mère.

Ce qui rend encore plus forte l’absence du père, qui apparaît à peine dans le récit: «C’est une absence bruyante, qu’on remarque… Parce que la mère du narrateur n’a d’yeux que pour un homme, Edwin, l’amant». Une remarque terrible si l’on tient compte du lien qui, en l’occurrence, unit l’auteur et le narrateur.

«Je ne m’étais jamais approché de si près d’un personnage réel et si proche, la mère. Ce n’était pas facile. Je n’aurais pas pu écrire cette histoire étant jeune. Cette histoire, je l’avais depuis 30 ans, mais je n’imaginais même pas l’écrire. Peu à peu, cela a mûri et, à mon âge de grand-père, j’ai senti la force et la capacité, aussi, de l’écrire».

Widmer le politique

Né à Bâle il y a 64 ans, Urs Widmer a publié de très nombreux romans, des nouvelles, des pièces de théâtre. On lui doit notamment «Top Dogs» (1997), une pièce qui a rencontré un succès mondial.

Widmer a toujours été un homme profondément sensible à la chose politique. Une sensibilité qui s’est déclenchée en 1962, alors qu’il vivait à Paris et découvrait les actions de l’OAS, puis qui a traversé des larges pans de son œuvre.

La politique n’apparaît qu’en toile de fond dans «L’homme que ma mère a aimé», mais elle apparaît tout de même. La montée du nazisme en Allemagne, celle du fascisme en Italie, l’incroyable aveuglement des gens, Clara en tête. Car même si la folie affective domine le récit, celui-ci n’est pas pour autant suspendu dans le vide.

swissinfo/Bernard Léchot

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